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Constructeurs

"Nous pouvons battre un nouveau record de ventes cette année"

Publié le 30 octobre 2012

Par Alexandre Guillet
8 min de lecture
Torsten Müller-Otvös, CEO de Rolls-Royce Motor Cars - A l’image de l’industrie du luxe, Rolls-Royce connaît des heures fastes et son potentiel de clientèle va même s’élargissant. L’essor asiatique n’y est naturellement pas étranger, mais les marchés traditionnels font aussi mieux que résister. Rencontre avec Torsten Müller-Otvös, le plus jeune dirigeant de l’histoire de la marque.
Torsten Müller-Otvös, CEO de Rolls-Royce Motor Cars - A l’image de l’industrie du luxe, Rolls-Royce connaît des heures fastes et son potentiel de clientèle va même s’élargissant. L’essor asiatique n’y est naturellement pas étranger, mais les marchés traditionnels font aussi mieux que résister. Rencontre avec Torsten Müller-Otvös, le plus jeune dirigeant de l’histoire de la marque.

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Au premier chef, pourriez-vous vous présenter en quelques mots à nos lecteurs ?
TORSTEN MÜLLER-OTVÖS.
Après plusieurs années chez Mini et chez BMW, j’ai pris la direction de Rolls-Royce Motor Cars en 2010, suite au départ de Tom Purves. En l’espace de bientôt trois ans, nous avons beaucoup travaillé, avec le lancement de nouveaux modèles, le triplement de la production ou encore l’extension de notre réseau. Une période chargée, mais positive et passionnante, d’autant qu’elle ouvre de nouvelles perspectives à la marque.

JA. Sur fond de forte croissance, quelle est votre vision actuelle du business automobile de Rolls-Royce ?
TM-O.
Comme vous le savez, la marque a réussi un exercice 2011 historique, en battant son record de ventes (N.D.L.R. : 3 538 ventes soit + 30,5 % par rapport à 2010). Actuellement, je suis dans le même état d’esprit qu’en début d’année lorsqu’on m’interrogeait sur les prévisions de ventes, à savoir que je suis prudemment optimiste. J’estime donc, raisonnablement, que nous pouvons battre un nouveau record cette année. Jusqu’à présent, l’activité est bonne, en ligne avec cet objectif.

JA. Comment définiriez-vous le nouvel ADN de la marque, un ADN qui a longtemps été “so british” avant d’évoluer significativement ces dernières années ?
TM-O.
Notre ADN est encore très anglais ! D’ailleurs, près de 80 % des effectifs sont anglais et notre responsable de design est anglais aussi. En fait, nous nous efforçons de conserver ces gènes et ce patrimoine, mais nous devons aussi les faire évoluer vers la modernité. Respect des traditions n’a jamais rimé avec immobilisme et nous n’avons nullement la vocation d’être une marque-musée ! Une évolution marquante a d’ailleurs été effectuée avec le lancement de la nouvelle Ghost. C’est un nouvel esprit, une limousine pour dirigeants actifs, que l’on conduit soi-même. Le résultat est pour l’heure probant car 80 % des acheteurs de Ghost sont de nouveaux clients de la marque. Ces clients sont beaucoup, beaucoup plus jeunes que notre clientèle classique, particulièrement en Asie où nous avons des clients parfois âgés de 30 ou 35 ans. En l’occurrence, ce sont des entrepreneurs qui ont réussi et qui ont constitué leur fortune très tôt. En outre, la Ghost attire aussi une clientèle féminine, qui représente 10 % des ventes, une première dans l’histoire de la marque.

JA. Toujours en lien avec l’ADN de la marque, mais sous un angle stylistique, que répondez-vous à ceux qui trouvent que votre design est devenu trop “carré”, trop germanique ?
TM-O.
Notre ambition n’est pas de plaire à tout le monde. Une marque iconique comme Rolls-Royce séduit beaucoup de personnes dans le monde entier, mais notre véritable cible de clients est naturellement réduite. Cela ne doit jamais être perdu de vue. Une Rolls-Royce, c’est une expérience, qui rime aussi avec certaines proportions et une présence certaine. Sans oublier l’espace à l’intérieur, l’excellence du confort, la qualité inouïe des matériaux, voire leur rareté. C’est tout cela qui fait une Rolls-Royce. Nous n’avons pas l’intention de faire des compromis, de perdre du caractère, pour un plus grand nombre qui n’est pas notre monde.

JA. Au-delà de ces qualités fondamentales, confirmez-vous une demande de plus en plus forte des clients concernant l’individualisation de leur véhicule ?
TM-O.
C’est effectivement une tendance lourde et elle tend à s’accentuer ces dernières années. L’idée consiste à ce que le client nous exprime ses désirs et nous lui apportons ensuite des réponses sur mesure. Nous travaillons beaucoup dans ce sens avec nos ingénieurs comme avec nos designers. En effet, il s’agit aussi d’un business très porteur, générant de très fortes marges. Et cela va au-delà des options traditionnelles pour investir le champ de la personnalisation, poussée jusqu’à l’individualisation, presque l’intime. Le phénomène concerne environ 60 % des Ghost vendues et nous avons même franchi un nouveau cap avec la Phantom, où cela concerne 9 ventes sur 10.

JA. D’un point de vue commercial, quels sont vos objectifs pour l’Europe, hors Russie, et pour la France en particulier ?
TM-O.
La France, avec Monaco, s’est toujours affirmée comme un marché très stable au cours de ces dernières années. Désormais, je suis vraiment curieux de voir quelle tournure vont prendre les choses, avec la crise, le changement de majorité politique et une attitude vis-à-vis des riches très différente. Que va-t-il se passer ? Difficile de savoir… mais nous suivons cela attentivement. Au niveau européen, notre situation est naturellement contrastée. Sur notre marché domestique, au Royaume-Uni, nos performances sont toujours bonnes. De toutes les façons, nous faisons partie de la culture britannique. En Allemagne, en Belgique ou en Suisse, le business est bon aussi. En revanche, les choses sont plus délicates en Europe du Sud. Cela ne signifie nullement que nos clients ont des problèmes économiques, mais le contexte crée une forme de gêne et certains peuvent penser que ce n’est pas le moment le plus opportun pour acheter une Rolls-Royce. C’est précisément ce qui pourrait arriver en France, même si pour l’heure, notre distributeur ne voit pas de fléchissement. En outre, à Monaco, l’activité reste soutenue (N.D.L.R. : un nouveau site de 300 m2 vient d’ailleurs d’ouvrir à Monaco, avenue Princesse Grace, sous la direction de Frédéric Duboc).

JA. La globalisation a représenté une formidable opportunité d’expansion pour les marques de luxe, dont Rolls-Royce. Cependant, pensez-vous que les taux de croissance vont demeurer aussi élevés dans les années à venir ?
TM-O.
Si vous regardez les prévisions de création de riches, des personnes ayant vraiment beaucoup d’argent, sur les nouveaux marchés, vous trouverez un indice de progression de 5 % chaque année et pour plusieurs années à venir. Nous sommes donc optimistes, car cela signifie que notre marché s’élargit. C’est particulièrement vrai pour l’Asie. Par exemple, nous avons récemment inauguré un point de vente à Bangkok et nous sommes d’ores et déjà au-delà de nos objectifs initiaux. Et puis, il y a la Chine naturellement, ou encore Singapour.

JA. En termes de concurrence, diriez-vous qu’elle se situe dans le périmètre automobile ou faut-il plutôt aller chercher ailleurs, au niveau du yachting, de l’aviation légère ?
TM-O.
Quand vous achetez une Rolls-Royce, vous vous faites vraiment plaisir. Vous vous récompensez en entrant dans un univers ultra-exclusif. C’est aussi un achat que vous faites dans une logique patrimoniale, en sachant que vous pourrez la léguer à votre épouse ou vos enfants. C’est comparable au monde de la joaillerie et à la notion de bijou de famille. Dès lors, notre concurrence n’est pas dans l’automobile. Par exemple, Bentley n’est pas à notre niveau de prix ou d’exclusivité. En fait, notre concurrence est en quelque sorte plus indirecte : les montres, les œuvres d’art, les résidences, les hélicoptères, les jets, les yachts… Nous nous situons plus à ce niveau et ce n’est pas une question de moyens, mais d’arbitrages.

JA. On se souvient de votre concept-car électrique, mais comment appréhendez-vous l’enjeu environnemental et comment Rolls-Royce peut-elle s’y adapter sans perdre trop de substance ?
TM-O.
Le concept-car électrique était une initiative très intéressante dans le domaine de la recherche. Mais nous sommes aussi allés à la rencontre de nos clients et 500 personnes ont ainsi pu conduire la voiture. Pour un résultat mitigé… En effet, cette technologie présente de vrais inconvénients. Le temps de recharge de huit heures était beaucoup trop long et l’autonomie était clairement insuffisante. Bref, les clients ne l’aimaient guère et la technologie était perçue comme un compromis, au sens négatif du terme. Toutefois, nous restons convaincus que Rolls-Royce doit continuer à s’investir dans les énergies alternatives et nous pensons que le champ du plug-in hybride ouvre des perspectives intéressantes. Par ailleurs, d’une manière générale, la question environnementale ne se pose pas pour Rolls-Royce comme pour les autres marques. En effet, nos volumes sont réduits et nos véhicules, qui constituent un investissement à long terme, un patrimoine, durent très longtemps : 75 % des Rolls-Royce vendues roulent encore aujourd’hui. Mais, pour la plupart, elles roulent aussi peu, avec un kilométrage annuel moyen faible.

JA. Pour conclure, pouvez-vous nous dire quelle est votre définition personnelle du luxe, le luxe dans son acception globale et pas exclusivement le luxe automobile ?
TM-O.
Le luxe, c’est forcément quelque chose de spécial, de rare. C’est quelque chose qui n’est pas toujours matériel, mais qui touche votre âme et vous comble. Ce peut être un moment privilégié avec des amis, avec la famille. Cela a aussi souvent à voir avec le rapport au temps. C’est notamment différent du quotidien.

JA. Et que reste-t-il du luxe à la française à l’heure où ce pays a un rapport à l’argent et à la richesse de plus en plus compliqué ?
TM-O.
J’adore Paris et j’adore la France ! Mais c’est vrai que certaines annonces du nouveau gouvernement, notamment sur la taxation des riches, me déconcertent. Et quand on parle avec les entrepreneurs, on constate que la tentation de partir n’est pas loin. Ce qui serait une très mauvaise chose pour le pays. Symboliques, ces annonces sont en fait très court-termistes. Car on sait que c’est aussi la richesse qui génère l’innovation et l’emploi. Prenez l’exemple de la Chine : on y voit de nouveaux entrepreneurs, de nouveaux millionnaires. Ils tirent le pays vers le haut, et donnent envie à d’autres de se lancer dans les affaires et de prendre des risques. Se priver d’eux ou leur reprocher leur réussite serait contre-productif.
 

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