Martin Winterkorn, président du directoire de Volkswagen AG
Martin Winterkorn. Ce qui est fondamental pour un constructeur automobile, c'est de concevoir des véhicules qui exercent un pouvoir de fascination sur les clients. Cela peut sembler banal, mais c'est plus vrai que jamais lorsque les temps sont difficiles, comme actuellement. L'an dernier, notre offre pour l'ensemble des 9 marques s'est étoffée de 52 nouveaux modèles, incluant les nouvelles versions et versions améliorées. Sur la seule base de notre gamme étendue, attractive et respectueuse de l'environnement, nous avons pu, en 2008, résister à la tendance négative du marché en battant de nouveaux records de ventes, de chiffres d'affaires et de résultats.
JA. Au cours des deux premiers mois, les ventes du Groupe ont enregistré un recul de 15 %. Ce recul correspond-il au scénario envisagé pour 2009 et aux mesures, déjà adoptées, d'ajustement de la production ?
MW. Ce qui se passe actuellement sur l'ensemble des marchés est dramatique. En janvier et février, le marché mondial a subi un repli de l'ordre de 25 %. Nous adaptons en permanence notre production en fonction des prévisions. Il n'y a aujourd'hui aucun signe de reprise, sauf en Allemagne grâce à la prime à la casse. Nous estimons qu'en 2009 le marché global sera inférieur à 47 millions de véhicules. Dans ce contexte, l'objectif de Volkswagen est de faire mieux et de gagner des parts de marché.
JA. En cas d'aggravation de la situation, pourriez-vous aller jusqu'à fermer des usines ?
MW. Dans nos usines et sur l'ensemble de notre production, nous disposons de multiples moyens pour réagir, avec souplesse, à une chute de la demande. Nous exploitons nos ressources de façon pertinente, en étroite concertation avec les personnels et leurs représentants. Dans ce contexte, les fermetures d'usines ne sont pas à l'ordre du jour.
JA. Votre Plan Stratégique 2018 est-il remis en cause du fait de la situation économique actuelle ?
MW. Nos objectifs pour 2018 sont fermes et définitifs. Nous voulons être le leader de l'industrie automobile. Et je suis fermement convaincu que le groupe et ses marques en ont les moyens. Mais une chose est certaine, pour y parvenir nous devons, compte tenu de cette nouvelle conjoncture, planifier et agir autrement. Nous en avons tenu compte dans notre stratégie.
JA. Parmi vos principales marques (Volkswagen, Audi, Skoda, SEAT et Volkswagen utilitaires), quelle la marque qui recèle encore le meilleur potentiel de croissance ?
MW. Lorsque l'on a "d'aussi jolies filles, il est difficile de dire laquelle est la plus belle". Nos marques disposent de tous les atouts pour accroître leur potentiel. Et lorsque je vois, par exemple, comment la marque historique Volkswagen, mais aussi Audi, se comportent à l'heure actuelle et ce qu'elles représentent en terme d'évolution, c'est déjà impressionnant.
JA. SEAT est régulièrement en difficulté et très dépendante du marché d'Europe de l'Ouest. Quelles sont ses possibilités d'évolution ?
MW. D'abord, une précision : SEAT n'a pas de problème de produits, mais un problème de marchés. Prenons par exemple l'Ibiza : un design attractif, une bonne technologie, un assemblage remarquable. Tout est parfait ! Mais avec la crise profonde que connaît l'Espagne aujourd'hui, cela devient difficile, même pour les meilleurs. Mais je dis aussi une chose : nous sommes avec SEAT parce que nous croyons au potentiel de cette marque. Et pour les nouveaux véhicules, comme l'Exeo qui a été conçue avec l'aide d'Audi, notre collaboration est de plus en plus étroite. C'est sûrement un facteur qui peut redynamiser SEAT, si les marchés se redressent.
JA. Au regard de vos objectifs, une partie de votre chiffre d'affaires est censée être réalisé dans les pays en voie de développement. A cet effet vous avez d'ailleurs annoncé que vous travailliez actuellement sur des produits de type "low-cost". Allez-vous utiliser, pour ces produits, l'identité de l'une de vos marques ?
MW. L'époque de la voiture "universelle" est révolue. Si vous voulez être performant en Inde ou en Chine, vous devez concevoir des véhicules spécialement étudiés pour les personnes qui y vivent. Idem pour ce qui concerne l'échelle de prix. C'est pourquoi Volkswagen par exemple lance la nouvelle Polo dans une version spécialement destinée aux pays émergents. En revanche, nous ne faisons aucune concession en matière de sécurité, de qualité d'assemblage et de respect de l'environnement. Une Volkswagen reste une Volkswagen, qu'elle soit immatriculée à Paris ou à Bombay.
JA. De nombreux chefs d'entreprise affirment qu'à l'issue de la crise, il y aura de nouvelles consolidations dans l'industrie automobile. Le Groupe Volkswagen envisage-t-il aujourd'hui d'autres rachats ?
MW. Il y aura sans aucun doute une consolidation. En ce qui nous concerne, Volkswagen couvre déjà, avec ses marques, tous les segments, toutes les catégories d'acheteurs et tous les marchés. Pourquoi aurions-nous besoin d'acheter une autre marque et d'investir beaucoup de temps et d'argent dans l'intégration ? Nous préférons miser sur nos marques et assurer leur pérennité en les confortant sur la voie de la réussite.
JA. Tandis que le rapprochement avec Porsche a fait beaucoup de bruit pendant toute l'année, la réorganisation de votre secteur Poids lourds s'est faite en toute discrétion. Ce pool - qui regroupe Man, Scania et Volkswagen Trucks - a-t-il atteint aujourd'hui une dimension suffisante et envisagez-vous d'autres acquisitions ?
MW. En vendant à Man, Volkswagen Trucks & Buses au Brésil, le Groupe assure son activité poids lourds et bus sur deux bases solides : ses participations dans Man et Scania. Nous en sommes très satisfaits aujourd'hui car les perspectives de croissance dans ce secteur sont excellentes.
JA. L'entrée de Porsche au capital va-t-elle modifier votre gestion du Groupe ? Quels sont pour vous les avantages et les inconvénients de ce rapprochement ?
MW. Nous sommes ravis que le Groupe puisse s'appuyer sur Porsche et le Land de Basse-Saxe, deux actionnaires solides, ayant une vision à long terme. Nous coopérons de manière étroite avec Porsche sur un nombre croissant de projets, par exemple les moteurs Diesel ou la technologie hybride. Cette alliance offre un énorme potentiel, tant technologique qu'économique, et ce dans l'intérêt de Porsche et de Volkswagen.
JA. Que répondez-vous à ceux qui prétendent que ce sont les marchés financiers qui dictent leurs choix aux grands patrons ?
MW. Nous ressentons aujourd'hui très douloureusement une focalisation exclusive sur les marchés financiers. Mais, à cet égard, il faut nuancer quelque peu. Chez Volkswagen, en tout cas, nous avons toujours visé à créer de la valeur réelle et durable pour les actionnaires, les clients, les salariés et la société. Nous avons bien fait et nous en tirons aujourd'hui les bénéfices.
JA. Un grand patron ne peut pas posséder toutes les compétences nécessaires à la gestion de son groupe. Dès lors quels sont selon vous les critères fondamentaux pour diriger ?
MW. Dans l'industrie automobile, la base d'une bonne gestion réside dans une connaissance technique avérée. Pour diriger un groupe complexe comme le nôtre, il faut en outre une vue d'ensemble et la capacité à discuter fermement, mais loyalement. Et, naturellement, la capacité et l'expérience pour prendre les bonnes décisions.
JA. Avec laquelle de ces affirmations êtes-vous d'accord : "on ne peut pas diriger seul une grande entreprise" ou "au bout de la chaîne décisionnelle il faut un chef et un seul" ?
MW. Il est vrai que la réussite est toujours le fruit d'un important travail d'équipe. C'est notamment le cas pour nous, dans l'industrie automobile. C'est comme en football : l'équipe a besoin d'un bon entraîneur, qui a une vue d'ensemble, sait constituer et motiver l'équipe et qui est aussi capable, le cas échéant, de dire les choses clairement et de prendre des décisions.
JA. Sans tomber dans le sentimentalisme, comment se sent-on lorsque l'on est assis seul devant son parapheur et qu'il faut entériner une décision importante pour la vie ou l'avenir de l'entreprise ?
MW. Généralement, les décisions importantes sont, au préalable, âprement discutées avec les collaborateurs. Les décisions prises seul ne font pas partie de ma personnalité. Mais il est vrai que, dans tout ce que nous faisons, nous assumons la responsabilité pour l'ensemble d'un groupe de 370 000 personnes et pour des millions de clients au niveau mondial, et cela, j'en suis toujours conscient.
JA. Après avoir vécu au rythme d'un grand patron, peut-on, au moment de faire valoir ses droits à la retraite, envisager de cesser toute activité et de se retirer complètement de la scène ?
MW. Lorsque l'on a dédié toute sa vie à la passion de l'automobile, on ne peut décrocher du jour au lendemain. J'aime à dire, lorsque des dirigeants quittent l'entreprise après une longue carrière : "Volkswagen un jour, Volkswagen toujours !". Et, pour moi, il en sera de même.
JA. Enfin, en Bundesliga, soutenez-vous plutôt Wolfsburg ou le Bayern Munich ?
MW. D'abord je suis ravi que, cette saison, les deux clubs s'affrontent dans le championnat allemand. Sinon, je garde toujours un esprit sportif : que le meilleur gagne !
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