L’union fait la résistance
Les coopérations industrielles entre concurrents ne sont pas un aveu de faiblesse, mais une nécessité économique, industrielle et humaine. Cette dernière dimension a ressurgi avec fracas quand, au cœur de l’été, Philippe Varin, président du directoire de PSA Peugeot Citroën, a annoncé la suppression de 8 000 postes et la fermeture du site d’Aulnay à l’horizon 2014. Dans les périodes difficiles, l’heure est au partage. Il ne s’agit même pas d’être plus fort, mais de continuer d’exister et de conserver ses positions. Moins généreux en volume, mais plus lucratifs que les VP, les véhicules utilitaires n’échappent pas à cette règle. Directement en prise avec la courbe du PIB et l’économie, le marché de l’utilitaire marque lui aussi le pas depuis la crise sur les principaux marchés européens. Il n’en reste pas moins un pilier de la stratégie de nombreux acteurs très ambitieux. En 2012, Mercedes-Benz a pris position sur un nouveau segment tandis que Toyota entend se mêler à la lutte avec le lancement du ProAce en 2013. Dans un paysage qui mêle des nouveaux entrants, des jeunes acteurs en quête de part de marché et des acteurs qui revendiquent ou ambitionnent de revendiquer le statut de leader, l’accélération des rapprochements était inéluctable sur un marché européen qui n’est pas extensible.
Les économies d’échelle comme moteur des coopérations
Les coopérations industrielles ne datent pourtant pas d’aujourd’hui, mais l’exercice 2012 a confirmé l’impérieuse obligation de partager les tickets d’entrée. Renault, Mercedes-Benz, Opel, PSA, Toyota, Fiat ou encore Volkswagen, tous ces constructeurs ont fait l’objet de tractations cette année concernant leur outil de production de VUL. Et les discussions se poursuivent encore. Selon Denis Schemoul, analyste Production Europe chez IHS Automotive, les partenariats et les alliances stratégiques sont plus nombreux dans le domaine de l’utilitaire que du VP. “Les contraintes et les motifs qui justifient ces rapprochements restent cependant les mêmes qu’il y a cinq ou dix ans : les économies d’échelle, la baisse des coûts et le renforcement de la compétitivité”, explique-t-il. “Crossbadging”, coopération à 50/50, contrat de manufacturing… tous les cas de figure existent. “Le partage des outils de production est une solution pour réaliser des économies d’échelle, qui sont autant de ressources et d’investissements supplémentaires que nous pouvons consacrer à la recherche. Je pense qu’une usine qui fabrique moins de 100 000 véhicules n’est pas viable. Le groupe Daimler a démontré une vraie volonté de se développer avec Renault pour des enjeux internationaux, à long et moyen terme, et la coopération ne va pas s’arrêter là. Mais avec qui on le fait, au final, cela n’a pas d’importance”, confiait Jean-Luc François, directeur de la division VUL et poids lourd de Mercedes-Benz France, lors du dernier salon d’Hanovre. La crise, qui a imposé une maîtrise des coûts encore plus pointue, a certainement accéléré ce processus. “Le marché a beaucoup évolué. Quand un seul modèle couvrait l’ensemble de la gamme il y a dix ou quinze ans, nous développons aujourd’hui plusieurs dizaines de versions afin de répondre à un métier qui se professionnalise. Un constructeur qui ne répond pas à cette exigence accrue des clients devient de suite moins compétitif”, justifie Philippe Peyrard, directeur des ventes aux entreprises et véhicules utilitaires d’Opel. Un professionnalisme et une exigence renforcés qui s’expriment à travers les produits, mais également les réseaux avec le développement de Business Centers et de structures dédiées tels que Renault Pro + ou encore Fast&Pro pour Renault Truck, et des campagnes marketing, des offres et des réponses de plus en plus ciblées et adaptées.
Toyota : produit 1, réseau 0
Partenaire depuis juillet du groupe PSA, Toyota apposera l’an prochain son logo sur la génération actuelle de fourgons fabriqués au sein de l’usine de Sevelnord. Le constructeur nippon remplacera à terme la marque Fiat, qui a annoncé l’an passé sa volonté de mettre un terme après 2017 au partenariat industriel qui la lie au groupe PSA à Hordain. Pour Toyota, ce développement marquera un nouveau départ sur le marché européen des VUL et viendra également appuyer son statut de leader mondial. Le défi sera cependant de taille et le chantier conséquent pour une marque dont le réseau n’est pas encore structuré et armé pour répondre aux caractéristiques de ce secteur. Sollicité pour réagir sur le sujet en septembre, le constructeur japonais n’a pas souhaité donner suite. A partir de 2016/2017, PSA et Toyota produiront leur propre véhicule, présenté à ce jour sous le nom de code “K-Zéro”, sur les chaînes de production de Sevelnord. Une annonce qui a rassuré les syndicats qui avaient légitimement manifesté leur inquiétude au début de l’été.
Le Trafic arrive à point nommé à Sandouville
Plus à l’ouest, les organisations syndicales de Sandouville ont dû également apprécier la confirmation de Renault concernant la production du futur Trafic au sein de l’usine normande, dont la commercialisation est prévue pour 2014. Deux ans et demi de travaux et 230 millions d’euros auront été nécessaires pour transformer et adapter le site à l’arrivée du Trafic. Jusqu’à présent, le fourgon était produit en Angleterre et en Espagne, en coopération avec Opel et son Vivaro. Quelques variantes du produit seront d’ailleurs toujours fabriquées à Luton, dans le cadre de l’accord avec Opel, tandis que Sandouville produira les versions hautes du Vivaro. En place depuis l’été dernier, la nouvelle chaîne sera en mesure d’assembler les premiers modèles au début de l’année prochaine. Les deux lignes VP et VU cohabiteront jusqu’en 2015, le temps que Douai prenne le relais avec le lancement des remplaçants de Laguna et Espace.
Opel, une stratégie “opportuniste”
Si les interrogations demeurent quant aux potentielles synergies industrielles entre les groupes PSA et GM, l’union qui lie l’Alliance Renault-Nissan à Opel dans la fabrication des utilitaires s’est, elle, solidifiée en 2012. “Renault possède un vrai savoir-faire dans la fabrication et la conception de véhicules utilitaires, c’est donc relativement plaisant de bénéficier de leur expertise. Sur le Movano, nous n’aurions pas la gamme que nous avons aujourd’hui si nous n’étions pas partenaires dans l’usine de Batilly. De plus, les véhicules étant identiques, nous n’avons pas l’obligation de faire des études complémentaires pour être référencés chez les carrossiers. Cela nous ouvre des horizons que nous n’aurions peut-être pas eus avec notre propre produit”, explique Philippe Peyrard. Pour le Movano, tant dans la conception technique que la direction des achats, la marque au Blitz dispose d’une cellule basée au sein du pôle de développement, de conception et d’industrialisation de la gamme des véhicules utilitaires de Renault à Villiers-Saint-Frédéric (78). “Nous travaillons avec les équipes de Renault et faisons valoir nos réflexions, précise Philippe Peyrard. Notre partenariat avec Fiat n’est pas du même niveau car nous sommes moins impliqués dans la conception du produit.” Opel, qui revendique l’étiquette de nouvel arrivant sur le segment des utilitaires, a tout à gagner en s’appuyant sur des produits et des technologies déjà éprouvés. “Dans le domaine, Opel a adopté un positionnement opportuniste, qui repose sur des investissements assez limités, et qui est difficile à dupliquer sur le VP. En effet, ils peuvent se permettre d’acheter des VUL car ce sont des produits à forte valeur ajoutée”, commente Denis Schemoul.
Mercedes-Benz, le choix entre Renault ou Volkswagen
Annoncée dès 2011, la coopération entre l’Alliance et Daimler sur les VUL s’est concrétisée cette année avec le déploiement commercial du Citan. La fourgonnette de Mercedes-Benz devrait assurer au mieux un volume de 40 000 unités supplémentaires en 2013, soit un tiers de la cadence de production de Maubeuge. Par ailleurs, l’accord initié en juin dernier entre et Nissan Motor Corporation Limited et Mitsubishi Fuso Truck and Bus Corporation (MFTBC), marque appartenant à Daimler, va prendre corps début 2013 au Japon. L’accord conclu est réciproque : les distributeurs Fuso proposeront à leurs clients des Canter Guts, autrement dit des Nissan Atlas F24, tandis que les distributeurs Nissan proposeront à leurs clients des Fuso Canter sous le patronyme “Nissan NT450 Atlas”. “Le but de cet accord est de développer les parts de marché des deux marques dans le segment du camion léger de moins de 5 tonnes, tout en réduisant les coûts de développement et de distribution”, annoncent les deux groupes. Fin septembre, les deux entités ont étendu le champ de leur collaboration au développement conjoint d’une nouvelle gamme de moteurs 4 cylindres à essence, qui équiperont les véhicules Daimler, Renault et Nissan en 2016, ainsi qu’une nouvelle boîte de vitesses. Les relations sont bonnes et les deux groupes n’excluent pas que la collaboration soit également étendue dans le domaine des utilitaires dans le futur. “Le gros puzzle pour les années à venir se situe entre Volkswagen, Daimler et Renault. C’est la grosse interrogation, qui devrait se dégager à l’horizon 2016/2017”, estime Denis Schemoul. Les discussions vont bon train entre les deux constructeurs allemands quant à la reconduction du partenariat pour la fabrication des fourgons Sprinter et Crafter, au sein de l’usine de Mercedes-Benz à Düsseldorf.
Ford, l’exception à la règle
Dans ce paysage, une exception demeure : Ford. Le constructeur américain est, en effet, le seul acteur important du marché à concevoir sa gamme utilitaire sans recourir au partage de ticket d’entrée avec un autre constructeur. “N’étant pas soumis à un partenariat, Ford est libre de ses mouvements. Il maîtrise sa stratégie VUL et peut avoir une stratégie globale. Ce positionnement est en adéquation avec la stratégie “One Ford”, qui se caractérise par des produits adaptables dans le monde entier, et démontre aussi la volonté de la marque de capitaliser sur un produit best-seller”, analyse Denis Schemoul. Egalement sollicité, le constructeur américain n’a pas souhaité répondre. Pourtant, dans le cadre de son Go Further Plan (JA n° 1169), présenté en septembre, Ford a fait du véhicule utilitaire un pilier fort de sa stratégie de croissance sur le Vieux Continent. Quelques jours plus tard, sur le salon d’Hanovre, le constructeur présentait pas moins de trois nouveaux modèles : le Transit Custom (fourgon moyen), le Transit Connect (la fourgonnette) et le Transit 2 tonnes (le fourgon). Si l’on y ajoute les versions VP, Tourneo Connect, Custom et Courier, la marque entrevoit une part de marché de 14 % à horizon 2017 en Europe. Pour autant, Ford n’est pas au-dessus de la mêlée et reste tout aussi concerné par les problématiques de capacité de production. En effet, le constructeur a affiché sa volonté de fermer trois usines en Europe, dont en 2013 celle de Southampton, qui fabrique actuellement le Transit. “Après la fermeture de Southampton, les Transit seront fabriqués en Turquie, plus quelques unités en Russie”, informe Denis Schemoul. “La production du Transit Connect sera, elle, transférée de la Turquie vers l’Espagne en 2013.” Ford fera également une incursion sur le segment des ludospaces compacts avec le lancement, en 2014, du Tourneo Courier qui viendra concurrencer le Fiat Qubo, les versions VP du Nemo ou du Bipper ainsi que le Kangoo Compact.
Nissan, une volonté d’indépendance
Quant à Nissan, il jouit d’un positionnement atypique dans le paysage. Lié à son partenaire de l’Alliance pour la production du NV400 et du Primastar, il n’en clame pas moins sa volonté de développer une gamme de véhicules “100 % Nissan” afin d’accompagner ses ambitions de croissance sur le marché des utilitaires en Europe et dans le monde. Dès 2007, dans le cadre de son plan GT 2012, le constructeur nippon affirmait, en effet, son souhait de devenir un concepteur et un fabriquant de VUL à part entière. Le NV200, lancé en 2009 et produit à Barcelone, est d’ailleurs venu concrétiser ces belles promesses. Le NV400, introduit en 2011, aurait dû confirmer cette dynamique. Seulement, suite à l’arrêt du plan GT 2012 consécutif à la faillite de Lehman Brothers, le constructeur a préféré jouer la sécurité et s’appuyer sur l’outil industriel de son partenaire de l’Alliance plutôt que de lancer son propre modèle.
L’Espagne alimente les ambitions de Nissan
L’an passé, l’activité utilitaire a représenté 20 % des ventes de Nissan dans le monde. En Europe, la marque entend s’appuyer sur son outil industriel pour atteindre une part de marché de 5 % sur le segment des utilitaires d’ici 2016, contre 3,1 % actuellement. Le constructeur annonce pas moins de six produits, nouveaux ou remaniés, tous lancés entre 2013 et 2016. Aujourd’hui, l’immense majorité de la gamme de produits VUL Nissan pour l’Europe est construite sur le Vieux Continent. Barcelone produit les Navara et Pathfinder, les NV200 et Primastar (également badgés Renault Trafic et Opel Vivaro), et le site d’Avila conçoit l’Atleon et le Cabstar. Au total, les installations espagnoles de Nissan ont fabriqué 154 492 unités en 2011, soit une progression de 48 % par rapport à 2010. Ainsi, les sites de Barcelone et d’Avila accueilleront sur leurs chaînes trois nouveaux véhicules. Barcelone produira le e-NV200 et une nouvelle gamme pick-up, tandis qu’Avila a été choisi pour fabriquer un nouveau camion de moyen tonnage. L’arrivée du e-NV200, prévu en démarrage de production sur l’exercice fiscal 2013, représente un investissement en Espagne de plus de 100 millions d’euros. Barcelone sera le seul site de production de la fourgonnette électrique, avec une prévision d’environ 20 000 unités annuelles destinées à l’ensemble des marchés.
Des synergies à l’international
Enfin, d’autres synergies et autres stratégies de rationalisation sont à envisager pour certains constructeurs à des fins, non plus européennes, mais internationales. “Il est désormais officiel que l’adaptation du Transit européen va remplacer l’actuel Van américain de Ford. Il est question que Fiat produise des Doblo en Turquie pour les vendre sous la marque RAM, qui va devenir la marque VUL de Chrysler, et le Promaster, une variante du Ducato, va également être produite au Mexique. Nous pouvons imaginer que d’autres constructeurs vont utiliser des développements européens pour faire évoluer leur gamme utilitaire de l’autre côté de l’Atlantique. Il n’est pas non plus exclu que Chevrolet porte un jour son intérêt sur les VUL de PSA pour les Etats-Unis”, soulève Denis Schemoul. Au sein des pays émergents, qui portent la croissance automobile mondiale, les coopérations fleurissent aussi chaque fois plus avec des acteurs locaux, aussi bien dans le VP, le VUL que le poids lourd.
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ZOOM - La compétitivité des usines Renault en discussion
La direction de Renault et les organisations syndicales françaises se sont réunies à trois reprises au cours du mois de novembre, dans le cadre du cycle de négociation, pour penser la réorganisation des sites de production. Au cours du deuxième rendez-vous, la direction avait avancé des hypothèses portant sur la création de deux pôles régionaux industriels destinés à mutualiser les activités back-office des fonctions support des usines et des mesures permettant une plus grande fluidité des mouvements de personnel. A l’issue de la troisième réunion de négociation sur la compétitivité, qui s’est tenue le 29 novembre, Renault a indiqué que les mobilités entre les sites du groupe en France pourraient devenir en partie obligatoires, mais qu’elles devraient répondre “à des critères négociés”. Actuellement, environ 1 200 salariés sont détachés sur la base du volontariat, mais la direction souhaite augmenter ce nombre pour renforcer certains sites. En Espagne, la direction de Renault a ratifié le 13 novembre un accord avec les syndicats espagnols concernant les conditions de travail des salariés du groupe français en Espagne sur la période 2014-2016. Cet accord de “Pacte social” porte sur les coûts du travail, la flexibilité, l’emploi et les avantages sociaux, avec pour finalité d’améliorer la compétitivité de l’entreprise.
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FOCUS - La production de VUL en hausse en 2011
L’an passé, PSA et Renault ont accru la production de véhicules utilitaires, aussi bien en France qu’à l’étranger. PSA Peugeot Citroën a vu sa production totale de VUL augmenter de 7,6 %, à 420 455 unités, dont la majorité est produite à l’étranger (329 800). Le nombre de ceux produits en France a progressé de 11,4 %, à 90 655 unités. Renault a fabriqué 381 993 véhicules dans le monde en 2011, soit une hausse de 19,2 %. La majeure partie a été assemblée en France (+ 24,6 %, à 201 457 unités). La fabrication du Citan à Maubeuge et du nouveau Trafic, qui débutera fin 2013, devrait permettre à la marque au losange de maintenir, voire augmenter, ses volumes l’an prochain.
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