Les grands défis de Carlos Tavares, Homme de l'Année
A peine arrivé de Luton, en Grande-Bretagne, où PSA annonçait ce mercredi 4 avril un investissement de 100 millions d'euros et une augmentation de production pour le site anglais, Carlos Tavares, président du directoire du groupe PSA, a reçu le prix de l'Homme de l'Année 2017 des mains de Gérard Detourbet, directeur Breakthrough Innovations de l'Alliance Renault Nissan Mitsubishi.
Près de 400 professionnels de l'automobile étaient réunis dans la bibliothèque de l'Automobile Club de France pour écouter le président de PSA. Voiture autonome, stratégie industrielle, satisfaction client, évolution de la distribution, Carlos Tavares a répondu à l'ensemble de nos questions. Nous vous présentons ici quelques extraits choisis. Vous retrouverez l'intégralité de sa prise de parole dans le Journal de l'Automobile qui paraîtra en mai 2018 avec les photos de la soirée.
Quelles réactions suite à l'accident d'un véhicule autonome ayant causé le décès d'un piéton aux USA ?
"C’est une question de fond. Il y a quelques années, je disais que la conduite autonome était un exercice d’une telle complexité que je ne pouvais imaginer que l’on puisse atteindre ce niveau de totale autonomie en une seule boucle. Nous avons fait le choix d’aller vers le véhicule autonome en consolidant chaque étape avant d’aller au-delà. Le véhicule autonome nécessite que nous soyons extrêmement professionnels dans notre manière de le développer. La seule chose que l’être humain va demander, c’est la sécurité, et celle-ci prime sur le délai, sur les effets d’annonce, sur l’impatience de certains d’être les premiers. Je ne suis pas étonné que ces drames aient eu lieu. Toute la difficulté est de valider l’ensemble des cas de fonctionnement qui demandent parfois de répondre à certaines questions éthiques. Nous avons validé et mis en vente le premier niveau du VA sur 3008. Le deuxième niveau est en vente avec la DS7 Crossback, et nous sommes donc sur notre plan de marche. En 2019, nous aurons le niveau 3, et le niveau 4 arrivera en 2022, mais plutôt que de parler de date, je préfère vous dire que nous viendrons sur le marché quand nous serons prêts."
Alors que les négociations sur le Brexit ne sont pas encore terminées, n'est-ce pas risqué d'investir dans une usine en Grande-Bretagne ?
"Il y a bien sûr des risques liés au Brexit. Mais ces risques sont d’une amplitude qui n’est pas bien supérieure à ceux que nous avons à gérer dans une entreprise. Nous voyons devant nous un monde très chaotique et si nous attendons que les risques s’évaporent, la seule certitude est d’être en retard. Nous nous sommes portés acquéreurs d’Opel-Vauxhall : c'est un risque, mais c’est surtout une énorme opportunité pour PSA grâce aux usines présentes au Royaume-Uni. Le Brexit peut se traduire par des conséquences fâcheuses en matière douanière, mais il y a aussi des intérêts convergents, comme le dit Mme May (NDLR : Premier ministre britannique), pour que le commerce libre puisse continuer à s’exprimer entre ces deux entités. Nous pensons que le bon sens va prévaloir. Nous possédons 25 % de part de marché du véhicule utilitaire avec Opel en Europe, c’est une opportunité qui doit nous permettre de grandir, surtout si nous avons un Brexit plutôt soft. Pour autant, je crois que les garanties que nous pouvons obtenir de quelque gouvernement que ce soit, pour un industriel pragmatique comme moi, sont à prendre avec une certaine distance."
Quand pouvez-vous envisager le retour de PSA aux Etats-Unis ?
"Opel va nous y aider énormément. Nous disposons en Allemagne d'un centre d’ingénierie qui a beaucoup travaillé pour General Motors. Ces ingénieurs sont compétents pour imaginer des voitures conformes aux réglementations européennes qui, comme nous le savons tous, sont différentes des réglementations européennes, voire chinoises. Cela nous permettra de rentrer dans le marché en limitant les risques liés à cette conception. Mais nous allons y revenir calmement et prendre notre temps car la spécificité du consumérisme américain est telle que nous devons faire en sorte de ne pas commettre de fautes. La première étape est le service de mobilité Free2Move qui est un succès. Nous avons des plans assez précis sur ce que nous voulons faire et nous déciderons cette année du mode de distribution que nous souhaitons. Pour 2026, tout est possible, mais nous n’avons pas encore décidé de la marque que nous allons utiliser pour revenir aux USA."
Quels sont les risques pour l'industrie automobile si un constructeur se voit pénaliser en 2020 de lourdes sanctions financières pour non-respect des limites d'émissions de CO2 ?
"L’impact est très évident : cela va créer un cheval de Troie chinois en Europe. L’Europe créé des conditions de concurrence extrêmement sévères. Si un acteur européen est défaillant et se voit imposer des amendes financières qui le mettent à genoux, il ne pourra pas être consolidé par les acteurs de l’industrie européenne par le seul fait des règles anti-trust. Il deviendra donc à la merci d’investisseurs qui ne sont pas présents sur le marché européen, mais souhaitent y rentrer, notamment avec une grande avance dans le domaine de l’électrique. Or, comme chacun le sait, le savoir-faire sur les batteries électriques est détenu par les Chinois. Ce n’est bien sûr pas dans l’intérêt des sociétés européennes d’aller dans cette direction, mais c’est aux pouvoirs publics de le décider. Je suis d’ailleurs assez surpris que ce mécanisme, qui est assez simple, ne soit pas mieux compris des personnes avec qui je discute."
Vous avez fixé comme objectif que les marques du groupe se positionnent dans le Top 3 de la recommandation client. Est-ce le cas aujourd'hui ?
Les résultats sont encore très dispersés, mais la discipline commence à s’imposer. Nos clients attendent de nous de la considération et nous nous sommes posé la question de savoir si nous avions les bons standards qualité pour nous occuper de nos clients. Ayant les bons outils, ce qui nous fait défaut c’est de la rigueur et de la concentration dans la manière de les appliquer. Et nous travaillons sur cet axe. Cet effort commence à porter ses fruits. Ayant vécu au Japon, j’ai toujours été surpris par le peu de respect que nous exprimions vis-à-vis du client car cela représente une énorme opportunité pour nos marques. Nous avons en Europe une grande difficulté à être disciplinés et il va nous falloir apprendre. Et j’ai la tristesse de constater que, lorsque l’on regarde les chiffres, c’est surtout en France que l’on observe la plus mauvaise satisfaction client."
Quel regard portez-vous sur l'évolution de la distribution automobile ?
"L’énorme opportunité que nous avons dans la distribution automobile est de faire en sorte que les acteurs de proximité que sont les concessionnaires deviennent les partenaires de liberté de mouvement, à vie, de nos familles. Ceci aura une valeur qui ira crescendo parce que nous subissons de plus en plus d’entraves à la mobilité. La valeur client de la mobilité est une valeur montante. Leur rôle deviendra plus important si nous savons nous adapter. Si nous ne sommes pas darwiniens, les uns et les autres, nous nous mettons en situation de risque."
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