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Constructeurs

“Le taux de motorisation ne pourra pas éternellement croître comme avant”

Publié le 2 avril 2014

Par Alexandre Guillet
6 min de lecture
Dans sa dernière étude, que l’on peut traduire par “L’impact des nouvelles mobilités urbaines sur l’industrie automobile et ses marchés”, Phil Gott, éminence de l’analyse et du conseil chez IHS, met en évidence que la croissance automobile, certes actuellement vigoureuse, n’est pas infinie et qu’un seuil limite se profile déjà à l’horizon. De passage à Paris, il nous fait l’honneur de nous en dire plus.
Phil Gott, senior managing director chez IHS.

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Votre dernière étude porte sur les nouvelles et les futures mobilités urbaines : qu’est-ce qui va conditionner les changements significatifs que vous évoquez ?

PHIL GOTT. Actuellement, 52 % de la population mondiale vit d’ores et déjà dans les villes et nous savons que cette valeur passera à 60 % en 2035. Certes, on ne peut pas considérer toutes les villes comme un ensemble homogène, car elles présentent des différences entre elles et leurs dirigeants ne partagent pas toujours les mêmes convictions et une même vision de l’avenir. Toutefois, on constate que le taux de motorisation ne pourra pas éternellement croître comme avant. Plusieurs éléments ou indices convergent dans ce sens. Par exemple, si la croissance de l’automobile est au rendez-vous, on note que le taux de permis de conduire délivrés dans le monde aux plus jeunes, les 18-35 ans grosso modo, suit une tendance baissière. Dans plusieurs grandes villes, on relève aussi une baisse du nombre de véhicule/habitant, une orientation qui remonte à plus de dix ans et qu’il serait donc inexact de strictement corréler avec la grande crise de 2008. En outre, la congestion est au centre de tous les enjeux des villes de demain, car son coût est tout simplement considérable pour la collectivité : temps de travail perdu, pollution et santé publique, etc. Sans même évoquer la dimension politique du dossier.

JA. Face à cet horizon, on peut avoir le sentiment que l’industrie automobile demeure assez statique… Pensez-vous que les grands dirigeants du secteur apportent vraiment les bonnes réponses ou sont-ils un peu “old fashion” ?

PG. La question est cornélienne ! En effet, vous devez à la fois apporter des réponses aux besoins présents, qui sont nombreux, croissance oblige, et songer à réinvestir sur des projets d’avenir qui seront rentabilisés dans 20 ou 25 ans. Ce hiatus est difficile à appréhender, surtout que notre environnement change profondément, comme en témoigne la révolution digitale. Et puis parlons franc, l’âge des grands dirigeants de l’automobile n’est pas sans poser problème… Ils ont quasiment tous mon âge, 65 ans environ… Cependant, gardons-nous de généraliser et reconnaissons que des grands groupes comme l’Alliance Renault-Nissan, Ford ou BMW par exemple, mènent des réflexions très avancées. Mais d’autres groupes sont au contraire trop focalisés sur le court terme…

JA. La Chine, promise à une très forte croissance, ne peut-elle pas risquer de venir parasiter votre analyse ?

PG. Sous l’angle des volumes, la Chine fait assurément figure d’exception. Et quel que soit le scénario qu’on retient pour les années futures, il est toujours question de croissance ! Le marché automobile aura plus que doublé entre 2012 et 2035 pour dépasser les 40 millions d’unités, ce qui rime avec + 115 % ! Tout simplement parce que la demande va rester très forte, l’automobile y étant un signe social marqué, traduisant très souvent l’accession à la classe moyenne. En outre, de nombreuses villes se développent très fortement et à un rythme intense en diable. C’est une certitude, mais soyons honnêtes, la situation va vite devenir invivable pour une large majorité de chinois… C’est déjà le cas dans certaines villes. Et la nouvelle classe moyenne commence à exprimer son mécontentement face à la pollution, aspirant aussi à un mieux vivre dans ce domaine.

JA. Vous affirmez donc que le taux de motorisation en Chine n’atteindra pas, et loin de là même, celui que l’on connaît aux Etats-Unis ou en Europe par exemple, n’est-ce pas ?

PG. Tout à fait et on peut même dire que c’est acquis. Prenez l’exemple de la ville de Pékin : elle affiche aujourd’hui, intra-muros, un ratio de 130 véhicules pour 1 000 habitants et les autorités municipales ont acté qu’elles n’autoriseraient pas le dépassement de 6 millions de voitures immatriculées pour l’intra-muros. Or, il y a déjà 5,4 millions de véhicules recensés. Par conséquent, le taux de motorisation peut encore progresser de 10 %, mais il n’atteindra jamais le niveau de 400 à 500 véhicules pour 1 000 habitants qu’on trouve aujourd’hui dans certaines villes américaines, européennes ou japonaises.

JA. Au-delà du cas de la Chine, votre démonstration s’applique-t-elle aussi à d’autres pays émergents ?

PG. Comme nous l’évoquions précédemment, la Chine est une exception de par sa démesure, entre guillemets. Mais notre analyse est aussi valable pour d’autres pays dits émergents, bien entendu. Par ailleurs, on peut encore ajouter un commentaire à propos des marchés matures : dans les grandes villes américaines et européennes, les autorités et l’opinion publique sont-elles satisfaites d’un taux de motorisation très élevé ? On peut en douter si on regarde les mesures restrictives qui tendent à être prises… D’ailleurs, sur 187 villes qui font valoir des données fiables sur le taux de motorisation, plus d’un tiers ont déjà cherché des moyens de réduire le taux de motorisation et/ou les flux. Là encore, l’enjeu de la congestion et de la pollution locale est central.

JA. L’émergence des énergies alternatives, plus respectueuses de l’environnement, peuvent-elles permettre de contourner le problème que vous soulevez ?

PG. Non, car en fait, au bout de la logique, le fond du problème, c’est la place disponible, pas les modes de propulsion. Quand une étagère est archi-pleine, vous ne pouvez plus y mettre de livre, fût-il fin. C’est pareil avec les voitures dans les villes ! Toutefois, cela n’empêchera pas le développement des énergies alternatives, naturellement. Beaucoup de choses vont se développer ou encore apparaître, dans le domaine des transports en commun, des véhicules autonomes, des services de mobilité, etc. Par exemple, les commerçants devront développer ou avoir recours à des services de mobilité pour assurer la venue de clients, il en va du tissu et du dynamisme économiques des villes. Et au-delà du coût ou des technologies, les défis majeurs concernent la modélisation du trafic et la meilleure régulation possible des flux.

JA. Les cartes vont donc être largement rebattues, un processus qui fait toujours des gagnants et des perdants. Quels conseils pourriez-vous donner aux grands patrons de l’automobile pour faire partie des gagnants ?

PG. Loin de moi la prétention de pouvoir donner des conseils à ces grands dirigeants. Cependant, je pense qu’en général, il est toujours précieux d’étudier ce qu’il s’est passé dans d’autres secteurs au cours des dernières décennies. Ayons notamment à l’esprit la photographie, avec l’arrivée du numérique, ou encore la téléphonie. En outre, face aux mutations qui s’annoncent, il s’agit de ne pas se limiter à une réflexion sectorielle, mais de penser un nouveau système global.

 

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