Le point sur l’offre disponible et sur les produits qui seront commercialisés à court terme
Alexandre Guillet : Vu l'offre actuelle, c'est rouler moins bien en dépensant plus ?
"Avec les aides actuelles de 5 000 euros, ce n'est pas vrai. Et il ne sera pas question de dépenser plus. Zoé sera vendue au prix d'une Clio".
"Le public cible, c'est clairement le commuter, c'est-à-dire les usagers pris dans les mouvements pendulaires ville-périphérie, les mouvements Paris/grande ou petite couronne en représentant l'asymptote. Les véhicules du segment B font aujourd'hui très rarement plus de 200 km par jour. Ils ne sont pas "punis", mais ils ne sont pas utilisés pour les longs trajets, de type vacances ou autres. N'oublions pas non plus la part très importante des foyers multi-motorisés".
"Si Renault fait le choix du véhicule électrique, c'est que nous maîtrisons via Nissan la technologie des batteries. En outre, avec notre volonté de proposer des véhicules populaires, les solutions hybrides sont moins performantes, tout simplement parce qu'il faut quand même mettre deux moteurs et que cela a naturellement un coût".
Alexandre Guillet : Avec la smart, vous disposez d'un produit particulièrement indiqué pour la problématique urbaine, d'autant qu'elle fut originellement conçue ainsi, quelle est votre feuille de route ?
Frédéric Grandvoinnet, directeur des ventes grandes sociétés et responsable de la smart Fortwo électrique, Mercedes-Benz France
"C'est vrai que la smart est indiquée par rapport à cette problématique. Elle était effectivement conçue électrique à l'origine d'ailleurs. Aujourd'hui, elle s'affirme comme une solution claire pour les déplacements urbains. Pour les autres déplacements, extra-urbains ou encore plus longs, nous proposons d'autres approches : l'hybridation et aussi la PAC qui touche naturellement aussi à l'électrique. Cette dernière est complexe et coûteuse, mais nous la faisons évoluer depuis plusieurs années et la dernière Classe B est une vraie voiture. On a dépassé le stade du laboratoire et une commercialisation en petite série est programmée dès l'an prochain, malheureusement pas en France pour les raisons législatives relatives à la distribution de l'hydrogène que tout le monde connaît. Mais d'autres marchés sont plus volontaires, les USA, le Canada ou l'Allemagne par exemple".
"Les premières livraisons de smart électriques, produites en France, débutent, principalement à destination des entreprises. Pour la marque Mercedes, nous aurons une version électrique de la Classe A, mais nous ne pouvons pas encore tout dévoiler… Vous en saurez sans doute plus dès le Mondial".
"La première version sera une classe A électrifiée, mais avec l'architecture du véhicule, tout est sous le plancher, ce qui est un avantage. La version suivante a, elle, été pensée dans une configuration totalement électrique".
Bernard Brulé, responsable promotion véhicules à énergies alternatives, Peugeot
"Nous sommes effectivement très sensibles au thème de la mobilité en général et à ses évolutions. Au premier chef, le véhicule électrique n'est pas monolithique et peut se décliner en deux, trois ou quatre roues. Concernant l'offre disponible, nous commercialisons déjà le modèle iOn dans le cadre de notre partenariat avec Mitsubishi. C'est une vraie voiture : 4 places, 4 roues, 4 portes. Nous avons déjà enregistré 3 000 réservations via Internet et les premières livraisons massives interviendront dès la fin de l'année. C'est une voiture bien équipée, en bref, elle a tout d'une grande. Nous ne souhaitons pas séparer la vente de la batterie du véhicule et nous proposons donc un package, véhicule, batterie, maintenance, services etc., au tarif de 500 euros par mois. Notre cible est, dans un premier temps, la clientèle professionnelle, c'est clair et assumé".
"La iOn s'inscrit aussi dans le programme Mu qui décline plusieurs solutions de mobilité".
"Nous développons également avec Venturi un Partner électrique. Par ailleurs, dès la fin de l'année, nous proposerons un vélo à assistance électrique ainsi qu'un scooter nommé e-vivacity. En 2011, l'offre s'élargira avec un véhicule hybride Diesel, le 3008, et d'autres suivront. La génération plug-in sera mise en avant courant 2012. Et à un horizon plus lointain, la PAC sera aussi proposée, mais il y a encore des obstacles complexes à franchir".
Jean-Michel Cavret, directeur de la stratégie électro-mobilité, BMW Group France
"Notre première focalisation est et reste le client. Vous connaissez sans doute la différence culturelle entre Français et Allemands : les Français sont sur le "quoi" quand les Allemands s'attachent au "comment". Dans le plan Number One du groupe, dévoilé en 2007, un vaste volet est consacré au véhicule décarboné, qui comprend entre autres le véhicule électrique. Nous nous sommes alors intéressés aux souhaits des clients et nous avons mis au point 612 Mini Cooper électriques pour des phases tests, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, et prochainement en France. Cette Mini demeure dynamique, 204 chevaux en équivalent thermique, plus de 150 km/h en vitesse de pointe et plus de 150 km d'autonomie. Nous bénéficions donc d'un retour empirique de l'expérience clients, le véritable juge de paix. Les anecdotes sont d'ailleurs légion. Dans un véhicule électrique, vous avez 380 volts contre 12 sur un véhicule thermique. Vous avez donc des clients qui se demandaient s'ils pouvaient laver leur véhicule tout simplement ! Il y a aussi l'inquiétude de la panne, qui renvoie à l'autonomie et à la fiabilité des informations données via le tableau de bord. Au début, les utilisateurs se jetaient sur la borne de recharge à chaque fin de trajet, puis au fil du temps, ils ne rechargeaient plus en moyenne que tous les trois jours et demi. En effet, en Europe, le trajet moyen est de 40 km par jour.
En fait, le rapport d'usage entre les clients et l'automobile est en train de changer de façon considérable. De plus, le dogme de la possession du véhicule s'érode, surtout chez la jeune génération. Ces nouveaux usages ne vont pas à l'encontre du plaisir automobile comme veulent le faire croire certains.
Le véhicule électrique répondra à une demande, à un type de clients, mais pas à toute la demande. De toutes façons, "de l'uniformité naquit l'ennui"… Actuellement, plusieurs solutions cohabitent déjà, essence, Diesel, GNV, GPL, VE etc., et à l'avenir, il en sera de même avec de nouvelles voies. Celle de l'hydrogène, que nous explorons avec la série 7, en fait effectivement partie.
Avec la Mini-E, nous proposerons un véhicule électrifié, mais cela sera ensuite suivi à partir de 2012 par la BMW Active-E, sur base de Série 1, avec les batteries sous le plancher. Et nous commercialiserons aussi une Megacity conçue intégralement comme un véhicule électrique".
Alexandre Guillet : Nouveaux usages, nouveaux partenaires, avec les batteries notamment : que va-t-il rester aux constructeurs au-delà du coup de crayon ?
Bernard Brulé : "Nous faisons déjà appel à de nombreux fournisseurs et cela ne change pas vraiment la donne. En revanche, par rapport aux usages et à l'arrivée de technologies nouvelles, il y a un point important à surveiller, c'est le réseau, la façon de vendre et d'assurer l'entretien".
"Il faut aussi savoir remettre les choses en perspective. Les véhicules électriques s'adressent aux professionnels qui devront représenter 70 % des ventes. A l'horizon 2020, nous estimons le potentiel du VE à 5 % du marché. Donc une vraie part de marché, mais tout de même limitée. Pour un grand constructeur, 5 %, ce n'est pas énorme. En revanche, l'usage des véhicules électriques sera riche en enseignements".
Frédéric Grandvoinnet : "C'est vrai qu'on nous enlève une partie de notre valeur de motoriste, mais nous nous intéressons surtout à de nouveaux usages. Par exemple, l'auto-partage, adapté au véhicule électrique. D'où le pilote lancé avec la smart à Ulm. Cela dépasse le simple véhicule si on prend en compte les dimensions logicielles et des technologies de l'information, qui sont capitales".
Alexandre Guillet : Doit-on parier sur l'émergence de constructeurs de taille modeste (Venturi, Heuliez, Bolloré etc.) ? Et quid des constructeurs chinois que plusieurs experts qualifient déjà de futurs rois du véhicule électrique ?
Julien Assoun : "La concurrence chinoise est bien armée, c'est une évidence. D'ailleurs, un constructeur comme BYD prend le parti de fabriquer les voitures comme les batteries. C'est intéressant d'étudier la situation chinoise qui diffère nettement de ce qui se passe ou va se passer en France. La spécificité française réside dans le fait que de par notre mode de production d'électricité, le véhicule électrique est très fortement décarboné. Le bilan carbone est ainsi excellent. En Chine, il faut prendre en compte la variable essentielle d'une production via des centrales à charbon. Cependant, pour la Chine, l'intérêt est aussi dans la réduction de la pollution locale. On se focalise beaucoup sur le zéro carbone, mais il convient aussi de prendre en considération tous les autres composants du zéro émission. Le bilan carbone est faible, mais il y a aussi un très faible niveau d'émissions locales, c'est-à-dire qu'à l'usage les véhicules électriques n'émettent rien. Sans oublier la pollution sonore car le véhicule électrique présente l'avantage de ne pas faire de bruit".
"Pour revenir sur les usages, il appert que nous initions un glissement vers une dimension renforcée de services. Sans oublier le cœur de métier qui est la fabrication du véhicule, le constructeur va aussi devoir accompagner le client dans son nouvel usage et dès lors, deux remarques s'imposent. Au sujet de la recharge, trois possibilités sont offertes : charge standard, charge rapide avec des bornes de forte puissance mises en services dans les infrastructures publiques, quick drop ou échange de batterie robotisé. C'est ce que nous proposons avec Better Place et c'est l'une des raisons qui nous a incités à opter pour la location de la batterie, car le client paie le service de disposer d'une batterie. Par ailleurs, toujours au chapitre des services et des usages, l'auto-partage peut effectivement être favorisé par le véhicule électrique dans la mesure où le coût fixe du véhicule est précisément partagé par les usagers qui ne paient en propre que les coûts variables. Or pour un véhicule électrique, le coût fixe est équivalent à celui d'un véhicule thermique, mais son coût variable est plus faible. Donc c'est intéressant".
"Les grands constructeurs ont quand même l'expérience du monde de l'automobile et de la conduite de projets d'envergure. Cela leur donne un peu d'avance par rapport à de nouveaux constructeurs de taille plus modeste, même si ces derniers peuvent parfaitement créer de l'émulation".
Alexandre Guillet : Le véhicule électrique est-il vraiment écologique même hors d'un contexte nucléaire et sans entrer dans ce débat ?
Bernard Brulé : "Nous ne sommes que des constructeurs et cette question englobe l'amont du véhicule, puis sa fabrication, et enfin son utilisation, et ce n'est donc pas forcément à nous d'apporter toutes les réponses. Evidemment, la question de la méthode de production de l'électricité est fondamentale. Ensuite, au plan de l'usage du véhicule électrique, la donne est limpide puisqu'il n'émet aucun polluant. Enfin, il faut pouvoir recycler voitures et batteries de manière intelligente sans gâcher tous les efforts accomplis auparavant. L'enjeu clé, c'est la batterie et plusieurs processus existent pour son recyclage. Reste à savoir si on fera des choix tranchés par des normes".
Jean-Michel Cavret : "Dans l'automobile, le concept "du puits à la roue" est souvent évoqué. Et il faut bien admettre que la France n'est pas le monde. Je m'explique, si vous produisez votre électricité avec des centrales à charbon, votre véhicule émettra 110 g de CO2 alors qu'avec le nucléaire, cette valeur passe à 5 g. On mesure donc bien l'étendue de la problématique proposée, mais aussi l'opportunité qu'il y a en France ! Avec le nucléaire, la volonté politique et l'engagement et le positionnement des constructeurs nationaux, on peut logiquement penser que cette troisième tentative pour développer le véhicule électrique va fonctionner. Il y a vraiment toutes les raisons de le croire".
RENDEZ-VOUS : Retrouvez la deuxième partie du compte rendu du colloque sur l'électro-mobilité (Demande & Changement de paradigme pour l'automobile ?) dans notre prochaine édition.
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