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Constructeurs

La révolution du véhicule connecté

Publié le 17 février 2015

Par La Rédaction
12 min de lecture
Le véhicule connecté est là. C’est un fait. Cependant, son développement soulève beaucoup de questions. L’Institut CSA revient sur cette révolution et les défis qu’elle fait naître.
Le véhicule connecté est là. C’est un fait. Cependant, son développement soulève beaucoup de questions. L’Institut CSA revient sur cette révolution et les défis qu’elle fait naître.

Nous sommes à la veille d’une formidable révolution qui va bouleverser le secteur de l’automobile. Selon les périodes, cette révolution se nomme télématique, véhicule connecté, Smart Car, véhicule autonome ou véhicule serviciel. Derrière tous ces termes, se prépare depuis des années une lame de fond… Aujourd’hui, tous les ingrédients sont réunis pour faire partir la vague.

Qu’est-ce qui se cache derrière ces termes barbares, quels sont les éléments nouveaux qui vont faire déferler la vague, qui sont les acteurs et les enjeux de cette guerre qui va opposer ni plus ni moins que les plus grands (les constructeurs automobiles, Google et Apple en premier lieu) ?

Le véhicule connecté, c’est quoi ? Demain, notre véhicule pourra échanger des informations avec le monde extérieur. Bardé de capteurs potentiellement branchés sur son système informatique, le véhicule pourra envoyer toutes sortes de données : le fait qu’il soit en marche ou arrêté, sa localisation, sa vitesse, le comportement du conducteur, l’état de son moteur et de ses organes… Il pourra aussi recevoir une multitude d’informations : état du trafic, présence de restaurants et de magasins à proximité, présence de dangers sur la route… Mais aussi communiquer avec l’infrastructure environnante comme les feux de signalisation, ou les véhicules qui l’entourent vous informant par exemple que le véhicule de devant est en train de freiner ou bien qu’un véhicule plus loin est sur le point de percuter un autre véhicule dans quelques centièmes de secondes et que vous feriez bien de commencer à freiner car il va falloir freiner très fort !

Dans le rétro…

Dans les années 80 et 90, il existait des téléphones de voiture ou la Renault 11 électronique que l’on pouvait commander à la voix. Dans les années 2000, il y a eu les premiers véhicules autonomes expérimentaux : 2005 Desert Challenge, 2007 DAPRA, les premières Google Car en 2009 mais aussi l’apparition de systèmes capables de prévenir les secours en cas d’accident (cf. les plateformes dédiées de PSA). En décembre 2011, Autolib’ proposait son service d’autopartage dont le succès repose aussi bien sur le véhicule en lui-même et le besoin d’autopartage que sur l’écosystème communicant qui l’entoure : je repère et réserve mon véhicule grâce à mon smartphone, ma carte RFID ouvre le véhicule que j’ai réservé - et seulement celui-là - je peux contacter un service de conciergerie pour réserver une place à distance : le personnel Autolib’ visualise alors en direct ma position et les places disponibles dans la zone où je souhaite me rendre, une fois mon véhicule déposé, je reçois un SMS avec le récapitulatif du temps que j’ai passé au volant de mon Autolib’. Aujourd’hui aux Etats-Unis, les véhicules de marque Audi sont capables, devant un feu tricolore, de redémarrer leur moteur quelques secondes avant le passage du feu au vert, grâce au serveur basé en Allemagne, qui les prévient que le feu va changer de couleur dans 5 secondes.

Alors la révolution du véhicule a-t-elle déjà eu lieu ?

La réponse est définitivement non ! Nous pouvons comparer ce qui nous attend avec la révolution qu’a connue la téléphonie mobile. A la fin des années 90, se connecter à Internet avec son téléphone mobile consistait à voir quelques mots sur un écran minuscule à côté duquel celui du Minitel ressemblait à un écran haute définition… bien loin de ce qu’il est capable de faire aujourd’hui. Un chemin au moins équivalent nous attend dans les années à venir sur le secteur de l’automobile.

Aujourd’hui tout est prêt d’un point de vue technique. Comme pour la révolution numérique, c’est le croisement des données qui va faire demain la différence. Les géants de l’informatique ont commencé par imposer un standard pour qu’un nombre suffisant de développeurs et start-up, avec une imagination sans limite, répondent tous les jours aux nouvelles attentes du consommateur, en faisant interagir plusieurs applications ou sources d’information (cartographie, position données par la puce GPS, données de trafic analysées par le serveur, carnet d’adresses, calendrier et goûts du consommateur sur les apps récentes…). C’est exactement ce que nous vivons aujourd’hui dans le secteur de l’automobile, c’est-à-dire la création d’écosystèmes. Du côté des géants de l’informatique, Google a annoncé lors de sa Keynote de janvier 2014, le lancement de la plateforme Open Automotive Alliance afin de permettre la mise en place de standards sur le secteur du véhicule connecté. La naissance d’Android Auto avec la sortie avant la fin de l’année du kit Android Auto SDK permettra aux développeurs indépendants de créer des apps que le consommateur pourra acquérir pour son véhicule aussi simplement que pour son téléphone portable. Apple avait annoncé l’arrivée d’IOS in the car en 2013, qui s’est aujourd’hui transformé en “Car Play”, système déployé sur plusieurs marques dont la prestigieuse Ferrari (Ferrari FF équipée de CarPlay présenté au Mondial de l’Automobile). Les constructeurs sont aussi très actifs et chacun propose sa solution. Du côté des Français, Renault propose sa plateforme R-Link et PSA depuis 2012 propose les plateformes Peugeot Connect Apps et Citroën Multicity Connect ainsi que l’API Car Easy App aujourd’hui. Ces systèmes ont pour objectif de mettre à disposition un écosystème ouvert permettant aux développeurs de proposer des applications qui fonctionneront sur les différentes plateformes téléphoniques (Android, iPhone, Windows phone et BlackBerry) et avec les différents constructeurs.

Pourquoi la vague du véhicule connecté peut-elle déferler aujourd’hui ?

C’est la demande côté consommateur qui va être l’élément déclencheur. Aujourd’hui, ce dernier mesure parfaitement ce que lui apporte le fait d’être connecté et de bénéficier de la continuité de connectivité (cf. les offres “triple play” et “quadruple play”). Il est devenu normal pour lui de commencer à lire ses emails au bureau, de continuer dans les transports en commun, de profiter de temps morts pour consulter les informations de son réseau social (Facebook, Twitter…) et de terminer sur son ordinateur personnel.

Pour ne pas rompre cette continuité de connectivité dans la voiture, le consommateur utilise basiquement son smartphone. Nombreux sont les consommateurs ayant acheté un véhicule, même haut de gamme, au cours des dernières années et qui font part dans nos études de leurs déceptions face à une communication impossible entre le véhicule et leur téléphone. Aujourd’hui, on voit naître de nombreuses applications destinées à la voiture (navigation + réseau social avec Waze, Axa qui propose des applications favorisant l’écoconduite…).

Par ailleurs, les constructeurs ne peuvent pas se permettre de proposer, sur les véhicules neufs, des systèmes intégrés disposant de moins de fonctionnalités que ce que l’on peut trouver en accessoire (aftermarket). Citons à titre d’exemple l’Asteroid de Parrot ou la marque Pionner qui a annoncé pour l’ouverture du Mondial 2014 la compatibilité de plusieurs de ses autoradios avec CarPlay d’Apple et Spotify. De plus, pour répondre aux réglementations de sécurité routière, les constructeurs s’adaptent, en proposant des solutions comme le kit main libre pour le téléphone, l’affichage tête haute pour ne pas quitter les yeux de la route, la reconnaissance vocale pour envoyer des SMS, des systèmes de message vocal indiquant que la personne est en train de conduire, certains constructeurs proposant même de ne pas passer l’appel lorsque le véhicule juge que la situation du trafic ne le permet pas.

La voiture va devoir suivre l’élan de la continuité de connectivité entre les différents moments de la vie du consommateur qui s’est imposé aujourd’hui et qui va se renforcer avec l’Internet des objets demain.

Alors que le plaisir et la liberté associés au véhicule d’hier provenaient largement de la qualité du produit lui-même, ce dernier devra demain être beaucoup plus serviciel. Le comportement de la génération Y par rapport au véhicule est d’ailleurs très intéressant à observer. Le véhicule, du moins tel qu’il a été vécu par les générations précédentes, n’est plus perçu comme le symbole ultime de la liberté ni comme une preuve de réussite sociale. L’enjeu de l’offre automobile réside dans sa capacité à se réinventer. Du côté des acteurs, tout le monde est d’accord pour dire que la valeur ajoutée dans le secteur de l’automobile passera du produit (être capable de fournir un produit de qualité) au service. Dès lors, la bagarre de demain visera à désigner qui, à terme, gérera et bénéficiera des revenus issus des éléments suivants :

- l’intelligence des véhicules : le logiciel qui équipera la voiture (le combat des OS, cf. Windows et IOS dans le monde de l’ordinateur)

- les services : de la collecte, au traitement et à la mise à disposition des informations jusqu’aux applications disponibles dans la voiture

- les outils de communication entre l’homme et la machine : tous les accessoires qui vont permettre au conducteur de communiquer avec le véhicule (affichage tête haute, écrans…).

Et après-demain ? Le temps long de la voiture

L’association de tous les éléments du véhicule connecté, notamment en ce qui concerne la sécurité et la délégation ponctuelle de conduite, devrait nous amener sans rupture nette vers la conduite autonome. On imagine donc que les enjeux sont énormes. Qui sera capable d’équiper tous les véhicules de demain ?

D’un côté, les géants de l’informatique, forts de leur expérience, considèrent que la valeur ajoutée se situe au niveau logiciel et de la capacité de calcul. Leur expérience consiste à traiter l’ensemble des données qui nous entourent et que nous générons afin de nous fournir la bonne information au bon moment. Une pratique qui va évidemment s’accentuer avec l’arrivée de l’Internet des objets (ou objets connectés). Au même titre qu’ils font la synthèse des données générées par nos communications, nos habitudes, par ce que nous écoutons ou regardons, pour nous proposer en retour une nouvelle information toujours plus pertinente, ils imaginent très bien la voiture de demain comme une nouvelle source de données, ayant besoin d’autres informations en retour. Finalement, peu importe qui fabriquerait la Google Car, du moment que Google puisse assurer une continuité de service.

De l’autre côté, les constructeurs automobiles considèrent, eux, que leur métier consiste avant tout à mettre en place des processus industriels fiables et que cette révolution digitale n’est qu’une nouvelle évolution comme ils en ont connues bien d’autres. Mettant en avant leur sérieux, ils ne veulent pas laisser les géants de l’informatique s’emparer de ce secteur.

L’obsolescence des systèmes informatiques embarqués d’origine est aussi un énorme défi à relever pour les constructeurs : on considère qu’en termes de vieillissement des produits, une année dans le monde de l’informatique équivaut à sept années du monde automobile. La durée de vie d’une voiture est d’en moyenne 14 ans. Ce qui veut dire que l’âge de l’informatique embarquée sur un véhicule âgé de 10 ans serait de 70 ans. Pour s’en convaincre, rappelons-nous qu’il y a 7 ans sortait le premier iPhone…

Dès lors, en ce qui concerne le véhicule connecté, les constructeurs automobiles sont pris dans un dilemme :

- mettre en place un système ouvert, où le smartphone constitue l’élément central de l’écosystème de communication, le système d’exploitation sur le véhicule permettant d’afficher les applications téléchargées et fonctionnant sur le téléphone

- ou mettre en place un système propriétaire afin de maîtriser à la fois les données qu’ils collectent sur leurs propres voitures (forte source de revenu), assurer la sécurité du véhicule et le respect de l’utilisateur (respect du data privacy).

L’enjeu de la sécurité informatique

Aux balbutiements du véhicule connecté, la sécurité informatique associée à la voiture n’est pas encore une préoccupation forte du consommateur. Toutefois cela risque de changer quand demain l’écosystème sera connecté avec la prise ODB du véhicule à la source de ses informations (situation du moteur, positionnement des roues, fonctionnement de l’ABS) et des commandes de ses organes (la climatisation, le démarrage, le freinage…), donc aux éléments de sécurité du véhicule.

Nombre d‘experts affirment que dans ce contexte les acteurs industriels seraient plus à même que les géants de l’informatique de garantir des systèmes fiables, utilisant depuis longtemps des systèmes d’exploitation dont les exigences en termes de fiabilité sont très élevées. Les géants de l’informatique répondant, eux, d’abord aux attentes de convivialité du grand public, une dimension que les constructeurs devront cependant intégrer.

Encore une fois, et bien heureusement, c’est le consommateur qui jouera le rôle d’arbitre. Dans quelle mesure va-t-il accepter que ses données soient exploitées ? Prendra-t-il conscience de la valeur de ces informations ? Que demandera-t-il en échange ? Va-t-il accorder sa confiance aux acteurs qui s’apprêtent à gérer ces données ? Rien n’est moins sûr. Ainsi, une récente étude menée par l’Institut CSA pour Axa montrait que la protection des données personnelles sur Internet arrivait en tête des préoccupations des Français (citée par 82 % des personnes interrogées). Symptôme de la mutation de la société, cette thématique arrive devant les grands sujets de société. Une autre étude menée par CSA pour Orange montrait que 42 % des Français ont le sentiment qu’en matière de protection des données personnelles sur Internet, la situation se serait détériorée ces dernières années contre 17 % seulement qui perçoivent une amélioration.­

L’une des problématiques des géants de l’informatique sera de faire évoluer leur image et d’apprivoiser aussi bien le consommateur que les constructeurs automobiles, ce qui explique qu’ils avancent doucement sur un terrain sensible. De leur côté, les constructeurs automobiles en profiteront-ils pour prendre l’avantage ?

Enfin, la valorisation que le consommateur accordera à ces services aussi est un élément central. En effet, ce dernier est habitué à bénéficier de services gratuits en échange d’informations le concernant : moteur de recherche, emails, sites d’informations…

A l’aube de la révolution du véhicule connecté, les questions ne font que commencer. Parmi les plus importantes : quel acteur prendra le lead de cette révolution ? Quid de l’utilisation des données personnelles du conducteur ? Enfin, quelle adhésion du consommateur à la délégation de conduite, élément déterminant pour imaginer les scenarii de développement du véhicule autonome, étape suprême de la révolution du véhicule connectée ?

Olivier Quedville, Directeur du Département Automobile de l’Institut CSA
 

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