"Harley est une marque communautaire, tournée vers le partage et l’hédonisme…"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Avant d’entrer chez Harley Davidson, quel regard portiez-vous sur la marque, en tant que femme ?
ISABELLE ZAMMIT. Mon mari roulait à moto, et c’est moi qui lui demandais régulièrement d’acheter une Harley car je les trouvais belles, authentiques, chargées d’histoire. Bref, ce sont des motos sur lesquelles je savais que j’apprécierais d’être passagère. J’entretenais donc un affect particulier avec cette marque, bien avant même de penser y travailler.
JA. Justement, comment êtes-vous entrées en contact ?
IZ. Quand je suis revenue d’Angleterre, j’étais très impliquée dans les réseaux féminins, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai postulé à ce poste. J’en avais déjà la vision, je m’identifiais aux problématiques que rencontrent les femmes qui veulent entrer dans le "monde de la moto", puisque je les avais aussi vécues. Le recrutement a été lourd, car c’était la première fois que Harley se lançait dans le Gender Marketing. La marque a évidemment demandé à ce que je passe le permis, sans toutefois m’y forcer. Mais c’était inenvisageable pour moi de parler sans savoir. Je l’ai donc passé pour la crédibilité de ma stratégie, mais aussi parce que j’en rêvais depuis longtemps. Et aujourd’hui, je roule en Harley, bien sûr.
JA. Pourquoi Harley Davidson France a-t-elle décidé de tester le Gender Marketing en créant ce poste ?
IZ. Le poste existe aux Etats-Unis depuis cinq ans, mais avec une approche tout à fait différente. Je pense que la filiale française a saisi une opportunité conjoncturelle. Nous évoluons dans une société où la place de la femme se trouve en pleine mutation, et où il est désormais de plus en plus accepté qu’elle passe le permis et s’achète une moto sans rien avoir à dire à personne. Comme fumer un cigare ou sauter en parachute, par exemple ! Le message consiste à dire "stop" aux clivages des passe-temps "genrés". Bien entendu, dans le cas d’une marque de moto, il s’agit aussi de chercher des sources de business complémentaires, sources que l’on retrouve notamment chez les femmes, les jeunes…
JA. Toutefois, la marque, dans la tête des clients, n’est-elle pas justement la marque la plus machiste au monde, avec ses cuirs et les longues barbes de ses clients historiques…
IZ. Dès mon arrivée, j’ai lancé une vaste étude de marché concernant la moto au féminin, de manière très large, de l’utilisatrice du scooter à la passagère de gros cubes, dans toutes les marques. Et ce qui nous a marqués, c’est que Harley Davidson s’est révélée comme la marque faisant le plus rêver les femmes. Si le monde de la moto est considéré, dans son ensemble, comme un monde masculin, Harley apporte, semble-t-il, quelque chose en plus.
JA. Quel est, selon vous, l’argument produit qui peut faire la différence en faveur de Harley Davidson, pour une femme ?
IZ. Je crois que la prise en main se révèle beaucoup plus simple, dans un premier temps. Par ailleurs, dès le coup de démarreur, vous basculez dans un autre monde. On ne parle plus là de performances, de tenue de route ou autre. Et c’est ce qui intéresse les femmes. Elles savent qu’une Harley Davidson se customise au plan esthétique et peut s’adapter à ce qu’elles sont (lever ou baisser le guidon, la selle, par exemple), pour disposer d’une moto unique. Bref, s’inscrire dans le monde de la moto, sans toutefois céder aux poncifs qui accompagnent généralement cet univers.
JA. Les canaux de distribution jouent également un rôle important dans l’ouverture de la marque…
IZ. Vous n’imaginez pas le nombre de femmes qui n’osent pas sauter le pas, et la frustration que cela engendre. C’est donc un problème d’image de la moto au féminin, de stéréotypes, de clichés… Souvent, les femmes ont peur de se rendre en concession. C’est pour cela que nous travaillons énormément à les rendre accueillantes, avec des vendeurs sympas, une ambiance sans prise de tête. Chez Harley Davidson, pas de cathédrales et de larges espaces froids sans âme où on vous regarde de haut parce que vous êtes une femme ! Nous pouvons le faire car nos motos se démarquent. Elles ne se placent ni dans la vitesse ni dans la performance. C’est la raison pour laquelle notre image se révèle finalement moins machiste.
JA. Avez-vous de suite été bien accueillie ?
IZ. Tout à fait. Il y a beaucoup de femmes chez Harley Davidson France. Quant au réseau, vous imaginez bien qu’une femme qui ne va travailler que pour les femmes et va leur dire comment appréhender cette clientèle, ce n’était pas gagné d’avance ! Pourtant, étonnamment, mon intégration s’est bien déroulée. Je ne dis pas que les concessionnaires ne me testent pas pendant la première demi-heure, mais si l’on tient la route, ils deviennent alors votre plus grand soutien.
JA. Quelles relations entretenez-vous avec le marketing “classique” de la marque ?
IZ. Toute ma stratégie a été développée après des études de marché et de positionnement, et sur la base de la posture de marque d’Harley Davidson. Je ne veux pas de “ghettoïsation”, mais de l’intégration. Dans tout ce que je fais, à part les soirées spéciales, les hommes sont toujours inclus.
On répond aux besoins d’une manière générale, mais nous connaissons plusieurs typologies de clients. Au même titre que nous n’abordons pas de la même manière les différentes tranches d’âge, nous avons simplement une approche décalée pour les femmes, mais dans un univers de marque parfaitement identique. Il faut avant tout aller à leur rencontre, car on doit passer au-delà de clichés.
JA. Pouvez-vous nous donner quelques exemples des initiatives spécifiques réalisées auprès des femmes ?
IZ. Nous les invitons à entrer dans le monde d’Harley Davidson, avec les soirées “Chrome And Roses”, qui leur sont réservées et que l’on organise en partenariat avec la distribution. La concession n’est alors ouverte qu’aux femmes, et là, nous mettons en place des ateliers, des simulateurs, la présentation de la gamme, des personnalisations… Nous avons aussi créé un exercice “relevage de la moto”, car les femmes n’ont qu’une hantise, c’est que leur monture chute. Il s’agit là encore de démystifier, de leur apprendre que c’est d’abord une question de technique. Le tout dans une ambiance conviviale avec apéritif dînatoire… C’est comme cela que l’on crée un lien avec les personnels de la concession. On s’aperçoit que si les soirées se tiennent entre 19 et 21 heures, les invitées sont bien souvent encore là à minuit ! Par exemple, nous avons réuni 100 femmes dans la concession de Limoges un vendredi soir ! C’est incroyable, surtout sans aucune campagne de pub.
JA. Comment parvenez-vous à convaincre le réseau de vous suivre dans votre démarche ?
IZ. Ce n’est pas toujours simple, parce que c’est un réseau d’indépendants. Mais je peux dire que s’ils n’y croyaient pas, nous ne leur vendrions pas le concept. Sur les 50 concessionnaires, la moitié organise des soirées ou des journées “démo”. Parfois les deux sur un vendredi. Sur le premier semestre 2014, j’ai enregistré pas moins de trente événements dédiés aux femmes en concession dans le réseau. Ils savent en outre que, dès lors qu’ils travaillent sur une cible féminine, bien souvent, ils touchent un homme…
JA. Voyez-vous vos prérogatives comme une mission ou bien un poste à long terme ?
IZ. Je pense que le message doit vraiment être porté durablement. Quand nous avons commencé, nous cumulions 3% de clientèle féminine. Aujourd’hui, avec plus de 10 %, l’objectif consiste à aller beaucoup plus loin encore. Et quand vous voyez que les moto-écoles développent des modules spécifiques pour les femmes et que les candidates au permis arrivent presque à parité avec les hommes, cela montre le potentiel.
JA. Comment expliquer que, sans “Gender Marketing”, certains pays, la Suisse par exemple, soient aujourd’hui mieux placés sur la cible féminine ?
IZ. Le pourcentage de ventes de motos aux femmes est plus élevé qu’en France, c’est exact, mais les volumes, eux, restent confidentiels. Toutefois, je dois reconnaître que l’environnement est plus propice pour rouler en Suisse.
Par ailleurs, il subsiste une différence de moyens… En France, la moto de Madame n’arrive qu’assez loin dans les choix de priorité. Enfin, le permis reste difficile à obtenir dans l’Hexagone, et c’est l’un des plus complets au monde, après le Japon. Et puis, la culture germanique, pour prendre cet exemple, demeure assez différente de la nôtre sur le sujet, plus ouverte. Il y a moins de stéréotypes.
JA. Harley Davidson reste-t-elle la meilleure marque pour démocratiser la moto auprès des femmes compte tenu de son image Premium et chère ?
IZ. Souvent, on pense que la marque Harley Davidson se positionne sur les hauts tarifs et que c’est une marque élitiste. Mais je rappelle que notre premier prix s’affiche autour de 8800€, soit quasiment le prix d’une japonaise.
Aujourd’hui, la femme contribue souvent autant que l’homme dans le ménage, et donc, au même titre que lui, elle peut se faire plaisir. Ce n’est pas du féminisme outrancier, juste du bon sens. Pourquoi ne pas axer le discours de vente sur le choix entre changer la cuisine ou acheter une moto pour Madame !
JA. Harley Davidson doit-elle s’adapter aux femmes ou bien le contraire ?
IZ. Je pense que les deux doivent se rencontrer. Comme dans toute relation, soit on se plaît, soit ça ne fonctionne pas. Nous parlons là d’une rencontre de deux systèmes de valeurs. Harley a le sien et n’a pas à le changer, elle représente une culture et une image très anciennes, et les clients de longue date ne comprendraient pas qu’on change cela. Et, sans proposer à la vente des motos roses, nous parvenons à nous montrer très séduisants vis-à-vis des femmes.
JA. Est-ce que le plan produit tient compte de votre mission ?
IZ. Aucune Harley n’est faite pour les femmes, mais elles peuvent toutes les utiliser sans problème, de la 883 au Road King. Il y en a pour tous les goûts. Il est exact que la "Street" qui arrive est plus légère et pourra donc séduire la gent féminine, mais je refuse de dire que c’est une moto de femme. Cela serait dénigrant et même discriminant. Il n’existe pas un permis pour homme et un autre pour femme, pourquoi faudrait-il qu’il y ait des motos spécifiques ? Très souvent, les femmes commencent avec une Sporster, parce que leur mari les a conseillées, et puis, très vite elles passent sur une Dyna ou une Softail, plus maniable, plus confortable…
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