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Constructeurs

Frank Marotte, Toyota : "Avoir un réseau financièrement sain"

Publié le 20 avril 2020

Par Alice Thuot
7 min de lecture
Le patron de Toyota France, Frank Marotte, décrypte les conséquences de la crise sanitaire et économique sur le marché automobile français, sur les ambitions de la marque et sur son réseau.

 

Toyota France a affiché des résultats peu habituels en mars. Comment envisagez-vous les mois et l’année qui arrivent ?

Nous subissons la baisse de marché avec des activités de vente quasiment à l’arrêt, tandis que seule l’après-vente subsiste. Nous n’avons pas d’autre choix que d’attendre. A ce stade, nous savons que l’activité va reprendre le 11 mai, mais nous ne savons pas dans quelles conditions puisque nous ignorons dans quelle catégorie de commerce l’automobile va être considérée. Nous discutons avec le gouvernement et les organisations professionnels, sachant que, de notre avis, le commerce automobile s’impose comme un métier essentiel car permettant la mobilité d’une partie de la population. Nous gardons une vision fondamentalement optimiste et avons bon espoir, que, dans un pays moderne comme le nôtre, nous parviendrons à sortir de cette crise sanitaire par le haut et à reprendre une activité sociale normale.

 

Avec une bonne partie de l’année gâchée, les derniers mois de l’année pourraient-ils permettre un rattrapage ?

L’automobile reste une vecteur de liberté, de mobilité individuelle, et il est probable que cette dernière ressorte renforcée de cette crise. Jusqu’à l’été, nous devrons composer avec des restrictions imposées à certaines catégories de personnes, créant des contraintes et perturbant le marché automobile. Nous restons optimistes pour la suite avec une reprise pleine et entière espérée en septembre et une possibilité de rattrapage, partiel, des mois perdus. La baisse du PIB est actuellement estimée à 8 % en 2020, du jamais vu depuis la crise des années 30. Il s’agit d’un choc beaucoup trop violent pour obtenir une année qui se sera globalement bien passée. Si nous regardons l’histoire, le marché auto est logiquement lié au PIB : 1 point de PIB en moins est synonyme d’environ 3 points de marché, ce qui donne un repli d’environ 25 %. Après une chute de 72 % en avril et, probablement, proche de 100 % en mars, il y aura donc un rattrapage certain pour atteindre ces 25 %. Nous discutons avec les autorités des leviers qui pourraient accélérer ce rattrapage.

 

Sous quelle forme ?

Le discours que nous défendons est que l’automobile a deux vertus. Une vertu vis-à-vis des clients : l’automobile touche quasiment tout le monde, donc si la consommation de ce bien est encouragée, une énorme partie de la population est concernée. Deuxième vertu, celle en termes d’emplois. Si l’ensemble des parties-prenantes est considéré, l’industrie automobile pèse environ 10 % de l’emploi total en France. Miser sur l’automobile est donc un levier puissance à la fois pour satisfaire le client et protéger l’emploi de manière massive. Il serait dommage pour l’Etat de s’en priver. Quant à la forme de ces aides, il faut garder en tête un objectif plus stratégique que jamais : être vertueux dans l’achat automobile. Et ce, via des incitations permettant de renouveller les véhicules peu contributeurs à la baisse du niveau de carbone.

 

Toyota n’était donc pas pour le moratoire sur le CO2 ?

Nous ne l’avons pas initié, et ce n’est pas ce que nous préconisons. On peut tout de même s’apercevoir que, globalement, la sauvegarde de l’environnement et la promotion d’un monde meilleur, socialement mieux organisé, est plus que jamais important pour éviter les crises qui mettraient tout bonnement en péril notre espèce.

 

Cette crise ne risque-t-elle pas de freiner les aspirations écologiques des consommateurs ?

En temps normal déjà, les clients ont une certaine réserve quand il s’agit de payer plus cher des produits plus sains. Et cette vérité est donc encore plus vraie en période de crise, même si les les mentalités évoluent, et pas que dans l’automobile. On peut donc s’attendre, dans cette période crise, à un frein et c’est pour cela qu’il faut accompagner les consommateurs, afin de réduire l’écart financier entre les électrifiés et thermiques - même si les hybrides Toyota sont très compétitifs- et notamment sur les petits véhicules et pour les ménages à revenus modérés.

 

Comment la marque aide-t-elle le réseau à traverser cette crise ?

L’important est d’avoir un réseau qui a bien survécu à cette crise et qui sera resté sain financièrement, prêt au redémarrage de l’activité. Il s’agit donc de soutenir nos investisseurs privés via deux leviers majeurs : d’une part, l’évolution des objectifs qui déterminent leur rémunération, le second, la sauvegarde de la trésorerie. Nous accompagnons nos concessionnaire par un certains nombre de dispositifs financiers de manière à ce qu’ils disposent d’un fond de roulement pour redémarrer l’activité. Outre les aides de l’Etat, nous accompagnons le réseau en terme de financement des stocks et via le report d’échéances.

 

Qu'en est-il du niveau des stocks du réseau ?

Nous sommes entrés dans la crise avec un stock faible et sain. Nous étions en flux tendu entre le niveau de l'offre et de la demande avant la crise, et cette situation s'est ensuité figée puisque nous avons arrêté de produire dès que les espaces de vente ont fermé. Le réseau va donc redémarrer dans de bonnes conditions, sachant que les stocks actuels sont composés de véhicules déjà commandés par les clients. Nous avons en effet eu très peu d'annulations de commandes, car nous avons la chance d'avoir un profil de clients plus sécurisés financièrement par rapport à d'autres marques.

 

Une guerre des prix pourrait-elle avoir lieu ? 

C'est tout à fait possible. Mais il faut quand même noter qu'il faut pouvoir se payer une guerre des prix, qui a un vrai coût économique. Tous les constructeurs souffrent, et les résultats économiques vont en pâtir. Ajouter une guerre des prix sur des pertes déjà constatées pourrait arriver, mais cela serait extrêmement malsain.

 

Cette crise pourrait-elle accroître la concentration du réseau ?

Les crises sont propices à quelques événements qui ne seraient pas arrivés naturellement. Néanmoins, elle ne remet pas en cause notre stratégie de développent réseau, Toyota n’est pas une marque qui résonne à court terme. Nous avons une stratégie de moyen et long terme pensée en fonction des nouveaux modes de commercialisation mais aussi de l’évolution de la valeur de ce que nous produisons et en fonction de notre stratégie de devenir un acteur de mobilité. Nous avons entamé une phase de concentration forte, avec aujourd’hui 60 investisseurs en France. Notre schéma restera le même. S’il doit y avoir disparition de certains opérateurs, ce sera plus par nécessité et non pas par opportunisme ou stratégie. Les autres marques n’ont peut-être pas la même stratégie ni le même état d’avancement en terme de concentration réseau, et auront dont peut être des actions différentes que la crise permettra de mettre en oeuvre.

 

Cette situation de crise est-elle l’occasion de donner de l’essor au digital ?

Notre activité commerciale est quasiment à l’arrêt, seuls deux canaux sont aujourd’hui actifs : celui des sociétés dont les contrats arrivent à échéance et celui du digital. Nous venons d’annoncer que le système de réservation en ligne, déjà mis en place pour la GR Yaris il y a quelques semaines, est désormais disponible pour la Yaris hybride. Digitaliser nos activités VN, VO et après-vente était déjà notre volonté avant cette crise, qui a toutefois été un catalyseur nous ayant fait mesurer la nécessité et le besoin de digitalisation. En après-vente, nous avons par exemple le système de réservation et de prise de rendez-vous en ligne, le paiement devrait suivre. Coté VN, l’objectif est d’étendre à tous les véhicules de la gamme cette réservation en ligne. A partir du moment où l’outil est opérationnel et en phase avec la demande client, nous le généraliserons. Il est fort probable que nous irons plus loin que la simple réservation en ligne, même si le réseau restera un passage incontournable. L'équilibre économique est à trouver dans la répartition de la valeur générée par les opérations. Nous devrons tenir compte des investissements en bâtiment, des moyens matériels et des forces humaines déployées par nos investisseurs.

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