Ford Motor Company : Un mythe en pleine crise
...un nouveau plan de restructuration drastique. L'avenir du groupe dépend directement des résultats de ce plan.
L'histoire
Difficile de parler du groupe Ford sous un angle exclusivement contemporain tant son empreinte historique, voire affective, est forte. Empreinte se confondant bien souvent avec celle de l'histoire automobile. La Ford Motor Company est ainsi née en juin 1903, avec un capital de 150 000 $, dont 28 000 $ issus des économies du fondateur, Henry Ford. L'usine, basée à Detroit dans un ancien site de production de fiacres, peine à prendre son envol, mais le dynamisme de Henry Ford, qui planifie près de vingt modèles en cinq ans, et surtout le lancement de la Ford T en 1908 décantent la situation et assurent sa pérennité. Avec la Ford T, un mythe est né : 15 millions d'exemplaires vendus dans le monde ! Avec ce modèle, Henry Ford formalise aussi le concept de restylage, en sachant renouveler très légèrement son modèle pour stimuler la demande et optimiser son cycle de vie commerciale. Avec cette voiture populaire, la FMC connaît une croissance exceptionnelle qui garantit son expansion. Aux Etats-Unis bien entendu, mais aussi dans des contrées plus lointaines : un pied en Asie dès 1909, puis l'Amérique du Sud et l'Europe en 1911 (il faudra attendre 1925 pour la France, en l'occurrence Bordeaux…), et encore l'Australie en 1925. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, la FMC, pilotée par la famille Ford, vit au rythme de l'essor, mais à l'issue du conflit, le groupe est exsangue. Ses modèles sont frappés d'obsolescence et les pertes deviennent problématiques. Henry Ford II lance alors un plan de restructuration qui rime avec une vaste décentralisation : 44 usines de fabrication, 18 usines d'assemblage, 32 centres de distribution de pièces, 13 centres de R&D ! En 1956, il prend la décision d'ouvrir le capital de FMC au public. En 1959, la Ford Credit Company est créée, tandis que l'entreprise Motorcraft, dédiée à l'activité PR, voit le jour en 1961. C'est une nouvelle période faste pour Ford. Avec GM, les deux géants font figure de référence dans l'industrie automobile, d'autant qu'ils parviennent aussi à peser sur la vieille Europe. Cependant, les premiers signes de faiblesse vont apparaître et Ford va devoir gérer des crises et un héritage parfois encombrant. La crise actuelle (voir par ailleurs) est sans nul doute la plus aiguë de l'histoire de la FMC.
Le "fordisme"
L'histoire de Ford et du modèle T sont aujourd'hui indissociables du concept de "fordisme" trop souvent réduit à la seule application de travail à la chaîne. S'inspirant des travaux de Taylor, Henry Ford leur adjoint des volets de standardisation et de mécanisation (sans rentrer dans le détail des préceptes organisationnels de cette "école"). La production de masse est alors rendue possible. D'autant que les salariés, en partie "déqualifiés", reçoivent en contrepartie un salaire supérieur aux moyennes observées dans les autres industries à l'époque, ce qui a notamment rendu célèbre le "five dollars day". Toutefois, le taylorisme et le fordisme présentent quelques faiblesses que le temps va mettre en lumière, parfois cruellement pour certains dirigeants ayant cru ces principes immuables. Ainsi, ils tolèrent une qualité médiocre de la production et surtout, ils ne garantissent pas une capacité de réaction rapide face aux marchés. Dès la fin des années 70, le toyotisme tend à devenir la référence pour l'industrie automobile, étiolant peu à peu le fordisme. Toyota impose plusieurs réponses : meilleure intégration des personnels, plus grande polyvalence, production à la commande via la méthode Kanban, mise en avant des cinq zéros (défaut, stock, papier, panne, délai), amélioration continue et impératif de qualité. Ce n'est pas un hasard si on qualifie aujourd'hui souvent le toyotisme d'organisation post-tayloriste : Toyota va devenir - est déjà à bien des égards - le premier constructeur mondial et ses méthodes inspirent tous ses concurrents, y compris américains. Le toyotisme a remplacé le fordisme.
La constitution d'un groupe
Contrairement à General Motors, le groupe Ford est avant tout construit sur une marque (Ford). Toutefois, dès 1922, la FMC acquiert la Lincoln Motor Company pour se positionner sur le haut de gamme. Et en 1938, Mercury voit le jour pour faire office de marque intermédiaire entre Ford et Lincoln. Si on occulte le malheureux épisode Edsel, il faut attendre le milieu des années 80 pour voir la FMC prendre sa géométrie actuelle, sous l'angle stricto sensu "construction automobile" s'entend. En 1986, elle prend une participation importante dans Mazda, qui reste néanmoins indépendant. Puis rachète Aston Martin (1987), Jaguar (1989) et enfin Volvo (1999) et Land Rover (2000) pour se doter d'un pôle de luxe, qui s'est traduit par la création du PAG (Premier Automotive Group). Une unité aujourd'hui en complète déliquescence et qui n'a d'ailleurs jamais fonctionné. Perdue dans un éclatement des gammes et des positionnements, elle n'a pas engendré les synergies attendues et
FOCUSFord au 3e trimestre : toujours dans le rouge ! |
Une vertigineuse chute des ventes
En dépit de trois plans de restructuration successifs au cours de ces dernières années, le groupe Ford ne parvient pas à redresser la tête. Les derniers résultats (3e trimestre 2006) communiqués par la direction sont tout bonnement calamiteux. Alan Mulally, nouveau président de Ford depuis que Bill Ford Jr a été mis en retrait (la famille Ford détient tout de même toujours 40 % du capital du groupe), ne s'en cache pas et les qualifie "d'inacceptables". Le secteur automobile accuse une perte de 1,8 milliard de $, soit 7,2 milliards de $ depuis le début de l'exercice ! Mazda dégage encore des profits (40 millions de $), tandis que PAG s'enfonce dans la nasse (- 593 millions de $). A l'échelle du globe, à l'exception de l'Amérique du Sud, toutes les grandes régions mondiales perdent de l'argent : Asie-Pacifique et Afrique, Europe et bien entendu, Amérique du Nord. L'Amérique du Nord reste en effet le principal problème du groupe qui ne parvient pas à enrayer la baisse de ses ventes sur son marché domestique. En l'espace de cinq ans, c'est-à-dire la présidence effective de Bill Ford Jr, la part de marché de Ford est passée de 24 à 17 %… Si les analystes financiers refusent majoritairement de tirer sur l'ambulance, ils pronostiquent un nouveau glissement vers les 15 % de PDM et certains n'hésitent pas à dire qu'à ce rythme-là, il est davantage question de survie que de perspectives. Les raisons de cet échec sont identifiées : modèles à fortes consom-
mations de carburant en inadéquation avec la demande ; perte de vitesse face à la concurrence asiatique, ventes en concession en terrible baisse non compensée par les ventes en gros, surproduction entraînant une politique de remises déraisonnables pour se débarrasser des stocks). Mais le groupe ne parvient pas à réagir rapidement. En Europe, sur la base d'une gamme très performante, le groupe parvient à dégager de minces bénéfices annuels, mais pâtit d'un va-et-vient peu propice à l'équilibre en termes d'organisation et de hiérarchie (prise de décision tantôt décentralisée par pays, tantôt concentrée en Allemagne…). En France, le groupe s'est maintenu bon an mal an au fil des derniers exercices, mais il n'en reste pas moins qu'il a perdu près de 50 000 ventes en dix ans, principalement à cause du net recul de la marque Ford.
Un plan social historique
Face à ces difficultés, Ford s'est résolu à prendre de nouvelles mesures draconiennes, par l'intermédiaire d'un plan de restructuration et d'un plan social. C'est le "Way Forward" principalement destiné au marché nord-américain et qu'Alan Mulally a été obligé de durcir dès son arrivée aux affaires. Les grandes lignes de ce plan d'une ampleur effarante sont connues : 44 000 suppressions d'emplois, réduction des coûts d'exploitation de 5 milliards de $, fermeture de 14 usines, réduction de la capacité de production de 26 %, fin de l'activité Automotive Components Holdings (ce qui renvoie en filigrane à la lourde ardoise Visteon avec laquelle le groupe doit composer). Alan Mulally a accéléré le calendrier de ce plan, sous l'effet de résultats encore plus mauvais que prévu et d'un retour à la rentabilité décalé à 2009 minimum. Parallèlement, le groupe négocie âprement avec les syndicats pour s'exonérer de coûts sociaux ingérables, hérités du système américain de l'après-guerre. "On ne pourra trouver une solution au problème que si les entreprises et le gouvernement travaillent de concert. Et c'est tout bonnement la compétitivité des groupes américains basés sur place qui est en jeu…", estime tout simplement Bill Ford Jr. Au-delà de ces quelques exemples spectaculaires de cure de rigueur, le groupe veut rajeunir ses produits (à 3,2 ans d'ici 2008, contre 4,4 ans actuellement) en renouvelant notamment 70 % des gammes Ford, Lincoln et Mercury. Avec un effort particulier sur les segments des pick-up de luxe, SUV, crossover et petits véhicules urbains trop longtemps délaissés, voire méprisés. Au final, ce plan de restructuration, aussi nécessaire que douloureux, interdit à la FMC des résultats immédiats, car son coût pèse lourdement sur les comptes. D'autant que Ford a déjà vendu une pléiade de ses actifs (Hertz par exemple) et que la cession partielle de l'activité rentable de Ford Crédit ne serait pas forcément bénéfique - sans mauvais jeu de mots - à long terme.
Alexandre Guillet
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