F1 et modèles de série, même combat
...Pourtant, les synergies des deux mondes sont multiples et touchent à des domaines des plus importants.
L'un des points clés qui décidera notamment de la réussite de Laguna III, comme de celle de la R27 tient en un mot, si l'on écoute les propos des dirigeants de Renault. Qualité. Qu'il s'agisse du programme série ou de la gestation d'une voiture de course, l'importance de la qualité est tout aussi évidente. La philosophie mise en place est donc assez logiquement identique. "L'excellence qualité", chez Renault, regroupe l'ensemble des méthodes qui permettent de concevoir un produit. Ces méthodes, précises et sans cesse améliorées, sont consignées dans un cahier des charges, dont la rigueur et la précision influent fortement sur la qualité du produit final. La qualité passe par exemple par l'optimisation des coûts dans la fourchette pré-établie par le cahier des charges. Ils ne doivent être ni trop serrés, ni trop larges. En F1, le budget est déterminé en début de saison et ne peut bénéficier d'aucune rallonge, quelle que soit la compétitivité de la monoplace… Dans le cas de Laguna, par ailleurs, le volume de véhicules réalisés demande de trouver le juste équilibre entre fiabilité et coûts. Car un centime d'euro d'économie par unité, en effet, prend vite de grandes proportions à l'échelle de la production. La relation avec les fournisseurs est, enfin, primordiale. Le but est de parvenir au respect du cahier des charges, en limitant les coûts et les taux de rebut. Une parfaite connaissance du fournisseur et une bonne définition du produit constituent, là encore, la clé dans la recherche de la qualité. La réalisation de certaines pièces passe d'ailleurs par le co-développement entre Renault et ses fournisseurs. Mise en place par la grande série, cette technique a été peu à peu développée par le Renault F1 Team. Des problématiques très différentes donc, pour des attentes en tout point similaires. La réussite.
Michel Faivre-Duboz, Directeur du développement de l'ingénierie véhicule. Membre du comité de direction de Renault.
Journal de l'Automobile. Comment avez-vous abordé ce programme Laguna III. Qu'a-t-il changé dans l'ingénierie de Renault ?
MICHEL FAIVRE-DUBOZ. Pour bien comprendre le travail réalisé, il faut remonter en 2000-2002 avec la sortie de la gamme M2S, c'est-à-dire les Laguna II, Espace et Vel Satis. A cette époque, nous avions conscience de faire des produits techniquement réussis mais qui, parfois, ont occasionné des difficultés en termes de qualité. Il y eut alors une prise de conscience importante afin de "verrouiller" strictement notre système qualité. De plus, les attentes du marché ont évolué. Même si l'attente client a toujours été exigeante sur la qualité, la pression sur l'innovation a aussi toujours été très forte au prix de quelques prises de risques. Ceci n'est plus accepté par le marché qui souhaite être rassuré totalement sur l'absence de défaillance. Dès 2001 nous nous sommes recalés sur cet impératif. Le 30 juin de cette même année, j'ai proposé à Louis Schweitzer l'ouverture de l'école de l'ingénierie au Technocentre. Cette école est le symbole de notre volonté de transmission du savoir technique jusqu'au plus profond de notre organisation. Cela s'est traduit par différents programmes de travail que nous avons fédérés dans le Système de Conception Renault. Durant la même période, nos collègues de la fabrication avaient développé le Système de Production Renault. Deux systèmes regroupant nos meilleures pratiques mais aussi tout ce que l'on pouvait apprendre de l'extérieur et en particulier de notre partenaire Nissan.
JA. Pourriez-vous nous donner un exemple des apports de Nissan en la matière ?
MF-D. L'un de mes collaborateurs a intégré l'ingénierie de Nissan pendant 3 années comme chef de projet industriel. A ce titre, il a participé, entre autres, à la vérification systématique de la conception. Ainsi, durant le projet, il a dû vérifier trois fois pas moins de 6 000 lignes de conception produit/process. C'est un exemple de la capitalisation par les standards, telle que nous la pratiquons avec nos propres apports. Ces standards sont intégrés à une check list qui nous permet d'éviter la logique du "trop tôt ou trop tard" durant la phase de conception. Ces méthodes sont aujourd'hui indispensables car dans un développement international il faut que les processus soient connus, fédérés et vérifiables. Laguna III représente un point de passage important, elle est le produit le plus sophistiqué que l'on ait été amené à mettre dans notre trajectoire de sortie de modèles. Nous faisons ici la preuve que cela fonctionne. Mais d'autres véhicules de la marque comme Modus, Clio III ou Megane, que nous avons largement fait progresser depuis 2002-2003, sont dans cette logique. Aujourd'hui, dans un système international, nous ne pouvons pas laisser apparaître un îlot français dont le fonctionnement serait indépendant du reste. Sans pour autant dire qu'il existe une façon mondiale de tout faire, il faut assurer un niveau significatif de fonctions standards. Nous travaillons, par exemple, de manière très étroite avec notre filiale Renault Samsung Motors en Corée et ce système nous permet de donner de manière extrêmement claire la description des taches à effectuer avec un niveau de détails important. Dans l'automobile tout est dans le détail. L'ensemble de cette approche représente un énorme changement culturel dans l'entreprise.
JA. Quel est l'impact de ce système sur le temps de développement ? Toutes ces vérifications ne vous font-elles pas perdre du temps au final ?
MF-D. Nous gagnons du temps car nous allons plus vite vers des solutions fiables. Mais effectivement ces phases de contrôle, de vérifications, peuvent nous ralentir. En 2000-2001 nous avons connu des dérapages de planning mais aujourd'hui c'est interdit ! Nous casserions le business de l'entreprise. Nous avons notre référentiel de planification, notre bible, que nous adaptons en fonction de la complexité du projet. Ce planning respire en phase de convergence amont mais dès qu'un tampon rouge apparaît sur celui-ci, comme chez Nissan, il est totalement gelé pour tous les acteurs. Si le travail de préparation a été bien engagé, le développement se fait dans la sérénité. Mais si des aléas ponctuels majeurs apparaissent, il faut être capable, dans le respect de la législation, de générer des task forces qui travaillent nuits et week-ends pour éradiquer les problèmes. Vu par les équipes cela peut apparaître comme contraignant, mais une fois le challenge relevé, la satisfaction est énorme. Ce cas de figure s'est présenté sur la Clio III après une retouche stylistique à l'arrière. La crainte de ne plus respecter le planning était présente mais nous avons réussi à maintenir le délai de conception malgré les modifications apportées, ceci dans le respect de la qualité due aux clients.
JA. Qu'en est-il de l'évolution des coûts de développement ?
MF-D. Les coûts de développement automobile baissent chez tous les constructeurs. Malgré les apparences, cette approche contribue à cette tendance. Le fait d'aller vers des solutions utilisant les meilleurs standards actualisés est beaucoup moins consommateur d'argent qu'une conception ouverte. De plus, même si la mise à jour des bases de données peut prendre du temps c'est sans commune mesure avec les conséquences d'une campagne de rappel ! Le seul but de cette démarche qualitative est la satisfaction de nos clients. Il s'agit là, je le répète, de l'évolution actuelle de l'automobile : le client souhaite zéro problème tout en ayant la meilleure prestation possible. Nous devons être irréprochables sur les fondamentaux que sont la fiabilité, la sécurité, la tenue de route ou le confort. Aujourd'hui, Renault est plus souvent connu par ses produits que par son image de marque. Tout en recherchant la meilleure compétitivité technique de nos produits, nous devons faire évoluer l'image de Renault vers une sérénité d'usage systématique, une réassurance meilleure par rapport au produit que le client va utiliser. Il faut voir ici un changement profond du mode de gouvernance de l'entreprise. Laguna III en est un fédérateur.
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