Et si le hasard faisait bien les choses : Louis Schweitzer, président du conseil d’administration de Renault
...Portrait d'un homme de passions.
Qu'est-ce que le destin ? Est-il tracé sans possibilité de modification ? Le hasard y a-t-il une place ? Celui de Louis Schweitzer était-il à la tête de Renault ? On peut supposer que non. Sa trajectoire professionnelle ressemblait plus à celle d'un président de la Cour des comptes, voire même à celle d'un ministre, qu'à celle d'un capitaine d'industrie. De la bouche même de Louis Schweitzer, le hasard a pris une place dans son parcours. Cependant, ce soit disant hasard ne doit en rien occulter les compétences de l'homme. Après une licence en droit, l'IEP de Paris puis l'ENA, Louis Schweitzer a naturellement embrassé une carrière dans la haute fonction publique. En 1979, il devient sous-directeur à la direction du Budget, mais le hasard va venir bouleverser ce destin au début de la décennie 80. Avec l'arrivée de François Mitterrand à l'Elysée, en 1981, l'un de ses plus jeunes ministres, Laurent Fabius, va faire de Louis Schweitzer son directeur de cabinet. Durant cinq années, au ministère du Budget, à celui de l'Industrie puis à Matignon, Louis Schweitzer sera le bras droit, l'homme de l'ombre d'un Premier ministre de la République. Un chapitre politique qui aurait tout à fait pu se transformer en une véritable carrière. Le grand-oncle de Louis Schweitzer, le célèbre docteur Albert Schweitzer, un prix Nobel, mais aussi son père Pierre-Alain Schweitzer qui a dirigé le FMI n'auraient sûrement rien trouvé à objecter. Mais une fois de plus, le hasard va s'en mêler.
Si la gauche avait gagné les législatives en 1986, Louis Schweitzer ne serait sûrement jamais devenu président de Renault
En 1986, Jacques Chirac et la droite deviennent majoritaire à l'Assemblée nationale en remportant les élections législatives. Le président d'aujourd'hui devient alors Premier ministre de François Mitterrand et inaugure la première cohabitation de l'histoire de la Ve République. Au lendemain de la défaite de la gauche, Louis Schweitzer entre alors chez Renault. C'était le 1er mai 1986. Ce qui était sans doute une parenthèse dans sa tête va finalement révéler un nouvel homme. Entré à la Régie sous l'ère Georges Besse, un ami, son parcours dans l'entreprise est discret, presque à la Michelin pourrait-on dire. Il va beaucoup sur le terrain, dans les usines, pour mieux connaître Renault et s'imprégner de sa culture. Pour autant, Louis Schweitzer n'envisage pas la présidence de Renault. L'assassinat de Georges Besse va une nouvelle fois modifier sa trajectoire. Raymond Lévy devient alors président de la Régie et Louis Schweitzer poursuit son parcours dans l'entreprise. Après avoir grimpé de nombreux échelons, le directeur financier qu'il était devenu accède au poste de directeur général adjoint en 1990. Une ascension rapide sous la présidence de Raymond Lévy qui peut surprendre. En effet, en 1984, lorsque Louis Schweitzer était directeur de cabinet de Matignon, il avait alors remercié le patron d'Usinor, qui n'était autre que Raymond Lévy. Interrogé sur cet épisode en 1998, Raymond Lévy n'en garde aucune rancœur : "Je ne lui en ai pas tenu rigueur, parce que je n'ai pas l'impression que ce soit lui qui a pris cette décision. Il avait une mission à remplir, il l'a fait." Raymond Lévy apportera d'ailleurs un soutien sans faille à Louis Schweitzer pour qu'il lui succède à la tête de Renault en mai 1992. A l'époque, la nomination de l'exécutif de la Régie était du seul fait du gouvernement français, et le Premier ministre, Edith Cresson, était peu enclin à nommer Louis Schweitzer. Finalement, avec l'appui de son prédécesseur et le bon sens du Premier ministre, vu ses compétences et le travail déjà réalisé, il devient le 7e président de la Régie depuis la mort de Louis Renault et le dernier nommé par les politiques. Un président qui fera d'une Régie franco-française une multinationale. L'Alliance avec Nissan, le rachat de Dacia, de Samsung, mais aussi et surtout la privatisation de Renault, sans oublier l'échec de la fusion avec Volvo : un parcours sur lequel nous sommes revenus, plus en détail, avec Louis Schweitzer dans une interview il y a quelques semaines lors du Salon de Genève (JA N° 909).
Même si Louis Schweitzer a appris à aimer l'automo-bile, il n'a jamais sacrifié pour autant ses passions de toujours
Mais si Louis Schweitzer a appris à aimer l'automobile, au cours des 19 années passées chez Renault, il n'a pas pour autant sacrifié ses passions de toujours. Si on lui prête une réelle passion pour les bandes dessinées, son véritable oxygène est le spectacle vivant, le théâtre et l'opéra. Il avoue même avoir du mal à passer une semaine sans une pièce ou une voix. D'ailleurs, sa récente nomination à la présidence du Festival d'Avignon témoigne de cet amour. Louis Schweitzer aurait-il pu avoir un destin artistique ? Pourquoi pas, d'autant que sa famille compte une nouvelle fois d'illustres artistes tels son oncle, Charles Munch, un célèbre chef d'orchestre, ou Jean-Paul Sartre, que l'on ne présente plus. Mais la musique et l'écriture ne sont pas ses seules passions. Cet affamé de culture réserve également une large place dans sa vie à la peinture et, d'une manière plus générale, à l'art contemporain. Et surprise, dans les bureaux de la Régie, il va découvrir nombre d'œuvres ! En effet, dans les années 60, Pierre Dreyfus, l'un de ses prédécesseurs, avait réuni une collection d'art avec la création d'un département Art & Industrie dans l'entreprise. Si les acquisitions ont été gelées à l'époque de Georges Besse car la Régie connaissait de graves problèmes financiers, Louis Schweitzer a toutefois profité de ces œuvres durant ses treize années à la tête de Renault. Son bureau était un vrai petit musée. On pouvait y contempler des toiles de Victor Vasarely, Roberto Matta, Sam Françis ou Jean Fautrier. Mais l'homme a également cultivé cette passion en privé, puisqu'il a notamment fait partie du club Honoré 91, un club très fermé où les membres achetaient des œuvres en commun. Cette passion l'a même conduit à habiter dans l'appartement d'Albert Marquet, un impressionniste du début du XXe siècle qu'il appréciait tout particulièrement, près du Pont Neuf. De son bureau du 7e étage du quai Gallo, Louis Schweitzer, passionné d'art, a forcement dû être triste d'apprendre que la fondation Pinault ne verrait pas le jour sur l'Ile Seguin.
Un retraité à l'agenda déjà surchargé
Ce destin particulier n'est toutefois pas exempt d'accros, tant en politique qu'en automobile, mais ils n'ont en rien entamé sa détermination. Et le chemin n'est pas fini : Louis Schweitzer passe le volant de Renault à Carlos Ghosn, mais la retraite semble encore bien loin. Cela tombe plutôt bien, puisque Louis Schweitzer avait déclaré en plaisantant : "Ma femme n'aime pas que je dise que je serai retraité." Qu'elle se rassure, c'est loin d'être le cas. Il garde tout de même un pied chez Renault, avec la présidence du conseil d'administration. Président de la Halde, président du Festival d'Avignon, bientôt président du Medef International, mais également administrateur de la BNP Paribas, d'EDF, de AB Volvo et de Veolia Environnement, membre du conseil de surveillance de Philips et des conseils consultatifs de la Banque de France et d'Allianz, Louis Schweitzer n'a rien d'un retraité. Rêvait-il de cette carrière lorsqu'il était sur les bancs de la faculté ou de l'IEP ? Sûrement pas. Renault peut se réjouir de la défaite de la gauche aux législatives de 1986 sans laquelle Louis Schweitzer n'aurait sans doute jamais croisé le chemin de la Régie au losange.
Christophe Jaussaud
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