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Constructeurs

Entretien avec Thierry Perron, responsable synthèse dynamique projet C6

Publié le 27 janvier 2006

Par Frédéric Richard
8 min de lecture
"C6 est tout, sauf un véhicule pataud ! " Concevoir un véhicule alliant deux principes a priori antagonistes. Voici la lourde tâche confiée à Thierry Perron et son équipe par les responsables du projet C6. Imaginer un véhicule au confort digne de...

...notre époque et de l'histoire de la marque, sans toutefois négliger le comportement routier, afin de conserver un plaisir de conduite maximal. Décryptage technique.


Journal de l'Automobile. Expliquez-nous la genèse de ce nouveau concept de suspension.
Thierry Perron. Sur un tel projet, on ne peut pas partir d'une feuille blanche. En amont de la conception en tant que telle, il y a toute une phase exploratoire, durant laquelle des ingénieurs travaillent en bureau d'étude, afin de développer différentes solutions innovantes, sans qu'elles soient spécialement prévues pour un véhicule donné. C'est au moment de la décision de construire une nouvelle voiture que l'on vient puiser dans ces nouveautés pour réaliser la suspension la plus adaptée.


JA. Quel était alors le cahier des charges de C6 en termes d'amortissement ?
TP. C'était assez clair. L'objectif visait à faire de C6 un véhicule de référence en matière de suspension, puisque la notion de confort reste une spécificité de la marque Citroën. Parallèlement, le constructeur souhaitait également une voiture qui présente des prestations dynamiques, d'agrément de direction, de comportement, de sécurité active… du niveau des véhicules dits plus sportifs. Pour résumer, nous voulions un véhicule à la fois confortable, mais également "agile", assez dynamique et agréable à conduire.


JA. Pouvez-vous nous détailler le fonctionnement de la suspension de C6 ?
TP. Sur C6, nous avons créé un système de suspension active à flexibilité et amortissement pilotés. Ce gros challenge a demandé un important travail sur la suspension, mais également sur la conception des trains roulants, en rupture avec ceux du passé, notamment de C5 et XM. A l'avant, nous avons opté pour un train à double triangle et pivots découplés. Compte tenu de la masse de C6 (1 950 kg environ), un train avant pseudo Mc Pherson n'aurait pas suffi en termes de potentiel de guidage et de rigidité. A l'arrière, nous avons choisi un train multibras plutôt qu'un train à bras tirés, et c'est une première pour un véhicule à suspension hydropneumatique. Côté suspension, il s'agit d'un principe a priori comparable aux standards passés de la marque. Elle permet tout d'abord la correction d'assiette, tout en offrant une variation de la raideur. Une fonctionnalité impossible sur une suspension à ressorts, qui, par définition, possèdent une raideur fixe. Chez Citroën, la raideur s'établit donc grâce aux fameuses sphères, contenant de l'azote. Ces sphères sont connectées aux vérins (les amortisseurs), le débattement de la roue créant un déplacement de fluide hydraulique dans la sphère, qui se transmet lui-même au coussin d'azote à travers une membrane. Le constructeur, qui avait abandonné le procédé il y a quelques années, est revenu à la charge sur C5 puis maintenant sur C6. L'amélioration principale consiste à utiliser plusieurs sphères supplémentaires en parallèle, que l'on fait entrer et sortir du circuit hydraulique par l'intermédiaire d'électrovannes. Ainsi, quand on fait entrer une des trois sphères supplémentaires dans le circuit par




CURRICULUM VITAE

  • Nom : Perron
  • Prénom : Thierry
  • Age : 35 ans
  • Sorti de l'école Centrale de Paris en 1994 avec son diplôme d'ingénieur en poche, il entre au laboratoire d'accidentologie PSA/Renault, à Nanterre, en 1997. Il y occupe les fonctions de responsable de l'expérimentation sur la sécurité active. Son rôle est alors de qualifier les systèmes de sécurité des véhicules, par rapport aux habitudes des conducteurs. Il entre chez Citroën en 2001, sur le projet C6 comme responsable de la synthèse dynamique.
  • exemple, le fluide hydraulique se répartit dans un volume plus grand, ce qui fait baisser la raideur de la suspension.
    Sur C6, nous avons encore perfectionné le système, en introduisant un calculateur électronique qui modifie automatiquement la raideur de l'amortissement, selon les sollicitations du conducteur. A partir des informations d'angle au volant, d'accélération, de freinage…, le système pilote les fameuses électrovannes pour basculer d'un mode "tout confort" à un mode typé "plus sport".
    Enfin, nous avons introduit un pilotage de l'amortissement. C6 dispose de 16 états d'amortissement, pilotés roue par roue. Les changements d'états interviennent plusieurs fois par seconde, permettant de piloter en temps réel l'effort à la roue, au fur et à mesure du franchissement de l'obstacle. Pour ce procédé, on utilise 4 capteurs de débattement par roue, les capteurs de pression de freinage, d'angle au volant, de couple moteur. Grâce à toutes ces informations, le calculateur déduit les mouvements de la caisse, et détermine un pilotage plutôt orienté confort ou plutôt orienté tenue de caisse, selon les situations. Nous avons appelé ces modes Skyhook et Roadhook. Skyhook traduit une logique de pilotage visant à minimiser les mouvements de la caisse dans un repère absolu. Cela signifie que la voiture doit se comporter comme si les amortisseurs étaient non pas montés entre les roues et la caisse, mais entre la caisse et un repère fixe, le ciel par exemple. Le mode Roadhook au contraire, fait en sorte que la caisse suive le plus possible la route. Quant au bouton "sport" situé dans l'habitacle, il faut souligner qu'il n'applique pas un état de raideur à la suspension. Il a pour seule fonction de typer le confort "un peu plus ferme", tout en modifiant par ailleurs le seuil de passage entre la logique Skyhook et Roadhook. C'est-à-dire que l'on passe plus facilement et plus rapidement en Roadhook quand le bouton sport est activé.


    JA. Parlez-nous des trains roulants, qui font aussi partie des innovations sur C6, et qui déterminent également le comportement routier et la suspension.
    TP. Pour la première fois, nous avons choisi d'utiliser les liaisons au sol constituées de trains multibras à l'avant et à l'arrière. Le train avant de C6 a été développé en parallèle avec la 407, c'est-à-dire que son architecture lui permet de fonctionner en hydraulique (sur C6) et en mécanique (sur 407). Sur ce train, le problème était le suivant : il fallait obtenir un confort impeccable, tout en gardant une tenue de route de qualité. Deux notions en général incompatibles, puisque pour avoir une bonne tenue de cap, on a tout intérêt à avoir des cales de train bien raides, pour avoir un guidage du plan de roue très précis, ce qui ne va pas dans le sens du confort vertical et aussi vibratoire. Donc ce qui a guidé le développement des trains de C6, c'est le découplage de toutes ces prestations, c'est-à-dire de minimiser les interactions négatives du confort sur la tenue de route, et vice versa. Nous avons alors développé des cales de train spécifiques sur C6. Ces cales élastiques, reliant le berceau à la caisse, se caractérisent par des raideurs différentes dans le sens longitudinal, dans le sens latéral et dans le sens vertical. Dans le sens latéral, le plus important pour la tenue de route, ces cales sont très raides et dans le sens longitudinal et vertical (absorption des chocs), elles sont plus souples. Cette pièce est l'illustration parfaite du découplage, ou comment traiter différemment les sollicitations liées soit au confort, soit à la tenue de route.
    Le second exemple, c'est l'architecture du train à double triangle. Sur une jambe de force de type pseudo Mc Pherson, lors du débattement de l'amortisseur, le vérin supporte des efforts latéraux qui dégradent le confort en provoquant des vibrations. Sur C6, le débattement de la suspension se fait entre deux triangles très rigides, ce qui permet un maintien du plan de roue très précis. Par ailleurs, cela rend l'amortisseur complètement indépendant de la fonction de guidage. Il travaille donc toujours dans des conditions idéales, ce qui privilégie alors le confort.


    JA. Pour bien comprendre, quelles sont les principales avancées de ce type de suspension par rapport à une suspension de DS par exemple, qui utilisait déjà un principe hydraulique ?
    TP. Tout d'abord il faut bien prendre en compte l'évolution des masses. Une DS pesait environ une tonne, soit quasiment la moitié d'une C6. Vous imaginez donc que pour atteindre un tel niveau de qualité, le travail fut très important. Par ailleurs, les technologies de conception des trains, les matériaux utilisés ont beaucoup évolué, avec l'apparition de l'aluminium notamment et l'énorme apport de l'électronique en terme de finesse de gestion de la suspension. De plus, dès C5, l'apparition des électro-pompes, qui ont remplacé les pompes haute pression mécaniques, ont permis de supprimer l'attente de mise en assiette du véhicule au démarrage. A partir de C5, on a également séparé le circuit de freinage du circuit de suspension. Enfin, il faut parler de la fiabilité. La suspension de C6 est donnée sans entretien pendant 200 000 kilomètres, une durée impossible à tenir avec un autre type de suspension.


    JA. Est-ce que vous avez des regrets sur cette suspension ?
    TP. On ne peut jamais être pleinement satisfait. Néanmoins, le cahier des charges, tels qu'il nous avait été fourni, a été rempli. Le véhicule est confortable, mais possède réellement un vrai caractère en terme d'agrément de direction et de comportement. C6 est tout sauf un véhicule pataud, sans être ferme et inconfortable. Evidemment, on peut toujours aller plus loin sur un point précis, mais cela ne doit pas apparaître au détriment d'autres fonctions. Et puis après tout, nous devons garder une marge de progrès pour les véhicules du futur. (rires)


    Propos recueillis
    par Frédéric Richard


     

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