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Constructeurs

Entretien avec Patrick Gruau, président du groupe Gruau.

Publié le 15 février 2008

Par Alexandre Guillet
8 min de lecture
Plusieurs projets de croissance externe sont en cours.Le groupe Gruau n'a pas attendu d'être au pied du mur pour diversifier ses activités et sa clientèle. Son président, Patrick Gruau, envisage l'avenir avec sérénité. Des projets de rachats...

...devraient se concrétiser prochainement pour l'aider à atteindre son objectif de croissance.

Journal de l'Automobile. Pourriez-vous décrire votre activité et nous expliquer les raisons de votre bonne santé sur un marché pourtant sous pression, comme en témoignent les difficultés de nombreuses entreprises ?
Patrick Gruau. Le monde automobile est vraiment hyper concurrentiel. Je pense même que tous secteurs confondus, il représente le paroxysme de la concurrence, mais heureusement c'est un monde passionnant. En outre, il s'agit d'un système souvent régi par les cycles de vie des produits et l'un des principaux enjeux pour les entreprises est précisément de s'émanciper de ces cycles. Ceci étant posé, je définirais Gruau en trois points, qui expliquent pour partie nos bons résultats. Tout d'abord, nous intervenons dans le VU et uniquement dans ce secteur, sans nous risquer sur le terrain du VP, ni même sur celui du VI. Par ailleurs, nous sommes positionnés sur les compléments de gammes des constructeurs, recentrage opéré dès 1988 et dicté par l'évolution de la demande des clients. Bref, nous apportons des fonctionnalités complémentaires aux gammes des constructeurs. Enfin, nous disposons d'un ADN très fort, pétri par 120 ans d'histoire et une équipe très engagée. Cet ADN fait que nous avons deux moteurs : assurer la pérennité et poursuivre le développement de notre groupe familial.

JA. Qu'entendez-vous par pérennité ?
P.G. Lorsque j'ai pris la tête du groupe en 1985, j'ai essayé d'identifier ses forces et ses faiblesses. Sans remettre en cause les succès passés, mais justement pour les consolider. Or, il y avait des choses à ajuster : par exemple, nous ne travaillions qu'avec deux constructeurs, et un client Grands Comptes pesait 35 % de notre activité. Dangereux ! Par ailleurs, dès 1985, nous nous sommes engagés dans le management par la qualité totale, sur le modèle de Toyota dont je suis un admirateur. Nous avons été le premier carrossier européen à initier cette démarche. Plus tard, en 1995, avec mon équipe, nous avons optimisé notre démarche d'innovation, en la structurant de façon concrète pour en faire un élément différenciant vis-à-vis de la concurrence, mais surtout, pour apporter des "bénéfices" aux clients. De plus, nous devions gagner en compétitivité, non seulement par les process, mais aussi par l'effet volume. C'est ce qui explique le rachat de Labbé pour le marché des fourgons grand volume destinés aux loueurs. Avant le rachat, nous en réalisions 500 et eux 2 000… Forcément, après, l'effet volume nous a été favorable. Les trois axes que je viens de citer, qualité, innovation et compétitivité, nous ont aidés à pérenniser le groupe et nous guident toujours aujourd'hui. Sans oublier la qualité des services qui reste fondamentale, bien entendu.

JA. Sur cette base, comment s'est traduite votre stratégie de développement ?
P.G. Au-delà de la stratégie, je crois que nous sommes condamnés à aller de l'avant. En général, et dans l'automobile en particulier, celui qui n'investit pas sur les hommes, sur les moyens et sur les nouveaux produits trébuche ou meurt en deux ou trois ans… Dans un premier temps, notre développement a consisté à ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier et donc à nous diversifier. Nous l'avons fait volontairement mais à la fois un peu contraints et forcés… Ainsi, en 1980, 85 % de notre CA dépendait de transformations que les constructeurs assurent aujourd'hui quasiment tous par eux-mêmes ! Il y avait un réel danger. D'où notre diversification pour devenir un "multi-spécialiste", avec des sites dédiés pour les ambulances, les véhicules funéraires, les isothermes etc. Mais aussi un effort pour devenir "multi-constructeurs". Aujourd'hui, notre portefeuille rassemble 27 constructeurs, avec une répartition de notre activité proche des parts détenues par chacun sur le marché. Et enfin notre volonté d'être "multisites" pour une meilleure proximité clients en aval comme en amont.

JA. Est-ce travail de fond qui explique vos exceptionnels résultats en 2007 ?
P.G. En fait, il y a deux niveaux de réponse. L'année 2007 a été bonne puisque nous progressons de 20 % sur un marché à + 4 %. Tous les secteurs du groupe ont progressé et je souligne qu'il s'agit exclusivement d'une croissance interne. Ces résultats, nous les avons conquis par nos investissements réalisés en 2004-2005 et en remportant des appels d'offres ou en densifiant notre réseau par exemple. Mais le plus important, c'est que nous travaillons aujourd'hui avec 6 000 clients. Et que notre plus gros contrat ne représente que 4 % de nos 155 millions d'euros de CA. De plus, cette affaire est pluriannuelle.

JA. Quels sont vos objectifs pour 2008 ?
P.G. Nous annonçons en toute transparence notre objectif d'atteindre 180 millions d'euros de CA. Cependant, je ne peux guère en dire plus car plusieurs projets de croissance externe sont en cours de finalisation.

JA. Quelle est la ventilation de votre portefeuille clients actuellement ?
P.G. On peut distinguer trois gros tiers : 1/3 via les distributeurs, les concessionnaires et notre propre réseau, 1/3 avec les industriels et les constructeurs, et 1/3 avec les utilisateurs directs dont les grands comptes. J'insiste sur l'importance de cette dernière clientèle car elle nous permet vraiment de grandir et de progresser sous l'angle de l'écoute client. Nous avons d'ailleurs mis en place un dispositif sur le modèle de l'émission "Vis ma vie" pour que nos collaborateurs comprennent encore mieux les besoins des clients utilisateurs, sous un mode empirique.
Par ailleurs, pour les constructeurs, nos coûts de développement sont plus économiques que les leurs. Par exemple, le Kangoo grand volume était initialement inscrit dans le plan produits de Renault, mais le coût de développement constructeurs n'était pas viable. Nous avons donc proposé une solution innovante de rallongement par collage et l'affaire a pu se concrétiser, et il y a 1 mois nous avons pu fêter la 50 000e Kangoo Grand Volume.

JA. Puisque nous évoquons les constructeurs, ressentez-vous la pression accrue qu'ils imposent actuellement à leurs fournisseurs ou votre spécificité vous épargne-t-elle cette problématique ?
P.G. Comme tout le monde, nous sommes soumis à ces contraintes exacerbées de coûts et le prix reste discriminant sur nos marchés. Comme je le disais en préambule, le marché automobile est sans doute le plus concurrentiel. Cependant, c'est à nous d'être capable d'apporter des solutions globales et compétitives, bien entendu.

JA. Vous évoquiez tout à l'heure de possibles opérations de croissance externe cette année. Un exercice auquel vous êtes rodé et qui vous sourit plutôt bien : quelle est votre méthode pour réussir ces intégrations ?
P.G. J'ai fait certaines erreurs au début et j'en ai retenu les leçons. Notamment qu'on ne peut pas appliquer le même modèle et les mêmes méthodes à chaque fois. Cependant, nous avons la plupart du temps réussi et ma plus grande fierté est de constater que toutes les sociétés reprises, sauf une, ont ensuite grandi et de surcroît, sur leur site d'origine. Dans ce type de contexte, je crois que l'essentiel est de partager certaines valeurs, de respecter les équipes en place, de privilégier un plan d'actions moyen et long terme et non pas comme certains groupes, de répondre à une rentabilité court terme. En outre, la vision d'entreprise prend alors une importance capitale. Chez nous, c'est notre projet d'entreprise, le Projet 2010, partagé par les 1 000 collaborateurs du groupe, qui permet d'avoir une cohérence d'actions.

JA. A ce propos, hormis pour les performances chiffrées, on a le sentiment que vous avez déjà presque atteint tous les objectifs du Projet 2010, partagez-vous cette analyse ?
P.G. Non et c'est heureux dans la mesure où c'est un Projet pour 2010 ! D'une part, les performances financières sont essentielles et nous avons des objectifs ambitieux en termes de chiffre d'affaires et de résultat d'exploitation. D'autre part, plusieurs chantiers restent ouverts. Nous avons encore des constructeurs à convaincre ou avec lesquels nous pouvons davantage travailler, comme Ford, Mercedes ou Volkswagen par exemple et d'autres constructeurs avec qui nous souhaitons poursuivre et développer notre bonne collaboration, comme Renault, PSA et Fiat. Nous devons aussi intensifier notre internationalisation, principalement dans le périmètre Europe des 27 et le bassin méditerranéen. En outre, comme nous avons déjà commencé à le faire avec le Microbus, qui représente aujourd'hui 4 % de notre CA, nous étudions attentivement le potentiel de nouvelles solutions de transport. A l'avenir, il y aura les "véhicules des villes" et les "véhicules des champs". Le groupe Gruau se focalisera sur la ville et il y a plusieurs projets à l'étude. Enfin, nous allons renforcer notre investissement dans le développement durable, d'autant que je suis persuadé qu'il s'agit d'une réelle opportunité pour un groupe comme le nôtre. Le lancement de BlueGreen en 2007 et notre slogan "L'Utily-Terre by Gruau" en témoignent. Fondamentalement, je pense que c'est un formidable vecteur pour associer l'efficacité économique de l'entreprise avec sa dimension sociale et sociétale et la protection de l'environnement.

JA. Pour conclure, quel regard portez-vous sur l'évolution de la carte automobile mondiale et à l'heure où nombre de vos concurrents souffrent. Etes-vous optimiste pour votre secteur ?
P.G. Les choses évoluent très vite aujourd'hui, mais je pense qu'elles vont aussi se lisser progressivement. Prenons l'exemple de la Pologne : considéré comme l'Eldorado il y a seulement 5 ou 6 ans, ce marché est aujourd'hui très difficile et les coûts y sont de plus en plus élevés… Par ailleurs, de nombreux dossiers sont en suspens : évolution de la logistique, de la législation, ou encore des règles sur les émissions de CO2… Pour ce qui est de la carrosserie, je tiens à souligner que la carrosserie européenne est la plus compétitive au monde et que l'Allemagne et la France sont de belles locomotives. Donc, je suis résolument optimiste !

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