Dacia Lodgy, retour sur l’enjeu du “naming”
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Quel est le cahier des charges type lorsqu’il s’agit de trouver le nom d’un nouveau modèle ?
SOPHIE GAY. Ce qui prévaut avant tout, c’est une excellente connaissance du constructeur, de son histoire, de ses valeurs et de sa stratégie de communication. Naturellement, le modèle en tant que tel doit aussi être appréhendé et positionné, très souvent sous l’angle de ses bénéfices d’usage. Après un travail de réflexion, nous proposons ensuite un brief pour incarner ces différents éléments sous la forme d’un nom. Nous évoluons dans le domaine de la créativité, mais nous respectons une approche très rationnelle. Il ne s’agit pas de trouver le prénom de son enfant ! En effet, nous devons intégrer de nombreuses contraintes, culturelles, avec les différences de perception selon les pays, ou encore juridiques, de nombreux noms étant déposés. L’écrémage s’opère donc aussi de façon prosaïque.
JA. Qui sont vos interlocuteurs de référence chez les constructeurs ?
SG. Cela dépend des marques et de leur organisation. Nous travaillons bien entendu avec la direction marketing, mais aussi, chez certaines, avec la direction des études. Parfois, c’est avec la direction des marques.
JA. Dans le cas du Lodgy, le fait qu’il soit l’objet d’un double badge, Dacia et Renault, rend-il le travail plus difficile ?
SG. Cela rajoute évidemment de la complexité à notre travail, surtout que les marques n’ont pas la même histoire ni la même image dans les pays où elles coexistent.
JA. En règle générale, proposez-vous un nom ou une liste de noms dans laquelle il s’agit alors de choisir ?
SG. Nous ouvrons au maximum le spectre des propositions, même si nous suivons des lignes directrices précises. Nous explorons plusieurs voies, et c’est ce que les marques nous demandent. L’idée de la formule miracle, du nom magique trouvé en mode “Eurêka”, n’existe pas. Si la base de notre travail est créative, nous avons aussi une mission de conseil et nous accompagnons les marques autour de choix multiples.
JA. Pour vous, y a-t-il une spécificité du produit automobile dans la mesure où ce n’est pas un achat comme les autres, notamment vu son prix ?
SG. Cette spécificité du prix existe, mais il faut aussi prendre en compte le fait que les constructeurs et leurs produits sont le plus souvent mondiaux, ce qui implique de trouver des noms apatrides. Par ailleurs, l’image des marques étant très structurée et travaillée, vous ne pouvez pas retenir des options en décalage total, ce qui n’exclut pas pour autant de trouver des noms parfois très sophistiqués, porteurs de plusieurs messages, comme Qashqai par exemple.
JA. Quelles sont les grandes tendances actuelles du “naming” en général et du “naming” automobile en particulier ?
SG. Nos clients nous demandent de trouver des noms situés hors des modes, ce qui est paradoxal car nous sommes tous très imprégnés par les modes. Une autre tendance majeure réside dans le passage de marques narratives, comme Le Bon Coin par exemple, à des marques relationnelles, comme B&You. Ce phénomène s’accentue fortement, il s’agit de parler à l’individu. La dernière accroche publicitaire de SFR en est une parfaite illustration. Dans l’automobile, on retrouve cela avec d’importants efforts pour mettre en valeur un bouquet de bénéfices clients depuis le point de vue du client. Il y a aussi une recherche de polyphonie et il est plus efficace de suggérer que de désigner.
JA. Entre chiffres et noms, votre cœur balance-t-il ?
SG. Le système alphanumérique était très répandu il y a quelques années dans l’automobile, mais il a eu tendance à perdre du terrain ensuite. Par ailleurs, d’une manière générale, sous l’influence de l’essor de nouvelles technologies et de nouveaux langages – entre guillemets – comme le SMS, les sigles ont aussi connu un regain d’intérêt. On pense notamment à LCL ou LGB pour La Grande Braderie… En fait, cela dépend beaucoup du territoire des marques. Prenons deux exemples français. D’une part, Citroën, qui a fortement capitalisé sur le C, les chiffres permettant une gradation dans la gamme. Un choix qui est aussi cohérent par rapport à la signature de la marque, “Créative Technologie”. Cependant, même avec les chiffres, il faut prendre en compte les différences entre pays car les connotations ne sont pas identiques partout dans le globe. D’autre part, Renault, qui a fait le choix des noms, ce qui apparaît logique car la marque cherche à faire écho à la vie des clients. En outre, les noms permettent d’investir le modèle davantage que la marque.
JA. Comment travaillez-vous lorsqu’il s’agit de changer le nom d’un modèle à succès, existant depuis plusieurs générations ? On imagine que le facteur risque est élevé, n’est-ce pas ?
SG. C’est effectivement un cas de figure très complexe, plus encore lorsque c’est carrément une grande société qui doit changer de nom, pour une raison x ou y. Sans être trop abrupt, il faut savoir se battre subtilement contre l’attachement à une histoire, un patrimoine. Toutefois, tout est faisable quand on a une histoire à raconter et que l’on a programmé dès l’amont un vaste dispositif de suivi. L’effort d’explication doit être dense et récurrent. Et il ne faut jamais perdre de vue que le nom ne fait pas tout ! Au-delà du nom, beaucoup de choses se jouent au niveau de la communication, de la publicité ou du rôle des ambassadeurs de la marque.
JA. La problématique environnementale, de plus en plus médiatisée, a-t-elle eu un impact sur le lexique des marques automobiles ?
SG. Il y a quelques années, nous avons surtout assisté à l’essor de nouveaux labels liés à l’environnement, mais ce n’était qu’une étape. Cette problématique appartient aujourd’hui au territoire de toutes les marques. La vague créative qui a ensuite suivi a apporté de la fantaisie et de nouveaux champs lexicaux. L’exemple du “e” du véhicule électrique en est une parfaite illustration.
JA. Alors que nous sommes inondés de produits et de marques, et que les cycles produits s’accélèrent, le nom garde-t-il vraiment la même importance que naguère ?
SG. Oui, même si les situations sont moins stables et les acquis moins durables. Mais si on parvient à créer de nouveaux champs sémantiques, à ouvrir de nouvelles voies, on peut trouver des noms repères, des tendances. En revanche, j’insiste sur le fait que le nom ne fait pas tout. La base de tout succès, c’est que le produit soit bon. Le nom, c’est dans le registre de l’immatériel ; il vient couronner le produit. Par exemple, avec Clio, vous aviez un véhicule innovant, performant et un nom également innovant, issu de la mythologie. Mais vu la qualité du produit, même avec un nom plus sobre, la Clio aurait été un succès. Parfois, un nom peut aussi se muer en amplificateur de succès, comme Vélib’, par exemple.
JA. Pour conclure, tous secteurs confondus, quels sont les noms qui ont retenu votre attention ou suscité votre enthousiasme ces derniers temps ?
SG. En remontant quelques années en arrière, je pense à Vivendi, car c’est l’exemple d’une réussite dans le monde entier sans passer par l’anglais. Beaucoup plus récemment, j’ai énormément aimé le lancement de Sosh. Et dans l’automobile, le revival de DS est vraiment marquant.
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