Alexandre Malval : Chevrons intuitu personae
Alexandre Malval nous ouvre les portes de son bureau, qui n’est autre que l’ancien bureau de… Jean-Pierre Ploué ! Venant de prendre ses nouveaux quartiers, il reconnaît être un brin gêné, presque intimidé. N’y voyez aucune fausse modestie, mais plutôt l’un des signes distinctifs du nouveau directeur du design de Citroën. En effet, il y a souvent une lueur d’inquiétude dans le regard d’Alexandre Malval, comme une mise en abyme. D’ailleurs, loin de l’exubérance de certains designers en mode diva et loin du maintien codifié recta de bien des jeunes managers, il n’affiche pas l’assurance que sa fonction pourrait lui donner.
2CV camionnette et DS en guise de madeleines de Proust
Cela remonte peut-être à l’enfance. “J’ai toujours dessiné, je ne me souviens pas ne pas avoir dessiné. Je dessinais même trop aux yeux de mes enseignants ! On peut dire que cela a contrarié ma scolarité…”, explique-t-il. La passion pour l’automobile fut aussi précoce : “A trois-quatre ans, je suivais les exploits de Jacky Ickx et un peu plus tard, je me souviens avoir regardé des grands prix de F1 sur Canal Plus sans le décodeur ! J’adorais les magazines autos et les petites voitures”. Les premiers émois renvoient, délicieux hasard, à… Citroën ! “J’ai beaucoup d’affection pour la 2CV camionnette que nous avions pour les vendanges en famille du côté de Beaune et Nuit St-Georges. Il y avait aussi une DS dans la famille, elle me fascinait ! Elle était basse, on avait la sensation qu’elle flottait dès qu’elle roulait”.
“Il y avait enfin un métier pour moi !”
Cependant, dans sa jeunesse, ce sont bien les soucis à l’école qui enquiquinent Alexandre Malval. Heureusement, ses parents, diplômés des Arts Décoratifs, lui assurent un indéfectible soutien et l’encouragent à persévérer. Avec le recul, on ne peut s’empêcher de penser à la publicité “Le Proviseur”, désormais mythique, de Guy Degrenne : “Ce n’est pas comme ça que vous réussirez dans la vie !”. Comme souvent dans la vie et les belles histoires, la situation se décante par le biais d’une rencontre. Pour Alexandre Malval, ce sera un ami de ses parents, Michel Armand, designer chez… Citroën. “Nous parlions d’art, de sculpture, de design… Chez lui, il y avait des éléments sculptés dans du bois de la planche de bord de la CX, un choc ! Il y avait enfin un métier pour moi !!! Michel Armand m’a beaucoup aidé, il m’a donné envie, confiance”. Un peu plus tard, en classe de seconde, il rencontre Jacques Nochet, du style Renault, et lui soumet son book. La réaction est positive, élogieuse même, mais accompagnée d’un dicton légendaire : “Passe ton Bac d’abord !”. Il se force à travailler et prépare déjà l’après, en suivant des cours de dessin le samedi après-midi, en compagnie de Marc Girard, aujourd’hui au style BMW. Le Bac en poche, il intègre l’Ensaama, plus connue sous le nom Olivier de Serres. “J’étais dans la section du design industriel et là, j’ai eu mes premières bonnes notes !”, sourit Alexandre Malval. Vient ensuite le temps des premiers stages, Renault, MBD où il croque un train… les nouveaux TER qui circulent aujourd’hui !
Melting-pot au Royal College of Art
Sorti de l’Ensaama, Renault, fidèle à sa parole, lui finance un cursus au prestigieux Royal College of Art de Londres. 1993 : cap sur London ! Avec sa renommée mondiale, sa quarantaine de départements et son cosmopolitisme, le RCA est une institution. Dans la section Design Transports&Engineering, sous la houlette de Daniel Weil, Alexandre Malval va y vivre une période d’exaltation. “Il faut se souvenir qu’à l’époque, en France, le design industriel était encore naissant, alors qu’il avait déjà une maturité certaine au Royaume-Uni. Le RCA était une institution, certes, mais dynamique en diable avec une immense ouverture d’esprit. Beaucoup de nationalités différentes, beaucoup d’horizons différents. Et là-bas, on peut changer d’orientation, choisir des itinéraires transverses”.
Rencontre décisive avec Jean-Pierre Ploué
De retour en France, Alexandre Malval décroche son premier poste chez Renault. Il restera trois ans au département de Design Avancé de Jean-François Venet. Il y fait une rencontre déterminante, en la personne de Jean-Pierre Ploué, alors en pleine période du gang des berlinettes ! Il le suivra d’ailleurs chez Volkswagen pour travailler sur les marques Volkswagen, Seat et Audi durant cinq ans. “Nous avons beaucoup appris dans le groupe, on peut dire qu’on y a pleinement acquis les fondamentaux. Nous étions bien perçus là-bas, notre créativité était reconnue et on nous incitait à repousser les limites des allemands. A tous les niveaux, j’ai vraiment franchi un cap. Une forme de maturité qui vous donne envie de relever des challenges”, déclare Alexandre Malval. Un challenge qui ne va pas tarder… En 2000 Jean-Pierre Ploué part chez Citroën et propose à Alexandre de l’accompagner : “J’ai mis six mois avant de le rejoindre, mais en fait, je n’ai pas vraiment hésité”. La dimension humaine a prévalu, comme elle le fera dans d’autres circonstances, face à des propositions d’autres constructeurs. Et même si le style de Citroën était moribond, la marque gardait son aura auprès des designers, surtout quand on a été fasciné jadis par une DS.
“De la sueur et des larmes”…
Il débute au design extérieur et la période est compliquée tant les défis sont d’envergure. “Nos dirigeants étaient durs et exigeants, mais au final, ils ont su nous aider, notamment Robert Peugeot et Claude Satinet”, se souvient-il, avant d’évoquer Jean-Pierre Ploué : “Jean-Pierre nous a appris des choses mais il nous a aussi beaucoup soutenus. Parmi la quinzaine de patrons du style que j’ai connus, Jean-Pierre est sans doute celui qui est le plus proche de ses équipes, de toutes ses équipes, car sa passion concerne tous les éléments du véhicule, jusque dans les moindres détails”. Les programmes C4 de 2004, puis C-Airscape, vont permettre de gagner de la confiance, même si le processus est toujours long. Alexandre Malval est alors nommé responsable de la gamme C5 et le programme durera de 2003 à 2007. “Le projet a été éprouvant, tumultueux, difficile… Beaucoup de sueur et de larmes, mais pour une belle copie au final, je pense…”. On peut d’ailleurs se demander ce qu’est un moment difficile pour un designer ? “Cela arrive à tout le monde d’en connaître, moi aussi, j’en ai vécu. Quand vous avez travaillé sur un projet et qu’il est arrêté, qu’il ne voit pas le jour, c’est dur à encaisser, dur de s’en remettre”.
Changement de dimension
En 2007, Alexandre Malval se voit proposer un nouveau grand défi, de surcroît inédit : DS5. Oublier Citroën, se focaliser sur la montée en gamme, élargir les frontières jusqu’à la Chine, surtout la Chine… Avec les designers Frédéric Soubirou et Christophe Cayrol, Alexandre va vivre une période “rare, exceptionnelle, magique” ! Mais la vie des designers trépide et à peine digéré le programme DS5, un autre challenge attend Alexandre Malval. En 2009, Jean-Pierre Ploué lui propose alors un nouveau challenge, contribuer au renouveau de la Marque Peugeot aux côtés de Gilles Vidal. Il réalisera le concept car HR1 et dirigera le programme de la future 308 (2013). “Une aventure passionnante et la découverte d’une équipe enthousiaste pour réussir ce programme particulièrement important pour PSA”.
Un challenge d’une autre nature, sous-tendant d’autres implications et une responsabilité élargie : Jean-Pierre Ploué lui propose la direction du style de la marque Citroën ! Cela peut faire un peu peur, mais ça ne se refuse pas. Mais le costume est plus grand, ce qui n’inquiète pas Alexandre outre mesure : “C’est génial ! Pour bien différencier Citroën et DS, il s’agit d’inventer le futur langage de Citroën, vous imaginez !”. Un travail en étroite collaboration avec Thierry Metroz, qui préside aux destinées de DS, et qui implique aussi une nouvelle dimension managériale, car Alexandre se retrouve capitaine d’un vaisseau de quelque 150 personnes dont une quarantaine de designers.
“C’est presque une foi”
Sur le management, Alexandre Malval se tient à bonne distance des grands discours, refuse les postures apprises des consultants et s’en remet très volontiers à la proximité, l’intuition et le feeling. “Il faut beaucoup leur donner, les rassurer aussi si besoin. En effet, un designer peut rapidement perdre sa créativité s’il ne se sent pas bien. Il faut aussi beaucoup échanger avec les autres services, afin de créer un climat de confiance, propice à l’audace. Je crois beaucoup au travail d’équipe et à la valeur de groupe”. S’il sait pouvoir compter sur son intuition, alliée fidèle et éprouvée ces dernières années, il affirme aussi avoir besoin de recul et du temps de la réflexion. “Dans ce domaine, je suis vraiment entre les deux”. Il sait aussi qu’avec cette nouvelle fonction, il ne dessinera plus, mais comme il le dit lui-même : “Je ne dessine plus depuis plusieurs années déjà et ma créativité a trouvé d’autres voies. Elle sait par exemple se nourrir des échanges avec les équipes pour orienter un projet, choisir une direction ou simplement poser une ligne sur une maquette”. Zen et épanoui, Alexandre. Même l’ombre de GM, “une nouvelle donne qui ouvre surtout de nouvelles possibilités”, et les fortes turbulences traversées par son groupe ne l’ébranlent pas. “Nous sommes touchés, bien entendu, comme tout le monde, on le voit dans les effectifs ou le budget affecté à certains projets, mais au risque de vous surprendre, nous travaillons sans penser à cela. L’attachement à la marque est très fort, c’est presque une foi. On peut trouver que c’est de l’insouciance, mais c’est qui permet de continuer à avancer, à proposer, à oser”.
L’âge d’or du design
Son enthousiasme redouble encore, car il a conscience de vivre une forme d’âge d’or du design. Rarement aussi pris au sérieux, jamais aussi présent dans la société en général et dans l’automobile en particulier. “Nous vivons une époque de la renaissance des marques, elles n’ont jamais été aussi influentes et emblématiques. Les styles se libèrent aussi, quelle diversité, quelle profusion ! Il y a une multitude de modes qui cohabitent”, se réjouit-il tout en mettant en garde contre “la globalisation, car le mainstream, s’il n’est pas bien traité, présente le risque d’une dilution des racines et de la pluralité des identités”. Dans cet âge d’or, quand on demande au -jeune- Alexandre Malval quel conseil il donnerait à un jeune désireux de devenir designer, il répond simplement : “Sois libre, et sois libre de dessiner, de tout dessiner. Le dessin, c’est une porte ouverte sur les rêves et l’imaginaire, c’est l’inspiration et l’infini champ des possibles”. C’est peut-être comme ça que vous réussirez dans la vie !!!
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FOCUS - Aux sources de l’inspiration d’Alexandre Malval
“Je n’ai jamais été et je ne suis toujours pas dans la lignée d’un courant, d’un mouvement, d’une école. Je suis plutôt au carrefour de mouvances et c’est dans cette effervescence que vient ma vision”, affirme Alexandre Malval avant de nous inviter à visiter son accélérateur de particules personnel, où l’ordre alphabétique n’est pas de mise.
V comme Voyages : Indispensables ! Les mégalopoles le fascinent et New York au premier chef. Il aime aussi l’enthousiasme de São Paulo ou Shanghai, par exemple.
A comme Architecture : Alexandre aime le métier d’architecte, proche du sien, et animé par “d’éternels questionnements ou compromis entre fonction et style”. Dans son Panthéon, se côtoient Niemeyer, Van der Rohe ou Frank Owen Gehry. S’il juge notre époque très créative, il regrette cependant qu’aucune signature forte de sa génération ne se soit encore vraiment détachée.
A comme Art contemporain : Très intéressé par la scène anglo-saxonne depuis l’exposition Sensation de 1997 à Londres, avec Rachel Witheread, Damian Hirst et bien d’autres ! Il suit aussi Alain Bublex, qu’il connaît et admire beaucoup, ainsi qu’Anish Kappoor depuis son coup de force au Grand Palais dans le cadre de Monumenta. A Paris, ses lieux préférés restent le Palais de Tokyo, La Maison rouge, la MEP et les galeries Armel Soyer ou Carpenters.
I comme Image : Alexandre parcourt de nombreux magazines, surtout lifestyle pour saisir l’air du temps, ou plutôt les airs du temps. Un petit faible pour Apartamento, Intersection et Vogue Italie.
G comme Graphisme et M comme Mobilier : Une passion pour un domaine situé à “la conjonction entre des savoir-faire traditionnels et les nouvelles technologies”, pour un mariage souvent fructueux, à l’image des meubles en stéréolithographie de Patrick Jouin. Mais encore Konstantin Grcic, Emmanuel Bossuet, Marie-Laure Bellanger ou Patricia Urquiola. “Le Salon du meuble de Milan est un incontournable, c’est très agréable de se sentir en adhésion sur des problématiques qui sont communes à tous et de découvrir la diversité des réponses que chacun y apporte”. Dernière expo marquante sur le graphisme : au Musée des Arts Décoratifs, “The french touch”, consacrée à la mouvance des graphistes autour de l’éclosion des artistes électro dans les années 90.
L comme Littérature : Un moment d’évasion privilégié, même si le temps manque dans un emploi du temps chargé. Alexandre lit surtout des romans et affirme être sensible au style. Dernières découvertes : “Le lièvre de Vatanen” d’Arto Paasilinna, “Moi qui ai servi le roi d’Angleterre” de Bohumil Hrabal et “Rouler” de Christian Oster.
M comme Musique : “C’est une grande richesse et j’aime quand la créativité du studio est animée par la musique des stylistes”. Fan d’acid jazz, de trip-hop, de funk ou de house pendant ses années d’étudiant, Alexandre est passionné musique électronique. Tout en restant très éclectique, comme en atteste sa playlist : Arthur H, Balthazar, Vive la fête, Pony Hoax, Chopin…
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