Alain Favey, directeur général de Peugeot : "Notre bataille en 2025 sera la reconquête des clients particuliers"

Le Journal de l’Automobile : Vous dirigez la marque Peugeot au sein du groupe Stellantis depuis le début du mois de février. Quel bilan dressez‑vous ?
Alain Favey : Le premier constat est que nous avons une gamme de produits assez extraordinaire, objectivement, en partant de la 208 jusqu’au 5008 qui vient juste de sortir. Notre offre est très large et nous sommes capables de laisser le choix au client de décider de sa motorisation. C’est un énorme atout. L’image de la marque est également très forte dans le public, avec des points saillants très clairs et notamment un héritage de plus de 200 ans. Nous avons un vrai bagage que nous sommes capables de faire vivre, j’espère, de manière très moderne. C’est un gros avantage. Et puis, il y a toutes les équipes en interne et dans le réseau qui ont envie que cette marque progresse et se renforce.
J.A. : Quels sont les axes de progrès ou de correction que vous envisagez ?
A.F. : Nous avons des points à améliorer comme la relation avec nos clients. Je passe beaucoup de temps sur ce que nous appelons le plan Reconnect, qui consiste à remédier à ce qui a pu être déconnecté ces dernières années. Nous avons connu quelques problèmes de qualité qui, dans l’absolu, ne sont pas un phénomène extraordinaire dans notre secteur. Mais ce qui est important, c’est la manière avec laquelle nous avons traité nos clients et notamment le fait que nous n’ayons pas été proches d’eux pour résoudre leurs soucis, tout de suite. Nous n’avons pas géré cette crise de la bonne manière à mon avis. Et nous en payons les conséquences aujourd’hui. Un certain nombre de clients ont été, à juste titre, déçus de la façon dont leurs problèmes ont été pris en charge par Peugeot. Cela va nécessiter du temps mais nous allons corriger le tir.
J.A. : Où en êtes‑vous de vos objectifs de parts de marché en Europe et en France ?
A.F. : Il va falloir un peu de patience. Nous voyons déjà une progression en Europe avec une pénétration de 6,3 %. Notre ambition est d’atteindre 7 % et nous allons nous y attacher avec notre gamme qui est très large, mais dont le prix d’entrée est plus élevé que chez certains de nos concurrents. En France, nous sommes déjà à 16 % (en VP et VU cumulés), ce qui est une bonne évolution par rapport à l’année dernière. Dépasser les 17 % reste notre volonté et nous pouvons y parvenir. Nos deux nouveaux modèles, les 3008 et 5008, vont continuer à s’enrichir avec les versions plug‑in et dual motor de 325 ch et la déclinaison long range arrivera avant la fin de l’année. Nous allons étendre la gamme et cela va nous apporter un nouvel afflux de clientèle très rentable. Nous aurons donc des armes supplémentaires pour jouer sur le marché. Et nos carnets de commandes correspondent à ces ambitions.
J.A. : La difficulté aujourd’hui sur le marché est de parvenir à recoller avec les attentes des clients. Or, les niveaux de prix des véhicules neufs chez Peugeot ont en moyenne progressé de plus de 20 % en cinq ans. N’est‑ce pas une des raisons de la déconnexion vécue par la marque durant ces dernières années ?
A.F. : Nous pouvons tous constater que les prix des véhicules neufs ont augmenté. Cela entraîne‑t‑il une déconnexion ? Je ne sais pas. Toutes les contraintes réglementaires ont rendu de plus en plus compliqué de faire une voiture qui corresponde aux règles en vigueur à un prix raisonnable. Ce qui explique que les modèles qui s’inséraient dans le segment de la 106, 107… ont disparu. Notre gamme commence désormais à partir du segment B, avec la 208, et nous ne changerons pas de position. Donc, oui, nous sommes montés d’un cran en termes d’accessibilité. Mais en même temps, cela laisse une voie importante pour le marché de l’occasion. C’est aussi stratégiquement capital pour la marque de continuer à cultiver notre offre dans l’occasion. Clairement, cette part du marché en termes de prix ne sera plus couverte par les voitures neuves mais par l’occasion. Ce n’est pas nécessairement négatif pour nos concessionnaires dans leur business model. Et puis, nous proposons également des offres commerciales, avec en ce moment une 208 disponible à partir de 170 euros par mois. Ce qui reste quand même accessible.
J.A. : La demande en véhicules électriques n’est pas au niveau espéré en France comme en Europe. Comment ajustez‑vous votre mix de motorisations ?
A.F. : Il nous faut un cadre réglementaire stable et si des changements sont envisagés, nous devons le savoir assez tôt pour s’y adapter. L’automobile reste un gros paquebot. Et nous subissons chaque évolution du marché. La demande en modèles électriques est en partie présente et nous continuons à être totalement engagés sur cette voie et sur celle de la décarbonation de nos gammes. Le cadre réglementaire va évoluer de manière à ce que nous ayons un peu plus de temps pour parvenir aux objectifs et que le client puisse s’adapter à cette nouvelle offre. La courbe sera donc plus longue. Mais notre stratégie consiste à laisser le choix aux acheteurs avec notre offre multi‑énergie sur quasiment l’ensemble de la gamme VP et VU. Et même au‑delà de 2030, nous continuerons à avoir un catalogue diversifié, qui ne sera pas uniquement électrique. Cela ne change rien à notre stratégie à terme. Mais nous laisserons le choix au client, tout en lui recommandant partout où cela est possible de passer au 100 % électrique.
J.A. : La réduction des délais de conception est au cœur de la baisse des coûts dans l’industrie automobile. Comment travaille Peugeot sur le sujet ?
A.F. : En la matière, nous sommes dans la ligne de Stellantis puisque nous dépendons des plateformes du groupe. Notre collaboration avec Leapmotor nous donne accès à la connaissance des développements de ce qui se fait en Chine. Nous sommes tout à fait concurrentiels. Les plateformes du groupe nous permettent d’accéder très vite à des technologiques existantes aussi bien en termes d’architecture, de software que de hardware. Nous sommes en ligne avec les niveaux du marché. Mais nous avons bien conscience que c’est une course contre la montre.
J.A. : Vous avez annoncé le retour de la griffe GTi pour l’année prochaine. Est‑ce une manière de faire patienter les clients avant l’arrivée de la remplaçante de la 208 qui n’est prévue que fin 2027 ?
A.F. : Nous avons effectivement annoncé le retour du badge GTi sur l’e‑208. Peugeot est une marque qui joue beaucoup sur l’émotion. Et l’annonce de ce retour crée beaucoup d’attentes. Nous allons la satisfaire. Nous présenterons le modèle cette année pour un lancement en 2026. Mais nous avons bien d’autres animations comme l’élargissement de la gamme par les motorisations comme évoqué précédemment, en attendant l’arrivée de la nouvelle 208.
J.A. : Le non‑remplacement de la 508 sur le segment D est‑il définitif ?
A.F. : Oui, la 508 va s’arrêter très rapidement. Le choix est simple. Nous avons une stratégie d’offre multi‑énergie sur toute la gamme. La 508 est la seule exception à cette règle. En l’arrêtant, nous sommes cohérents avec notre stratégie. Et objectivement, avec un 5008 de 4,79 m, 7 places, nous sommes à la tangente du segment D.
J.A. : Les discussions vont s’ouvrir cette année à Bruxelles sur une possible révision des règles d’émission de CO2 pour 2035. Quels sont les risques pour l’industrie européenne si l’objectif ne varie pas? Est‑elle vraiment en danger de mort ?
A.F. : L’industrie automobile européenne a toujours été à risque. Il ne faut pas sous‑estimer le niveau de concurrence qui doit être le plus fair possible, le plus équilibré. Et c’est le rôle de l’Union européenne de vérifier que l’on n’ait pas une concurrence déloyale de la part d’acteurs venant d’autres continents. La concurrence est bien présente. Elle est d’un très haut niveau et c’est un défi à relever mais comme nous en avons relevé d’autres par le passé. L’industrie automobile européenne doit être ambitieuse et elle doit pouvoir se baser sur un cadre réglementaire qui soit stable et prévisible pour les constructeurs. Notre
stratégie vis‑à‑vis de 2035 est de continuer à être flexibles dans notre offre.
J.A. : Mais ce maintien de plusieurs technologies coûte cher à l’industrie européenne...
A.F. : Oui, mais cela se justifie tant que la demande est là et cela explique également que les prix des véhicules neufs ont progressé et vont continuer à augmenter. Nous continuerons à proposer cette offre complète tant que le cadre réglementaire le permettra. Est‑ce que ce sera 2035 ou plus tard, nous le verrons.
Quels seront les impacts des droits de douane sur Peugeot même si la marque n’est pas présente aux États‑Unis ?
A.F. : Pour l’instant, nous ne sommes pas touchés directement mais effectivement, nous subirons des effets induits inflationnistes comme tout le monde. Peugeot étant dans l’univers Stellantis, nous sommes probablement mieux armés par notre taille. L’autre effet induit est sans doute une intensification de la concurrence car il est possible que certains concurrents se reportent plus sur le marché européen pour compenser la fermeture de l’accès au sol américain.
J.A. : Dans ce contexte, un retour à une régionalisation du marché automobile prédomine, l’effet taille et volume est‑il aussi important pour un constructeur qu’auparavant ?
A.F. : Chez Stellantis, nous sommes revenus à une organisation qui est régionale. Peugeot fait partie de la région Europe. Mais Stellantis reste une organisation internationale qui nous permet de bénéficier de ses plateformes. Le volume par marque est moins important que celui réalisé sur les plateformes du groupe. Et Peugeot avec plus de 1 million de véhicules par an a une place majeure dans l’organisation avec 20 % des volumes du groupe.
J.A. : Le programme Reconnect concerne également la distribution et pas uniquement les clients. La reconnexion avec les réseaux avance‑t‑elle au rythme souhaité ?
A.F. : Peugeot a un lien très particulier avec son réseau. Dans le passé, j’ai été dirigeant de Porsche Holding, à l’époque actionnaire de PGA. Je peux parler du sujet de manière très libre puisque j’ai été le plus gros concessionnaire Peugeot en France à cette période. L’attachement à la marque du réseau est particulier, presque familial. Il y a une symbiose entre les distributeurs et Peugeot basée sur une confiance réciproque et un professionnalisme extraordinaire des équipes commerciales et après‑vente. C’est la réalité. J’ai vécu cela de manière personnelle. Et mon objectif est de faire en sorte que cet état d’esprit, qui consiste à résoudre les problèmes que nous pouvons avoir ensemble, reste le fer de lance de l’activité de Peugeot en France. C’est mon souhait de poursuivre cette approche très collaborative. Ces dernières années, des tensions ont existé et notamment parce que la rentabilité n’a pas été suffisante.
J.A. : Quel est le niveau d’une bonne rentabilité pour le réseau Peugeot ?
A.F. : C’est bien supérieur à 1 %. En dessous, le niveau ne correspond ni aux ambitions de la marque ni à celles de son réseau. Nous travaillons sur ce sujet ensemble. Et nous avançons, j’ai pu le constater avec les représentants des groupements. Il y a cette volonté de retrouver une rentabilité acceptable en s’attaquant de manière professionnelle aux sujets de la marque. Tout d’abord, en retrouvant une proximité avec les clients pour qu’ils soient satisfaits. Cela concerne aussi bien la marque que le réseau. Peugeot doit rester une référence absolue de professionnalisme dans le métier de la distribution en France.
J.A. : Comment baisser les charges fixes de la distribution et comment faire évoluer le modèle ?
A.F. : Peugeot veut récupérer en France le leadership et un volume en croissance. Et même si le marché ne retrouve plus le même niveau qu’avant le Covid, avec le potentiel de rentabilité, grâce aux prix plus élevés et à notre offre sur le segment C, nous arriverons à retrouver des niveaux de chiffre d’affaires et de marge
raisonnables. Le VO doit également être rentable et l’activité après‑vente avec le parc Peugeot est une source de profitabilité énorme. Le sujet est plus de maximiser ce profit en termes de volume plutôt que d’économiser à tout‑va. Oui, il faut être concurrentiel, en termes de coûts, c’est indispensable mais le vrai levier n’est pas de continuer à réduire les coûts encore plus, c’est de générer plus de profits.
J.A. : Le modèle économique de la distribution reste basé sur un modèle global lié au volume. Si le marché demeure à un niveau assez bas, les économies ne sont‑elles pas pourtant indispensables ?
A.F. : Nous avons été très loin en termes de coûts dans le domaine de la représentation avec des Stellantis
Houses intégrant plusieurs marques. Et notre potentiel de volume est là, tout comme notre potentiel de mix. Ce qui va mathématiquement augmenter le panier moyen sur le VN. Mais notre part de marché sur le segment des particuliers oscille aujourd’hui autour de 10 %. Ce n’est pas du tout l’ambition de Peugeot qui veut être le leader. Notre potentiel est bien plus élevé.
J.A. : Pourquoi les particuliers se sont‑ils détournés de la marque Peugeot ?
A.F. : Je ne crois pas que ce soient les particuliers qui se soient détournés de la marque. Mais je pense que la marque et le réseau doivent retrouver une approche très professionnelle du travail du marché des particuliers. C’est peut‑être quelque chose que nous avons perdu pour diverses raisons. Avec le traitement des leads, des affaires chaudes, la gestion des équipes de vente très orientées sur la recherche des particuliers et leur fidélisation, nous sommes face à un boulevard. Nous sommes engagés sur ce travail. Et nous allons revenir à un niveau d’excellence qui a toujours été celui du réseau Peugeot.
J.A. : Ce travail va‑t‑il concerner également la clientèle des entreprises ?
A.F. : Nous avons déjà initié ce travail sur le marché des sociétés. Nous avons fait des erreurs ces dernières années sur le traitement de certains clients et je n’ai aucun problème à le reconnaître et à m’en excuser. Mais nous sommes engagés à être très concurrentiels sur le marché du BtoB. Et on en voit déjà les résultats. La tendance est très positive. Il reste à travailler le marché des particuliers, ce sera notre bataille de 2025.
J.A. : Le déploiement du contrat d’agent retailer du groupe Stellantis a été mis en pause. Le concept pourrait‑il refaire surface ?
A.F. : Il faut vraiment analyser les aspects positifs et négatifs avant de se faire une opinion définitive sur le sujet. Aujourd’hui, la décision n’a pas encore été prise. Les avantages sont évidents pour le réseau, mais sur le commerce des particuliers, les complications ne sont pas à sous‑estimer. Rien ne presse. La reconquête du marché des particuliers est aujourd’hui notre priorité.
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