"Le GARAC doit être le moteur de la formation professionnelle supérieure, du BTS à la formation d’ingénieur"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. On sait que le GARAC évolue au gré de plans très structurés et de schémas directeurs validés sur plusieurs années et on imagine donc aisément que votre action va s’inscrire dans la continuité. Cependant, quelles sont les priorités que vous identifiez pour l’établissement, sachant que la conjoncture économique n’est guère favorable et que les chefs d’entreprises automobiles sont peut-être contraints à être plus frileux que naguère ?
Francis bartholomé. Au premier chef, s’il est incontestable que la conjoncture économique difficile doit être prise en considération, cela ne saurait justifier un quelconque immobilisme. La mission première que je me fixe, dans une logique syndicale et de représentativité, est de renforcer la communication sur la formation, afin de mieux faire connaître son contenu et la largeur de son spectre aux professionnels de l’automobile. Cela peut sembler très prosaïque, mais je reste convaincu qu’il y a encore des progrès significatifs à faire dans ce domaine, notamment vis-à-vis des concessionnaires. Il faut vraiment que les professionnels s’approprient cet outil, qui peut être un formidable levier pour une entreprise. Dans cette optique, nous devons bien entendu raisonner à l’échelle nationale et ne pas nous cantonner à l’Ile-de-France.
JA. Même si cela peut apparaître comme une lapalissade, diriez-vous que la formation est la clé du succès de demain ?
FB. Les défis proposés aux entreprises automobiles, au niveau de la vente, des services, de la maintenance, sont de plus en plus complexes, car les produits sont eux-mêmes plus complexes, sans même évoquer la relation clients. L’électronique embarquée et l’infotainment en sont deux parfaites illustrations. La formation prend donc une dimension névralgique par rapport à l’avenir et la clé du succès de demain réside, dès aujourd’hui, dans la nécessité d’élever le niveau moyen des collaborateurs et de préparer cette élévation du niveau des compétences. On peut même parler de plates-formes de compétences. Les entreprises automobiles sont souvent happées par le quotidien et la conjoncture n’est pas de nature à inverser cette tendance… Certes, mais il n’est pas normal que nous ayons du mal à trouver des entreprises désireuses d’accueillir des jeunes… Il ne faut pas se désengager, le moment serait vraiment mal venu pour cela…
JA. Mais le système éducatif dans son ensemble n’est-il pas précisément menacé d’appauvrissement actuellement ? Jugez-vous la situation préoccupante ?
FB. La situation est effectivement préoccupante. Pourtant, il ne s’agit pas de chercher des coupables, ce serait stérile et c’est de surcroît plus compliqué que ce que certains veulent bien dire. Pourtant, de bonnes orientations ont été prises, 80 % d’une classe d’âge au niveau du Bac, réforme Darcos sur l’enseignement professionnel et technique… Mais il y a un décalage avec la réalité. Il est aussi de notre responsabilité de réagir et de proposer d’autres solutions. C’est ce que nous nous efforçons de faire au GARAC. En effet, on ne peut pas toujours dire que c’était mieux avant et se contenter de jeter l’anathème sur les jeunes et sur l’évolution de la société.
JA. Par rapport à l’implication dans la formation, la pratique -très- répandue du débauchage ne complique-t-elle pas la tâche ?
FB. Effectivement, cela n’arrange pas les choses. Nous essayons d’ailleurs de lutter contre, même si cela existera toujours. C’est davantage une question de juste proportion. En revanche, ce qui pose véritablement problème, c’est de voir que 50 % de nos jeunes formés au niveau national, se détournent de l’automobile. A ce niveau, il faut vraiment agir, car si la Branche investit dans la formation des jeunes, ce n’est pas pour les voir servir ensuite d’autres secteurs. D’autant qu’économiquement, cela représente beaucoup d’argent !
JA. Au registre des compétences, quels sont les nouveaux besoins que vous voyez émerger ?
FB. On sait qu’il y a, ou qu’il y aura, des besoins en informatique, en électronique ou autour du véhicule électrique, par exemple. Le défi le plus important consiste ensuite à quantifier ces besoins avec précision. Or, derrière cette estimation se cache une affaire de gros sous, le juste paramétrage de l’investissement. De plus, nous savons que les constructeurs généralistes vont se recentrer sur leur cœur de métier et qu’ils n’hésiteront pas à externaliser en grande partie la formation. Contrairement à ce que beaucoup de professionnels craignaient il y a encore quelques années. Nous avons donc une belle opportunité devant nous, à nous de la saisir ! Il s’agit bien entendu d’un enjeu collectif, qui implique la Branche dans son ensemble, CNPA et ANFA en tête.
JA. Pour la Branche, le GARAC joue aussi un rôle de locomotive pour la formation professionnelle supérieure, est-ce un élément clé de votre vision d’avenir ?
FB. Tout à fait et le GARAC doit être le moteur de la formation professionnelle supérieure, du BTS à la formation d’ingénieur. Nous revenons dans la problématique de la nécessaire élévation du niveau des compétences. Cette démarche implique de structurer de nombreuses compétences, management, qualité, gestion de la relation clients, et nous devons le faire en lien direct avec le terrain, c’est-à-dire avec les professionnels.
JA. Quel est le développement promis à la formation d’ingénieur ?
FB. Ce diplôme est bien né, ayant été mis en œuvre avec les bons partenaires et avec humilité. Il s’agit désormais de le pérenniser plus que de le développer à tous crins. Des promotions de 20 à 22 jeunes environ répondent bien aux demandes du terrain, des réseaux. Beaucoup de candidats postulent, ce chiffre est en progression régulière, mais il n’est pas utile d’étoffer les promotions si nous dépassons le seuil de la demande. En effet, cela reviendrait à former des jeunes pour d’autres… Or, c’est précisément ce que nous ne voulons pas, comme je l’ai déjà dit.
JA. Sujet d’intérêt national que vous connaissez bien : les formations en alternance sont-elles, à vos yeux, plus efficaces que les autres ?
FB. Sur cette question, loin des jugements à l’emporte-pièce, tout à fait stériles car souvent partisans, il s’agit de trouver le juste positionnement, en adéquation avec les orientations de l’Education Nationale et avec la réalité économique du pays, à savoir le nombre des entreprises susceptibles d’accueillir des apprentis notamment. Au niveau de l’apprentissage, des progrès peuvent être accomplis pour mieux utiliser le temps en entreprise et il faut continuer à renforcer le rôle des maîtres d’apprentissage, en le formalisant encore davantage. Par ailleurs, on peut noter que le GARAC démontre que les jeunes sous statut scolaire peuvent avoir la même insertion professionnelle que les jeunes en apprentissage. C’est une exception au niveau national, mais elle n’est pas forcément anodine.
JA. Toujours au chapitre du développement, revenons sur un vieux serpent de mer : un GARAC bis, en province, est-il envisageable, voire un réseau national GARAC à plus long terme ?
FB. Le GARAC doit avant tout rester l’Ecole de la profession, “La” référence. C’est l’objectif premier qu’il ne faut jamais perdre de vue. Il convient de rester raisonnable et de veiller à notre équilibre budgétaire. Cependant, si notre modèle fonctionne très bien, pourquoi, en effet, ne pas le dupliquer en d’autres endroits ? Oui, cela peut effectivement être une hypothèse de travail. Cette réflexion évoluera naturellement avec les demandes exprimées par les professionnels.
Nous devons aussi faire attention au risque de perdre de la valeur en dupliquant le modèle, l’effet dilutif est à surveiller. On ne se rend pas forcément compte de ce que l’excellence réclame comme travail et comme rigueur au quotidien. Par ailleurs, nous sommes accessibles au niveau national, notamment avec les efforts que nous avons déployés pour agrandir et améliorer l’internat. Bref, la question n’est pas à l’ordre du jour, mais l’idée d’un campus en province reste toutefois dans un coin de notre esprit.
JA. Dans un autre registre, confirmez-vous votre volonté de développement international et votre révision à la hausse des exigences en langues étrangères ?
FB. Nous avons déjà des partenariats dynamiques et solides en Norvège, en République Tchèque et en Chine. Et nous gardons en permanence à l’esprit cette idée d’ouverture vers la mobilité, d’autant que c’est aussi un atout pour l’évolution de carrière ultérieure des jeunes. Des jeunes abordent donc certaines matières en langues étrangères et nous intégrons cette donnée dans notre recrutement d’enseignants. Il faut d’ailleurs reconnaître que l’Education Nationale a fait un grand pas en avant dans ce domaine, en proposant aux équipes pédagogiques un raisonnement différent : l’oral a plus d’importance et les centres d’intérêts des jeunes sont pris en compte. L’effort du GARAC se trouve donc renforcé par celui de l’Education Nationale et de l’ANFA. En fait, si les langues étrangères ne sont pas forcément nécessaires dans le business des entreprises automobiles, c’est avant tout une question d’état d’esprit et d’employabilité future. Or cela fait partie de notre mission d’enseignement, d’un point de vue général. C’est aussi une demande des parents d’élèves. En outre, cela permet de valoriser nos métiers, au même titre que le haut contenu scientifique et technologique de notre activité. C’est aussi positif pour l’image de la profession.
JA. En synthèse, quel(s) message(s) souhaitez-vous faire passer comme président du GARAC ?
FB. Nous avons de la chance : tous les outils de réussite en formation sont disponibles ! De plus, contrairement à d’autres Branches, nous avons conservé notre Opca, l’ANFA, et nous restons donc maîtres de nous-mêmes, avec une indépendance financière qui est très précieuse.
Nous devons donc former des jeunes pour la Branche, pour nos entreprises, en jugulant l’évaporation vers d’autres secteurs des jeunes que nous formons avec nos fonds, c’est-à-dire avec les cotisations des entreprises du secteur.
Enfin, nous devons renforcer l’attrait de nos métiers. Je pense notamment aux métiers liés aux pièces, qui sont très importants. Prenons l’exemple de magasinier : il faudrait peut-être changer le nom du métier, pas assez attractif, et expliquer le véritable contenu de ce métier : contact atelier, contact clients extérieurs, vrai centre de profit, aptitude à la gestion, etc. Un métier riche et très demandé par les professionnels.
Propos recueillis par Alexandre Guillet en avril 2012
--------
ZOOM - Francis Bartholomé en bref
Titulaire d’un diplôme d’ingénieur de l’école d’agriculture de Beauvais, Francis Bartholomé débute sa carrière dans le conseil et la vente de produits phytosanitaires. “Je suis venu tardivement à l’automobile, rejoignant l’affaire familiale en 1996, à la demande de ma mère”, explique-t-il. C’est alors une période compliquée et Francis Bartholomé s’attelle à restructurer et à moderniser le groupe. Il faudra ensuite intégrer le nouveau règlement européen en 2002. Mais les choix de consolidation et d’expansion de Francis Bartholomé se révèlent rapidement payants. “Aujourd’hui, le groupe rassemble 150 salariés et livre 2 500 VN”, met-il en avant, tout en précisant : “Nous jouons un peu au dernier des Mohicans, car nous sommes restés monomarques et ce volume est exclusivement réalisé avec Ford. En fait, nous n’avons pas eu la tentation de Jaguar, Land Rover ou encore Mazda et Volvo, car les distributeurs de ces marques étaient bien implantés dans notre zone de chalandise. Et avec le recul, je n’ai pas de regrets”.
Actif au sein du Groupement des concessionnaires Ford, dont il est actuellement vice-président, Francis Bartholomé s’investit aussi dans le syndicalisme professionnel, occupant plusieurs mandats régionaux au sein du CNPA, avant d’en devenir le vice-président national. Son intérêt pour la formation professionnelle ne date pas d’hier, puisqu’il s’est impliqué très tôt dans la “Corefor” de la Champagne Ardennes. Déjà administrateur du GARAC, il est élu président en septembre dernier, succédant ainsi au regretté Jean-Pierre Trenti.
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.