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Entretien avec Jean-Luc Vergne, Directeur des Ressources Humaines de PSA Peugeot-Citroën.

Publié le 30 juin 2006

Par Alexandre Guillet
10 min de lecture
"Nous n'avons pas mis en cause les régimes complémentaires obligatoires, nous avons créé un système supplémentaire !" Au cours des dernières années, Jean-Luc Vergne a considérablement modifié le paysage des ressources humaines au sein de PSA...
"Nous n'avons pas mis en cause les régimes complémentaires obligatoires, nous avons créé un système supplémentaire !" Au cours des dernières années, Jean-Luc Vergne a considérablement modifié le paysage des ressources humaines au sein de PSA...

...Peugeot-Citroën. En multipliant les initiatives et les accords collectifs sur tous les fronts. Rencontre avec un DRH au style direct, volontiers enthousiaste, qui cherche à rendre le dialogue social aussi concret qu'humaniste.


Journal de l'Automobile. Au premier chef, actualité oblige, êtes-vous surpris par l'ampleur de la réaction syndicale en Angleterre suite à l'annonce de la fermeture du site de Ryton ?
Jean-Luc Vergne. Au jour d'aujourd'hui, il n'y a toujours pas eu de grève sur le site de Ryton. 57 % des salariés se sont prononcés contre la grève. Contrairement à ce qu'affirment certains, il n'y a donc pas lieu de parler de crise. En outre, suite à nos propositions, nous recensons d'ores et déjà plus de 1 000 salariés volontaires pour partir en bénéficiant des dispositifs d'accompagnement et de reclassement. En fait, je pense que notre politique est bien comprise par les salariés. En l'occurrence, ce n'est pas forcément le cas des syndicats. Mais je peux comprendre leur première réaction : ils sont dans leur rôle.


JA. Quittons les feux de l'actualité pour évoquer un sujet de fond : d'un point de vue RH, en pleine phase de mondialisation, comment assurer l'unité et la cohérence d'un groupe ?
J-L.V. La globalisation signifie principalement la mondialisation des échanges, des produits et de l'information. Mais je pense qu'il faut nuancer le phénomène et éviter l'écueil de la vision monolithique. Ainsi, dans l'industrie en général, et dans l'automobile en particulier, on ne peut pas s'implanter dans un nouveau pays, voire délocaliser, n'importe où et n'importe comment. Les coûts "transport&logistique" représentent une variable névralgique qu'on ne peut pas occulter. Par exemple, il faut compter entre 700 et 800 euros par véhicule entre le Mercosur et l'Europe. Bref, l'équation n'est pas du tout la même que dans le textile. Au sein de PSA Peugeot-Citroën, nous avons décidé d'implanter des usines au cœur des marchés où nous sommes présents et où nous voulons nous développer, comme l'Argentine, le Brésil, la Chine, etc. C'est une logique économique quand on sait que nous vendons désormais plus d'un million de véhicules en dehors de l'Europe occidentale, ce qui représente grosso modo 30 % de nos ventes. Pour assurer l'unité et la cohérence du groupe, nous menons de nombreuses actions. Prenons un exemple récent : en mars dernier, nous avons signé un accord mondial sur la responsabilité sociale, c'est-à-dire que nous nous engageons à développer les mêmes politiques et les mêmes process partout, dans toutes les filiales du monde. Parallèlement, les missions sont menées par des hommes et des femmes qui ont une passion commune pour l'automobile mais des profils très variés. Car pour réussir ailleurs, il est nécessaire de comprendre cet ailleurs. Et face à la diversité de l'environnement, des clientèles et des cultures, nous croyons à la réponse de la diversité des profils.


JA. Quels sont les mythes de la mondialisation et les réels écueils dont ce phénomène est porteur ?
J-L.V. Plusieurs mythes peuvent être battus en brèche. Primo, la mondialisation des échanges ne dissout ni ne gomme les spécificités culturelles. Secundo, On ne décrète pas une politique et il ne suffit pas d'énoncer des valeurs pour qu'elles soient partagées. Enfin, il est illusoire, et même simpliste, de croire que tout doit être examiné sous le seul prisme de l'économique. Par ailleurs, je n'identifie pas d'écueils ou de réelles difficultés majeures liés à la mondialisation. Bien entendu, il y a des soucis pratiques ou des décalages de culture industrielle et automobile, mais rien d'insurmontable.


JA. Que répondez-vous, au titre de DRH de PSA Peugeot-Citroën, à ceux qui affirment que la France et ses grandes entreprises sont en déclin ?
J-L.V. Franchement, c'est une hérésie. Des problèmes non négligeables existent mais nous sommes tout de même leaders ou parmi les leaders dans de nombreux secteurs importants : automobile, aéronautique, pharmacie, énergie, banque. Jetez simplement un œil sur le classement Forbes des entreprises ! En outre, on ne peut pas négliger le fait que nous ayons l'innovation pour nous ! Et les entreprises françaises sont respectées à l'étranger.


JA. Pour clore sur le chapitre international, pouvez-vous nous dire où en est le déploiement de votre système d'épargne salariale au-delà de l'Hexagone ?
J-L.V. Actuellement, 2,71 % du capital du groupe sont détenus par les salariés, dont 0,1 % hors de France, en Grande-Bretagne ou en Allemagne par exemple. Nous poursuivons notre démarche d'ouverture et dès 2007, ce modèle sera appliqué au Portugal. Des études sont actuellement en cours pour la République Tchèque et l'Italie notamment. Cependant, les choses sont forcément un peu lentes dans la mesure où les législations diffèrent beaucoup d'un pays à l'autre.


JA. Passons désormais à l'enjeu clef de l'emploi des jeunes : de votre strict point de vue de DRH, quelle lecture de l'épisode du CPE proposez-vous et comment analysez-vous cette problématique de l'emploi des jeunes en général ?
J-L.V. L'idée directrice, qui doit animer tout le monde, est de rapprocher les jeunes de l'entreprise et de mieux les intégrer. Le problème existe, il est posé. Alors, quoi qu'on pense des épisodes CPE ou CNE ou autre chose encore, le problème demeure ! Nous formons des jeunes - ou nous ne les formons pas… - qui ne sont pas adaptés aux besoins de l'entreprise. D'une manière générale, je crois beaucoup à l'apprentissage et à la formation par alternance. D'ailleurs, hors réseaux, nous avons intégré 953 nouveaux apprentis en 2005.


JA. Est-ce aisé de recruter aujourd'hui et quels dispositifs permettent de fidéliser les jeunes recrues, étant entendu que les dernières générations sont de plus en plus versatiles vis-à-vis de leur entreprise ?
J-L.V. Nous n'avons pas de difficulté de recrutement : au cours des six dernières années, nous avons embauché 100 000 personnes en CDI, dont 55 000 en France ! Et nous recevons environ 240 000 candidatures au siège chaque année. Nous bénéficions d'une bonne image et j'en veux pour preuve le fait que nous le groupe figure au premier rang des entreprises pour les étudiants des écoles d'ingénieurs depuis plusieurs années. En ce qui concerne la fidélisation à proprement parler, il convient d'indiquer en préalable que nous avons la chance d'évoluer dans un secteur d'activité où la passion et l'attraction du produit sont très fortes. Sur cette base favorable, il est bien entendu nécessaire de proposer des itinéraires de carrière intéressants et une réelle politique sociale. C'est ce que nous nous efforçons de faire avec des engagements précis et variés concernant l'ensemble du personnel.


JA. Cependant, la Profession, au même titre que nombre de vos distributeurs, déplore une pénurie de personnel qualifié, notamment pour les activités après-vente, qu'est-ce que cela vous inspire ?
J-L.V. D'un point de vue général, dans un pays où le taux de chômage est de l'ordre de 10 %, parler de pénurie de main d'œuvre m'apparaît indécent ! Pour nos réseaux de distributeurs, je ne veux pas faire d'ingérence. Disons simplement que chaque entreprise a intérêt à renforcer son engagement social au niveau local.


JA. Pour conclure sur ce chapitre, l'ISM, destiné à identifier et à promouvoir des profils à haut potentiel, vous donne-t-il satisfaction ?
J-L.V. Tout à fait, c'est un modèle qui a fait ses preuves. Il est d'ailleurs plébiscité en interne. Certes, il s'adresse à une élite, puisque les promotions rassemblent environ quinze personnes, mais il s'agit aussi d'un vecteur d'unité car c'est un espace de brassage entre différents secteurs d'activité, différentes nationalités, etc. C'est un élément de notre culture d'ouverture sur l'international et un outil d'optimisation du management au sein du groupe. Cela prépare nos futurs dirigeants.


JA. Au niveau social, estimez-vous que l'opposition binaire et "historique" entre direction et syndicats est encore porteuse de sens aujourd'hui ?
J-L.V. Sous un angle macro-économique, force est de constater que les conflits du travail, dans le privé comme dans le public, sont moins nombreux et moins intenses. Il y a donc un réel progrès du dialogue social. Toutefois, à côté des cinq grandes organisations syndicales que nous connaissons, on voit apparaître des groupuscules très politisés qui raisonnent encore en terme de lutte des classes et selon des schémas très tranchés… Au sein de PSA Peugeot-Citroën, nous tenons à mettre en avant le dialogue social. Tout simplement parce que je suis persuadé qu'on ne peut pas faire évoluer le groupe contre le personnel et ses représentants. D'où la démarche contractuelle que nous développons. Ce qui n'exclut pas, bien entendu, des petits moments de tension et quelques conflits.


JA. A ce propos, pourquoi avoir opté pour une politique d'accords ponctuels avec les syndicats sur des thèmes et des formats de type "missions" et "contrats" ?
J-L.V. Je crois au principe de l'accord, bien plus qu'aux chartes générales. Il induit un engagement mutuel. Dans ce cadre, chacun contribue à la réussite de la mission et les syndicats au premier chef d'ailleurs. Un accord nécessite de l'implication, des résultats et du suivi, autant de gages de réussite et de sérieux.


JA. En cas de tensions, quelles sont les dominantes de votre mode de gestion des crises ?
J-L.V. Le meilleur moyen de gérer une crise, c'est d'éviter quelle survienne. D'où l'importance du dialogue social permanent et concret. Il faut éviter les crises et les conflits qui nuisent à tout le monde. Bref, il faut savoir anticiper et faire valoir une vision prospective. En cas de crise, je crois beaucoup à la rapidité d'intervention et la réponse de proximité sur le terrain.


JA. Passons enfin au chapitre des retraites, quel bilan dressez-vous du dispositif Casa ?
J-L.V. Le plan Casa a été initié en 1999, au moment des négociations sur la Réduction du Temps de Travail et du passage aux 35 heures. Avec l'introduction de nouvelles technologies, l'augmentation de la souplesse de notre outil industriel ou encore la multiplication des modèles, il se créait un décalage avec une partie de notre personnel, des salariés dotés d'un niveau de formation initiale assez faible et prématurément usés par des conditions de travail difficiles, je fais notamment référence aux années 70. Bref, le plan Casa se présentait comme un bon moyen de régler des problèmes du passé. Mais attention, il faut bien comprendre que ce dispositif était très coûteux ! Aujourd'hui, l'Etat ne pourrait plus se le permettre financièrement, les entreprises non plus d'ailleurs…


JA. Dans un autre registre, que répondez-vous à ceux qui taxent votre dispositif de régime complémentaire à cotisations définies d'inique et de porte ouverte à certaines dérives ?
J-L.V. Je ne comprends pas trop ce reproche. Nous n'avons pas mis en cause les régimes complémentaires par répartition obligatoires ! D'ailleurs pour ces régimes, nous cotisons au maximum. Nous avons créé un système supplémentaire à cotisations définies partagées entre le salarié et l'entreprise ! Et en plus, nous assumons la charge des frais de gestion. Non vraiment, nous sommes fiers d'avoir mis en place ce régime supplémentaire. En effet, il est légitime que l'entreprise se préoccupe du sort de ses salariés et qu'elle propose des outils permettant de répondre à une grande inquiétude des salariés, et des français en général : la retraite.


JA. A ce propos, par rapport aux difficultés et aux intérêts de PSA Peugeot-Citroën, quelle réforme des retraites seriez-vous disposé à soutenir ?
J-L.V. Dans ce cas de figure, comme pour l'emploi des jeunes que nous évoquions tout à l'heure, il existe un réel problème, en l'occurrence financier. Donc, il faudra bien le résoudre. Sans nul doute en travaillant plus longtemps et en cotisant plus. Maintenant, comment faire ? Il convient de revoir la définition du temps à travailler, qui est aujourd'hui de 42,5 ans. Par ailleurs, il faut examiner combien les salariés et les entreprises peuvent cotiser en plus. Je ne prétends pas que c'est simple, mais ce sera un passage obligé. Ensuite, d'une manière générale, j'estime qu'un système composé d'un tronc commun et de différents suppléments possibles serait juste et viable. C'est d'ailleurs l'esprit, je le répète, de notre régime supplémentaire à cotisations définies.


Propos recueillis par
Alexandre Guillet

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