Claude Vajsman, exécutive vice-président PSA Chine
Journal de l'Automobile. Le groupe est présent en Chine depuis 18 ans. Pourquoi Citroën n'a pas connu le même développement que certains de ses concurrents présents depuis la même époque ?
Claude Vajsman. Effectivement, nous avons créé notre première co-entreprise il y a 18 ans. La cause essentielle qui explique que nous ne soyons pas au niveau souhaité est relativement simple : pendant très longtemps nous nous sommes accrochés à transformer des voitures européennes pour le marché chinois. Depuis quelques années nous avons changé d'approche. En premier lieu, nous avons installé en Chine notre propre équipe marketing, constituée de professionnels y compris chinois, pour pouvoir mieux comprendre la structure du marché, mieux appréhender les goûts des clients et mettre tout cela dans nos voitures. Qu'elles soient développées en Europe ou ici. De ce fait nous proposons aujourd'hui des produits qui correspondent parfaitement au marché qui, je le rappelle, est composé à 75 % de voitures tricorps, totalement essence avec la moitié en boîte automatique.
JA. Un mot sur votre réseau de distribution. Il y a quelques années Gilles Michel avait lancé un vaste chantier. Qu'en est-il aujourd'hui ?
CV. C'est effectivement un domaine qui a beaucoup évolué ces dernières années, en particulier chez Citroën, car celui de Peugeot est plus récent puisque la marque est présente en Chine depuis 2004 seulement. Nous avons dû réorganiser le réseau Citroën qui répondait à une période où la distribution automobile n'était pas associée directement aux clients particuliers mais plutôt à des administrations. Cette évolution du réseau a été faite, avec succès, et aujourd'hui nous comptons 250 points de vente. Un nombre qui évolue toutefois, avec une cinquantaine de nouveaux entrants chaque année pour les deux marques. Quant aux investisseurs, ils n'hésitent plus à signer avec nous car nous leur montrons ce que nous allons faire dans les années à venir. De plus, la qualité de ce réseau est également primordiale et un des indicateurs majeurs qui montre que le réseau Citroën a changé est la satisfaction client, aussi bien à la vente qu'à l'après-vente. Nous sommes très bien placés dans les classements JD Power.
JA. Vous n'êtes pas satisfait de la part de marché du groupe atteignant 3,5 %. Quel est donc votre objectif et à quelle échéance ?
CV. Il faut replacer cette réflexion sur la Chine dans un contexte général. La Chine est devenue le premier marché mondial avec un potentiel de croissance important. Pour Philippe Varin, qui a pris la mesure des différentes régions où le constructeur est implanté dans le monde, PSA ne sera un acteur global et international que s'il devient un constructeur visible en Chine. Pour ce faire, il a défini une stratégie, appelée Vision, avec 4 grandes ambitions. Parmi elles, PSA doit atteindre, à l'horizon 2020, 8 à 10 % du marché chinois. Nous pensons qu'à cette échéance le marché VP devrait représenter environ 20 millions d'unités. De plus, nous pensons que le marché des VUL atteindra environ 5 à 7 millions. Le marché chinois totaliserait donc entre 25 et 30 millions de véhicules. PSA, à plus ou moins 10 %, devra donc atteindre un volume annuel de 2 millions d'unités.
JA. En attendant cette échéance, quelles sont vos ambitions pour 2010 ?
CV. En 2009, en ne couvrant pas la totalité du marché, le groupe a vendu 272 000 véhicules, soit une croissance de plus de 50 %, comme celle du marché. En 2010, nous visons 350 000 à 400 000 unités, soit une croissance de 30 à 40 % de nos ventes. Mais cette fois-ci, sur un marché global que nous estimons en croissance de 15 à 20 %. Nous visons donc une progression deux fois supérieure à celle du marché. Toutefois, nous n'avons aucune certitude sur ce dernier point, notamment au regard du premier trimestre. En effet, les ventes ont explosé ces trois derniers mois, nous avons réalisé + 70 % ! Nous en analysons les raisons mais, contrairement à l'Europe de l'Ouest, le jeu des prévisions reste ici terriblement difficile.
JA. Le marché est essentiellement composé de berlines tricorps. Qu'en est-il des monospaces compacts ou des SUV ? Peut-on attendre un vrai développement, ou ces produits ne correspondent finalement pas à la conception chinoise de l'automobile ?
CV. Avec un marché où 80 % des acheteurs sont des primo accédants, il est logique de les voir se diriger vers des voitures "utiles", vers les berlines tricorps. Une voiture classique, qu'elle soit de gamme moyenne ou haute. Toutefois, même si l'heure des véhicules "plus fun", tels les monospaces ou les SUV, n'a pas encore sonné, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas une demande pour ces produits. Pour la simple et bonne raison que l'assiette du marché demeure très importante. Dans les villes, dans la zone Est de la Chine, une partie de la population commence à accéder à la deuxième voiture et/ou renouvelle avec des critères qui ont évolué. Par exemple, les SUV, qui sont principalement importés aujourd'hui, représentent 50 % d'un total qui a représenté en 2009 environ 300 000 unités. Il y a donc bel et bien un marché. Nous pensons qu'à l'horizon 2020, ce marché des importés représentera entre 1,2 à 1,4 million d'unités par an. Si la structure de marché reste proche de celle d'aujourd'hui, cela veut dire que les SUV pourraient représenter près de 700 000 ventes annuelles. Cette analyse est également valable pour les monospaces ou les coupés-cabriolets. Toutefois, avant de s'attaquer à ces segments moins traditionnels pour la Chine, il faut s'attacher à couvrir ceux qui vous procurent des volumes qui vous permettent d'exister en parts de marché et économiquement. Nous utilisons le Grand C4 Picasso, que nous importons ici, pour faire de l'image, pour montrer notre capacité, mais aussi sonder les goûts des clients en permanente évolution. Nous avons vendu en une petite année environ 1 000 monospaces alors que la C4 tricorps, une production locale, affiche des ventes de l'ordre de 10 000 unités par mois.
JA. Que vous manque-t-il dans la gamme pour mieux couvrir les besoins actuels du marché ?
CV. Il nous manque, essentiellement, ce qui n'existe quasiment plus en Europe, c'est-à-dire le segment M2/H qui représente ici environ 25 % du marché. Nous commençons, avec la C5, qui est maintenant produite ici, à mieux couvrir ce segment. Il y aura ensuite la 5 by Peugeot, encore plus haut de gamme, puis nous allons continuer. Se priver de 25 % du marché serait dommageable d'autant que ces modèles génèrent traditionnellement des marges plus élevées. L'avenir du M2/H est en Chine et pas ailleurs !
Ensuite, nous ne sommes pas assez présents sur les voitures de type SUV qui prennent de plus en plus d'importance. Chez Peugeot, introduire la 3008, adaptée au marché chinois, c'est-à-dire davantage SUV, serait une solution. En attendant, notre situation s'améliore. Ainsi la gamme Peugeot, jusqu'ici limitée aux 207 et 307, s'appuie depuis le 8 avril dernier sur la 408. Un produit stratégique.
JA. Vous avez évoqué les marges. Un produit fabriqué en Chine comme la 408 est-il plus rentable unitairement qu'une 407 européenne ?
Nous gagnons moins par unité car la structure financière est différente. Même si les voitures de marques étrangères demeurent plus chères que les chinoises, nous devons rester compétitifs. Par ailleurs, nous ne voulons pas sacrifier certains de nos critères que sont la qualité, la sécurité ou l'environnement. D'ailleurs, sur ce dernier point, nos objectifs de réduction de CO2 sont valables en Chine comme en Europe.
JA. Un mot sur les coûts de production en Chine ?
CV. En premier lieu, il y a le coût de la main-d'œuvre qui représente environ 10 % du prix de revient d'un véhicule pour le constructeur. Si l'on ajoute celle de chez nos fournisseurs, cette part peut atteindre 25 %. Le coût des matériaux est le deuxième facteur important. Si la Chine est souvent bien placée dans ce domaine ce n'est pas toujours le cas. Parfois l'absence de certaines technologies et/ou de certains matériaux réduisent de facto les coûts. Par exemple, pour une même face avant de véhicule, il peut y avoir une différence de coût pour un phare. En effet, celui que nous fabriquons en Chine ne peut pas forcément intégrer l'ensemble des technologies disponibles en Europe. Pour schématiser, je dirais que dans ce cas nous utilisons la génération précédente.
JA. Pour en revenir à votre appareil industriel, vous venez d'inaugurer votre deuxième unité de production à Wuhan. Cependant, si vous respectez votre tableau de marche, il vous faudra de nouvelles capacités de production. A quel horizon pensez-vous que cela sera nécessaire ?
CV. Aujourd'hui, à Wuhan, nous disposons d'une capacité de 300 000 voitures dans la première usine et 150 000 dans la deuxième inaugurée en novembre dernier. Notre capacité annuelle installée est donc de 450 000 unités. En utilisant au maximum ces sites, nous pourrons produire de 550 000 à 600 000 voitures. Il est donc clair qu'il nous faudra d'autres installations. Nous avons décidé, avec notre partenaire Dongfeng, d'étudier dès cette année ce dossier d'une tranche de capacité supplémentaire d'au minimum 150 000 unités. Cette étude nous permettra également de déterminer qu'elle est la meilleure géographie. Une décision sera prise d'ici la fin de l'année afin d'être complètement opérationnel dans deux ans. Il nous faut environ une année pour construire l'usine et une année supplémentaire pour installer une chaîne de production pour une nouvelle plate-forme.
JA. La Chine est devenue une priorité pour le groupe, mais est-ce le cas jusque dans les bureaux d'études européens ? N'y a-t-il pas un risque de ne pas suffisamment prendre en compte les problématiques chinoises ?
CV. C'est le danger. Pour éviter cela, nous avons deux approches. D'abord, en avril 2008 nous avons pris la décision d'implanter un centre de R&D et de Design à Shanghai. C'est d'ailleurs la première fois que PSA monte une telle structure à l'extérieur de l'Europe. Ce centre regroupe des équipes d'ingénierie, d'études et de process industriels, même si on en parle moins. Depuis septembre dernier, 300 ingénieurs et cadres travaillent dans cette structure. Nous y serons bientôt 500. Etant en contact permanent avec les marchés et les clients, ainsi qu'en travaillant avec des talents chinois, nous pouvons mieux exprimer les besoins du pays voire même les réaliser localement. Puis, deuxième élément fort : une volonté managériale du groupe. En effet, aujourd'hui, tout développement, même réalisé en Europe, intègre systématiquement les différentes zones. La Chine est maintenant totalement intégrée dans les produits à venir. Il n'existe plus de nouveaux projets sans que la Chine ne soit prise en compte. Avec ces deux approches, nous avons plus de chance de réussir.
JA. Enfin, vous présentez ici la DS3. Quel rôle pour elle sur ce marché ? Allez-vous la produire en Chine ?
CV. Nous allons la commercialiser d'ici peu, comme d'ailleurs toute la ligne DS à l'avenir. En Chine, il n'y a pas d'interdits. Le plus difficile est de définir les priorités. Pour l'heure, nous allons simplement l'importer car intégrer la DS3 dans la production locale n'est pas une priorité.
Photo : D'ici la fin de l'année, Claude Vajsman et son homologue chez Dongfeng, vont décider de l'implantation d'un nouveau site de production dans le pays.
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