Bernard Brulé, responsable promotion véhicules à énergies alternatives chez Automobiles Peugeot
Journal de l'Automobile. En guise de préambule, pouvez-vous revenir sur la genèse de votre département et sur son mode de fonctionnement ?
Bernard Brulé. Il ne s'agit pas d'un département à proprement parler. Disons que je suis à la fois seul et très bien entouré. On m'a confié une mission d'aiguilleur, d'agitateur et de veille technologique et environnementale. L'objectif est de faire valoir une vision globale et un certain recul sur les solutions environnementales qui abondent actuellement. Par ailleurs, il est important de rappeler que je suis rattaché à une entité commerciale et donc opérationnelle. Nous ne sommes pas dans le cadre de la R&D, mais bel et bien au contact du marché. C'est nécessaire car nos produits innovants s'adressent dans un premier temps, dans la majorité des cas, aux grands comptes, collectivités etc. On ne peut donc pas se couper de la réalité commerciale.
JA. Vous êtes principalement connu et reconnu pour votre carrière et vos talents de styliste : qu'est-ce que cette expérience vous apporte dans cette nouvelle mission ?
BB. J'ai effectivement œuvré chez Peugeot en tant que styliste, designer dirait-on aujourd'hui, pendant vingt-cinq ans. Styliste, c'était ma vocation d'enfant. Dès l'école communale, j'ai eu la passion du dessin et de la sculpture des voitures ! J'ai eu la chance de faire beaucoup de choses au style, extérieur, intérieur, couleurs et garnissages… Pour diverses raisons, j'ai ensuite ressenti le désir de faire autre chose et dès 1997, je me suis occupé de la promotion des véhicules électriques. On peut parler d'une orientation fortuite en fait. Pour répondre à votre question, disons que mon expérience m'assure déjà une très bonne connaissance de la marque, de son fonctionnement, au même titre que de ses hommes. De plus, dans le cadre d'échanges et de dialogues, le styliste bénéficie d'une certaine aura. Je ne sais pas si c'est justifié, mais en tous les cas, cela s'avère utile. Enfin, dans un monde de financiers, où chaque cent d't est traqué, et d'ingénieurs, n'y voyez aucune critique, je suis moi-même ingénieur de formation, mettre en avant une vision panoramique, et même peut-être parfois originale, se révèle bénéfique pour l'entreprise.
JA. En tant que styliste, votre aptitude à créer des projets ex-nihilo et à avoir une capacité d'abstraction, sans avoir des jalons modalisés avec certitude pour l'avenir, est-elle précieuse dès lors qu'il s'agit d'appréhender des éléments de prospective ?
BB. Sans doute, mais il faut faire attention aux caricatures. Nous sommes dans un grand groupe industriel et le hasard n'existe pas. Tout simplement parce qu'on n'a pas le droit à l'échec. Que le style ait une part de créativité et de grande liberté, tant mieux et c'est heureux. Ainsi, une voiture peut naître à partir d'un petit dessin sur un ticket de métro. Mais ensuite, nous suivons des process, empreints de rigueur. Le style n'est pas gratuit, il relève de l'architecture, de l'intégration de fonctions, de la technique etc. C'est d'ailleurs ce dialogue qui est stimulant et productif. Prenons deux exemples. Tout d'abord, pour la 205, le projet M24, Gérard Welter a conçu un modèle comme un cockpit d'hélicoptère, un pain de sucre et cela signifiait que la roue de secours devait se loger dans le coffre. Une petite révolution, mais aujourd'hui c'est la norme. Par ailleurs, regardez les véhicules électriques et notamment BB1 : c'est toute l'architecture d'une voiture qui est revisitée.
JA. A ce propos, le véhicule électrique conçu comme tel peut-il vraiment modifier l'architecture des véhicules ?
BB. Petit rappel : au début, l'automobile était un nom masculin. Un mobile autonome. Depuis la naissance de cette industrie, on a toujours cherché de nouvelles architectures, moteur à l'avant, à l'arrière, en travers par exemple. Mais on l'a toujours fait avec les mêmes ingrédients, quatre roues, un volant, etc. Aujourd'hui, nous sommes en train d'assister à une révolution, dans un secteur traditionnellement fait d'évolutions. Le champ des possibles s'élargit et un changement de paradigme s'opère, allant vers un concept de mobilité. Le véhicule électrique en est assurément une illustration, mais parmi d'autres.
JA. Vous évoquiez à l'instant 1997. A l'époque, le véhicule électrique a suscité peu d'engouement ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui : qu'est-ce qui a changé ?
BB. Il convient en fait de parler de 1995, après l'expérience dite de La Rochelle. Entre 1993 et 1995, des véhicules électriques avaient été prêtés à des professionnels et des particuliers et le retour d'expérience était très positif. C'est ce qui a ouvert la voie au sein du groupe à la commercialisation des 106, AX, Partner et Berlingo. Le véhicule électrique n'est pas en cause, ce sont plutôt des facteurs politiques qui ont empêché le phénomène de prendre de l'ampleur. Par exemple, la loi sur l'air n'a jamais été appliquée… En revanche, la date de 1997 est importante car elle correspond à la prise de fonction de Jean-Martin Folz. Il avait déjà la ferme conviction que l'environnement allait devenir capital, d'où les innovations qui ont suivi : FAP, puits de carbone, nouveaux Diesel etc. Bref la différence entre la fin des années 90 et aujourd'hui, c'est que tout le monde a pris conscience de l'importance de l'environnement et tout le monde est plus impliqué et engagé. Le mouvement écologiste des années 90 est aussi passé par là.
JA. Concrètement, quelles sont vos prévisions sur le potentiel commercial du VE à un horizon 2020, sachant que selon les groupes, on constate un immense delta allant de 5 % à 15 % des ventes ?
BB. A l'échelle du groupe, nos prévisions sont plutôt d'un potentiel de 5 % des ventes en Europe en 2020 avec 70 % à professionnels et 30 % à particuliers. C'est donc à la fois important et à la limite du marginal. Cependant, nous n'avons pas de boule de cristal et les choses peuvent évoluer car beaucoup de questions restent actuellement en suspens : l'impact futur des initiatives actuelles sur les clients, l'ampleur du soutien des gouvernements, les décisions des pays émergents, dont la Chine etc. En outre, nous ne maîtrisons pas tout car nous sommes tributaires des progrès des batteries. Nous sommes partenaires des entreprises concernées, mais tout ne dépend pas de notre chef.
JA. Ne pensez-vous pas que le prix des véhicules électriques actuels reste aussi rédhibitoire pour bien des clients ?
BB. Quand une innovation est introduite, son coût est souvent élevé car l'effet volume est déterminant dans l'automobile. Or là, nous ne sommes clairement pas au stade où l'effet volume permet de baisser les prix… En outre, spécificité de ce cas de figure, la batterie représente un tiers du prix du véhicule ! En fait, dans le VE, tout tourne autour de la batterie. C'est pourquoi nous avons décidé de mettre en avant le choix d'une mensualité, inférieure à 500 t, pour iOn. Notamment parce que le VE doit faire évoluer les choses, amenant les gens à raisonner en coût d'utilisation plus qu'en coût de possession. Ce qui induit une modification du rapport à la propriété. J'insiste sur le fait que cette mensualité inclut tout : véhicule, batteries, maintenance, entretien, Peugeot Connected, et un accès possible à MU by Peugeot.
JA. Que pensez-vous de la possibilité de dissocier véhicule et batteries dans l'offre, piste choisie par d'autres concurrents ?
BB. Le choix que nous avons fait correspond à une première approche, mais il ne relève d'aucun dogme. Nous avons avant tout choisi de privilégier la simplicité et la transparence. Nous estimons que c'est le plus pertinent pour la situation actuelle, mais les choses peuvent évoluer demain.
JA. Vous avez évoqué l'entretien et la maintenance, spécifiques dans le cas de figure du véhicule électrique : l'ensemble du réseau Peugeot sera-t-il concerné par cette prestation ?
BB. C'est un point très important car l'entretien et la maintenance des VE mettent en jeu la maîtrise du haut voltage et d'un facteur danger qu'on ne saurait négliger. Par rapport à notre plan produits, nous sommes en cours de déploiement d'un programme de formation dans le réseau, qui s'accompagne bien entendu d'un processus d'achat de matériels et d'équipements ad hoc. Nous communiquerons plus largement sur la question après l'été. Ceci étant, pour répondre sans faux-fuyant à votre question, vu les volumes concernés, il va de soi que tout le réseau ne sera pas obligé de consentir à ces investissements. L'objectif est d'avoir la juste couverture géographique et le bon service de temps d'intervention.
JA. Pour conclure sur le véhicule électrique, quel regard portez-vous sur le fait que Renault ait monopolisé le devant de la scène, en termes de communication s'entend, et par le biais d'investissements importants, mais néanmoins sur l'item de l'innovation ?
BB. Nous verrons à l'avenir quelle sera la réponse du marché aux différentes propositions formulées… Chez Peugeot, nous prenons le parti de mettre en avant une offre globale qui ne se limite pas aux seuls VE, mais intègre d'autres solutions. Quant au VE en tant que tel, nous travaillons surtout sous un angle très prosaïque, au contact des clients, notamment professionnels. Vous savez, le VE, il y a ceux qui en parlent et ceux qui le font !
JA. Au-delà du véhicule électrique, vous lancez aussi un programme sur l'hybridation, relativement tard serait-on tenté de dire, pour quelles raisons ?
BB. Aujourd'hui, tout le monde cherche à réduire ses émissions en devant répondre à trois grandes questions. Comment réduire la consommation de pétrole ? Comment réduire les émissions de CO2 ? Comment réduire la pollution en général ? Une grande partie de la réponse consiste à savoir comment réduire sa consommation d'énergies fossiles. Le VE est une opportunité, mais il faut toutefois prendre en compte initialement les conditions de production d'électricité. On peut aussi évoquer les bio-carburants. Et bien sûr, l'hybridation, notamment Diesel, qui est une bonne réponse dans la mesure où elle réduit les émissions de l'ordre de 35 % en moyenne. En outre, c'est une technologie relativement simple, incluant un bloc Diesel et un moteur électrique sur l'essieu arrière.
JA. Justement, les détracteurs de l'hybride stigmatisent que le fait qu'il y ait deux moteurs génère un surcoût important ?
BB. C'est forcément plus cher puisqu'il y a plus d'ingrédients, mais ce n'est pas forcément trop cher. L'essentiel est de proposer un véhicule au niveau de ce que le marché peut accepter. Avec 3008 et la remplaçante de 407, nous apporterons des réponses très précises dès le Mondial de l'Automobile.
JA. Vous avez aussi cité les bio-carburants, une voie qui semble pourtant aujourd'hui en sommeil dans l'Hexagone, n'est-ce pas ?
BB. Concernant les bio-carburants, deux approches sont envisagées : soit entendus comme additifs, à savoir un peu d'éthanol et le bio-Diesel, soit en tant que carburants à proprement parler, à savoir éthanol à 85 %, voire 100 %, et B30. Pour Peugeot, nous préconisons le B30 pour les flottes captives, comme cela existe déjà pour des véhicules de Police ou de l'Etat. L'apport environnemental des bio-carburants est intéressant, avec une réduction d'émissions de CO2 non négligeable. Mais en France comme en Europe, on vient rapidement buter sur des problèmes de production, en lien logique avec la gestion des surfaces agricoles disponibles.
JA. Pour conclure, un mot sur la pile à combustible qui fut il y a quelques années présentée comme "La" solution et qui semble aujourd'hui redevenir plus lointaine ?
BB. Avant de parler de la PAC, je crois qu'il faut aussi souligner que des avancées significatives sont à venir sur les moteurs traditionnels, essence comme Diesel. D'autant que des progrès sont attendus au niveau des pneumatiques et de l'aérodynamique par exemple. On en parle peu actuellement, mais cela concerne tout de même l'essentiel du parc des prochaines années ! Quant à la PAC, disons qu'il y a dix ans, on disait que c'était pour dans dix ans, et qu'aujourd'hui, on dit que c'est pour dans vingt ans ! Le système est très alléchant et prometteur, d'autant qu'il est archi connu. Mais trois obstacles de taille viennent poser problème : le prix de certains métaux, le platine par exemple, la problématique de l'extraction de l'hydrogène, que l'on ne trouve jamais seul, et la sécurité, car avec l'hydrogène, quand il y a danger, cela veut dire gros danger…
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