LEA Valley : bastion de l’électronique à la française
Peu de gens le savent, mais la région des Pays de la Loire abrite la filière industrielle de l’électronique grand public la plus dynamique de l’Hexagone. Les quelque 400 entreprises qui y sont installées génèrent ensemble un chiffre d’affaires supérieur à 4,4 milliards d’euros par an, avec la collaboration d’environ 20 000 forces vives. Une situation de domination néanmoins fragile. Il s’en est même fallu de peu que la zone soit presque totalement désertée. Le tissu industriel des Pays de la Loire a, en effet, essuyé une vague de départs, il y a de cela un peu plus de dix ans. Le mouvement de mondialisation ayant conduit les fleurons du secteur à prendre la route vers l’Est pour s’installer notamment en Europe centrale et en Asie.
En réaction à cette menace pour le business global, un entrepreneur a pris la décision de fédérer les sociétés encore présentes sur la zone. Ainsi, après la constitution d’une “commission sur les filières” par la ville d’Angers, en 2003, Paul Raguin fonde LEA Valley (LEA pour Loire Electronic Application, N.D.L.R.) en décembre 2008. Il s’agit d’un cluster soutenu par la chambre de commerce et d’industrie de Maine-et-Loire, à Angers, et regroupant les entreprises, les écoles, les laboratoires, les universités, les financeurs et les entrepreneurs du secteur électronique et technologique. L’ambition première de ce projet demeure encore aujourd’hui de dynamiser et de promouvoir les activités, un peu comme le ferait un pôle de compétitivité.
A l’ère des réseaux sociaux, l’association à la tête de laquelle Paul Raguin a été nommé, trouve d’autant plus de retentissement à l’échelle régionale. En l’espace de quatre années, 90 patrons des Pays de la Loire et des départements limitrophes ont décidé de se joindre au mouvement, en croissance de 15 %. “L’objectif est d’en réunir 200 d’ici à 2015”, avance Paul Raguin. “Une entreprise est admise au sein de LEA Valley dès lors qu’elle a une problématique liée à l’électronique, même si cela ne constitue pas son activité principale”, explique Christian Le Mouëllic, délégué général du cluster. Pour la plupart, les membres sont des PME, souvent intéressées par les animations proposées par le cluster. Evénements au rang desquels on compte notamment des séminaires interentreprises, soit des groupes de réflexion et d’échange et de partage de connaissance. Les dirigeants exigent en retour qu’elles contribuent et apportent une valeur ajoutée au groupe. “Nous avons des liens avec le rectorat, à ce titre nous organisons des rencontres avec les écoles et participons à des forums de l’emploi”, détaille encore Christian Le Mouëllic.
Collaboration avec les pôles hexagonaux
LEA Valley évolue dans un climat pas toujours évident. Pas tant sur le plan économique que dans la mesure où “l’électronique grand public souffre d’un manque de notoriété”, reconnaît le délégué général. Néanmoins, le cluster n’est pas la béquille d’une région en difficulté, mais bien le porte-voix de spécialistes qui ne parviennent pas à attirer l’attention. D’où l’ambition de LEA Valley d’œuvrer dans l’optique d’être élevée, un jour, au rang de pôle d’excellence et de rayonner à plus grande échelle. Pour ce faire, en plus de créer des synergies autour des développements technologiques, le cluster a mis en place un dispositif, Rich Electronic Solutions, dont le but est de réunir sous un étendard des compétences lors de participation à des appels d’offres dans les secteurs de l’aéronautique, de la défense, du ferroviaire, de l’énergie, de l’industriel et de l’automobile, en autres. Ainsi, le donneur d’ordre reçoit une proposition derrière laquelle se cache un conglomérat de fournisseurs (20 partenaires actifs y adhèrent à cette date).
En réalité, trois grands domaines intéressent tout particulièrement les membres du cluster. En premier lieu, les objets communicants, viennent ensuite les champs de l’électronique embarquée et celui de l’efficacité énergétique. Difficile, donc, pour certains membres, de ne pas être directement concernés par les enjeux de l’industrie automobile. Encore plus lorsque des groupes tels que Valeo – et sa filiale Valeo Lighting Systems – sont installés non loin de là. “L’automobile est un axe de marché pour LEA Valley”, confirme le délégué général du cluster, qui évoque à titre d’exemple le projet autour de la sûreté des systèmes embarqués mené conjointement avec ID4Car, le pôle de compétitivité breton dédié aux véhicules haut de gamme, alors qu’il avait été initié par la filière Ouest Numérique des Pays de la Loire. Derrière ce chantier, il y a la volonté de rapprocher les mondes du logiciel et du matériel avec, en toile de fond, l’accroissement des connaissances et des compétences des acteurs régionaux. Au sein de ce groupe, on retrouve notamment les laboratoires ESEO/Evaltech et le Lasquo de l’Université d’Angers.
Jusqu’où le cluster pourra-t-il amener les entreprises adhérentes ? Le soutien de la Ville d’Angers et de la Région est un atout de taille, mais il n’est pas infaillible. La récente chute de Technicolor, vestige de la présence de Thomson en ces lieux, véritable traumatisme dans l’opinion publique, est un exemple des limites de ce système qui n’est pas tout-puissant. Sans le support de l’Etat, certaines mesures politiques ne parviennent à aboutir. Ce dont quelques industriels s’agacent. Alors, pour assurer la pérennité, le conseil d’administration de LEA Valley part entre autres sceller des accords avec des homologues étrangers. Des clusters espagnols et italiens spécialisés eux aussi dans l’électronique ont ouvert leurs portes. De quoi donner un peu plus de crédit à la volonté de devenir un territoire d’excellence en Europe.
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FOCUS - Intelligente gestion des ressources
Sous l’égide de LEA Valley, il a été possible de prendre des initiatives allant dans le sens de la collaboration. Parmi les actions menées, on peut souligner celles concernant la gestion des ressources matérielles. Le cluster dispose d’une base de “stocks morts de composants” à l’attention de ses adhérents. Cette base de données a passé la barre des 70 000 références en 2011 et se voit continuellement enrichie par les distributeurs de composants pour anticiper et appréhender les évolutions chez leurs fournisseurs, notamment en ce qui a trait aux changements des systèmes de gestion (ERP), à la traçabilité des composants dans le cas de commandes de faible quantité et plus largement aux tendances de marché.
En parallèle, un groupement des achats généraux a été constitué à la fin de l’été 2011 par cinq entreprises, dont Eolane, Fapronic, Lacroix Electronics et Tronico. Son action consiste à mutualiser les achats correspondant à sept familles de produits. Chaque entreprise a passé un contrat avec un prestataire commun, dont la mission a été de négocier le volume d’achat au nom de l’ensemble du groupe. A la clé, il y a naturellement l’effet de volume qui permet d’obtenir une réduction des coûts.
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ZOOM - Eolane
Avant d’être président de LEA Valley, Paul Raguin est président d’Eolane, une société qui intervient auprès de trois secteurs d’activité : la défense aérienne, les énergies nouvelles et l’automobile (8 % du CA). “Nous avons une offre qui couvre la demande de la pré-série à la production de série”, présente Yannick Bourdin, le directeur de l’entreprise. Eolane et né de la reprise de la branche automobile de Motorola, avant que le groupe américain ne déménage ses activités en Europe de l’Est. Depuis, il a accouché de solutions présentes dans les systèmes Stop&Start de PSA, notamment. En tant qu’équipementier de rang 2, ses contributions sont intégrées aux solutions de Valeo, Johnson Controls ou encore TRW. Dans deux mois, une nouvelle ligne de production doit ouvrir dans l’usine angevine. Ayant nécessité un investissement de 4 millions d’euros, elle fabriquera des régulateurs destinés à la gestion de la consommation, selon des techniques innovantes de soudure et une fiabilité avoisinant le 1 PPM. Parmi les pistes de réflexion pour le futur, Eolane dit étudier, sur la base de son produit à succès en cuisine, une solution de tablette renforcée qui viendrait remplacer le traditionnel manuel d’utilisation dans la boîte à gants.
Concernant le cluster, Yannick Bourdin tire un bilan positif, mais note cependant un comportement typiquement français : “Il faut que tous les adhérents apprennent à oublier la notion de concurrence et favorisent le benchmarking. Seul un effort de réseau nous fera émerger. En outre, les collectivités doivent s’engager à faire des choix stratégiques et non soutenir le projet du bout des lèvres.”
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ZOOM - Lacroix
La philosophie de Lacroix est simple : “Se tenir prêt pour anticiper les demandes.” Fondée et toujours dirigée par la famille Bedouin, la société réalise un chiffre d’affaires annuel de 300 millions d’euros, dont 163 millions sont en provenance de la filiale Lacroix Electronics, qui comprend la branche automobile (20 % du CA de la filiale). Lacroix se classe dans la catégorie des EDMS (Electronic Design and Manufacturing Services), soit un concepteur et un producteur de composants. “Nous pouvons être sous-traitant d’une étude dont le résultat appartient entièrement au client, rapporte Stéphane Gendrot, directeur du développement commercial.” Ses donneurs d’ordre sont connus du secteur, puisqu’on retrouve Valeo, Bosch, Delphi… “Nous sommes positionnés sur les feux à LED depuis longtemps”, donne en exemple Stéphane Gendrot. Mais l’ambition forte de l’équipementier demeure de parvenir à entrer chez les constructeurs japonais.
“70 à 80 % du prix de notre produit est relatif à la matière première, il nous faut maîtriser le reste”, explique Stéphane Gendrot. C’est en cela que le cluster les a notamment aidés. Dominique Chanteau, directeur des achats de Lacroix Electronics, participe aux groupes de travail sur la gestion des ressources, notamment le groupement des frais généraux non stratégiques, la remise en commun des stocks à faible rotation et l’amélioration de la performance des fournisseurs. “Il y a des choses qui ont bien fonctionné avec le cluster et qui nous ont permis de générer quelques économies en plus de nourrir des réflexions de fond et de donner du poids à notre discours”, juge-t-il avant d’émettre quelques réserves : “Nous sommes un peu en retrait par rapport aux espoirs que nous avions fondés. Pour l’heure, l’indépendance de chacun constitue un frein au développement.”
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