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La science des accidents

Publié le 25 février 2011

Par Clotilde Chenevoy
9 min de lecture
Le LAB, laboratoire d’accidentologie, de biomécanique et d’études du comportement humain, de PSA Peugeot Citroën et Renault, décortique tous les accidents pour tenter de comprendre leurs origines, et surtout, de trouver des solutions pour limiter les dégâts, sur le véhicule comme sur ses passagers.
L’usage des capteurs sur les mannequins a permis d’accroître considérablement le nombre de points de mesure.

En 1969, le nombre annuel de morts sur la route ne cesse de prendre de l’ampleur, et ce depuis 10 ans, frôlant cette année-là les 17 000 tués. C’est dans ce contexte que Peugeot et Renault ont décidé de s’associer pour fonder le laboratoire de physiologie et de biomécanique. Les deux constructeurs français veulent ainsi partager leurs connaissances sur les mécanismes accidentels et lésionnels, subis par les usagers de la route lors d’accidents. Et après plus de 40 ans d’existence, le centre, basé à Nanterre, dispose de nombreux outils pour analyser les accidents, et leurs conséquences sur le véhicule et sur ses passagers.

Le LAB travaille sur deux types de domaines, l’accidentologie et la biomécanique. Dans le premier cas, il s’agit de regarder la typologie des accidents, et de faire le lien entre les conséquences physiques et le matériel, pour ensuite donner des préconisations aux constructeurs. Cette thématique se divise encore, entre le moment avant l’accident -accidentologie primaire- et après l’impact -accidentologie secondaire. Pour ses analyses, le LAB a constitué dans les années 1990, un recueil de données d’accidents survenus en France. Ces informations, collectées sur le lieu même de l’accident, permettent de mieux comprendre la genèse de l’accident. Inscrite dans le programme VSR (Véhicule et sécurité routière), une méthodologie précise a d’ailleurs été instaurée en France. Ainsi, la description des accidents, consignée dans un Bulletin d’Analyse d’Accident de la Circulation (BAAC), précise la déformation des véhicules, les données sur l’infrastructure, les conditions environnementales, et les témoignages. “Lors d’un accident dans l’Essonne, nous sommes sur place en 20 minutes pour collecter les différentes informations et pour tenter de comprendre les mécanismes de l’accident, explique Thierry Hermitte, accidentologiste. A partir de ces données, nous pouvons ensuite réaliser une reconstruction cinématique et comportementale. Nous cherchons à déterminer les vitesses et les mouvements opérés, et à fixer le scénario le plus pertinent. Puis nous regardons si cet accident aurait pu être évité.” Le LAB poursuit ainsi trois objectifs : identifier les problèmes d’insécurité, trouver des solutions les plus prometteuses avec un impact fort sur le terrain, et aider les constructeurs à prioriser les besoins.

L’accidentologie secondaire se concentrera davantage sur les conséquences de l’accident, sur le véhicule et ses occupants. Ces analyses permettent de produire des retours d’expérience très rapides aux constructeurs, et de donner des préconisations sur les contremesures à apporter dans leurs véhicules afin d’améliorer régulièrement le niveau de sécurité de leurs produits. Ainsi, les chercheurs vont disséquer les déformations internes et externes du véhicule, vérifier le bon fonctionnement des systèmes de sécurité, le port de la ceinture, ainsi que les blessures des occupants. Chaque accident sera caractérisé et rentré dans la base du LAB. Ainsi, le centre dispose aujourd’hui d’un fichier composé de 15 000 véhicules, 27 000 occupants et 70 000 lésions.

Au travers de ses différentes analyses, le LAB valide et mesure les gains des organes de sécurité qui ont été rajoutés. Par exemple, l’ajout de la ceinture de sécurité, si elle nous semble indispensable aujourd’hui, a été imposé en 1970. Les recherches du LAB ont d’ailleurs plébiscité son déploiement sur le marché, et 9 ans après cette décision, les premiers résultats ont souligné que la ceinture a permis de réduire de 50 % les accidents mortels, quel que soit le type de chocs. En 1993, le LAB publie des données sur l’airbag frontal, assurant que celui-ci permet de diminuer de 90 % les lésions graves à la tête, et de 60 % les lésions au cou. Trois ans plus tard, le centre complète son analyse avec l’airbag latéral, permettant de baisser de 45 % les lésions graves au thorax.

Les enfants, un traitement à part

Le LAB possède également une activité dédiée à la sécurité des enfants, assimilée à l’accidentologie. “Nous travaillons différemment pour évaluer la sécurité des enfants, car ce ne sont pas des adultes en miniature, détaille Philippe Lesire. Leur ossification s’avère différente. A la naissance, la tête représente 25 % du poids du corps. Jusqu’à 6 ans, les épaules et le thorax sont plus souples, et l’aile iliaque, qui retient la ceinture, se forme à l’âge de 12 ans.” Le LAB a été promoteur et pilote de trois projets européens sur le sujet. Le dernier en date, CASPER (Child Advanced Safety Project for European Roads) a démarré en 2009, pour finir en 2012, et a pour objectif d’améliorer la qualité de retenue des enfants.

En effet, différentes études ont montré que les 3/4 des enfants sont mal attachés. “Changer cette situation passe par de l’information, mais également par une évolution des systèmes, détaille Philippe Lesire. Nous devons adopter une approche sociologique de la sécurité routière des enfants. Pour l’instant, nous sommes encore en phase de collecte et d’analyse des éléments.” Ces travaux serviront également aux constructeurs pour l’homologation de sièges auto, dans leur catalogue. En effet, malgré la présence d’une norme européenne, chaque véhicule peut nécessiter un système de retenue spécifique. Cette fameuse norme devrait prochainement être revue.

Des mannequins à 500 000 euros

A l’origine, l’usage des mannequins a été initié par les Américains, pour l’aviation, dans les années 1950. Il faudra attendre les années 1970 pour une récupération par le milieu industriel automobile, afin d’évaluer le risque de blessures d’un occupant lors d’un accident. Les premiers tests portaient sur le bon fonctionnement de la ceinture de sécurité, pour savoir si le corps était bien retenu. Les analyses ont ensuite été plus poussées avec un travail des mannequins sur les articulations, puis sur l’ajout de capteurs. Aujourd’hui, les capteurs, au minimum 200, permettent de récupérer une masse de données impressionnantes. Et à partir de ses mesures, le chercheur va pouvoir mettre en relation les pressions exercées sur les différentes parties du corps, et ainsi déterminer les blessures subies.

Les mannequins étant fortement sollicités, les matériaux utilisés doivent faire preuve de solidité, particulièrement les capteurs. Et cette résistance aux chocs et au temps a bien sûr un coût ! Le prix d’un mannequin peut facilement atteindre les 500 000 euros, tout dépendra du nombre de capteurs. Mais cet achat porte sur du long terme, car, comme pour une voiture, les laboratoires changent les pièces en cas d’avarie. Par ailleurs, les laboratoires font également des échanges de matériel. Car en plus d’être onéreux, il existe plusieurs types de mannequins ! En effet, certains sont conçus pour les chocs frontaux, d’autres pour les chocs latéraux, ou encore pour les chocs arrière. Et les mannequins peuvent aussi avoir différentes morphologies, homme, femme, enfant.

L’informatique, un allié de taille

En complément des tests physiques, le LAB étudie également la biomécanique par le biais de simulation sur ordinateur. Cet outil permet aux chercheurs de mieux comprendre les mécanismes lésionnels du corps dans un accident, autrement dit la cause des blessures. Le centre a d’ailleurs été l’un des pionniers dans ce domaine, créant en 1998 son premier mannequin modélisé, Labman, constitué de 10 000 petites briques, symbolisant des zones du corps. Le modèle a été, par la suite, perfectionné. Ainsi, le modèle Humos se compose de 60 000 briques, adoptant trois tailles de corps différents ! Par ailleurs, une démarche internationale a été adoptée, via le programme GHBMC (Global Human Body Modeling Consortium), où constructeurs, équipementiers, ou encore laboratoires de recherche sont associés pour améliorer encore les modélisations, et donc la sécurité des futurs véhicules.

Aujourd’hui, les véhicules ont atteint des niveaux de sécurité importants, grâce à l’ajout de nouvelles technologies. Il devient difficile d’envisager des ruptures technologiques, les systèmes étant simplement améliorés. En revanche, si, au début de sa création, le LAB s’est particulièrement attaché à travailler sur le véhicule, pour améliorer la protection de son conducteur et de ses occupants, il va aujourd’hui davantage se focaliser sur l’usager de la route. Ainsi, les chercheurs étudient les chocs avec les piétons, ainsi que le comportement du conducteur. Enfin, les véhicules électriques, qui préoccupent les constructeurs actuellement, représentent aussi un nouvel axe d’analyse.

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FOCUS - Dates clés du LAB

1969. Création du laboratoire de physiologie et de biomécanique par Peugeot et Renault. Plus de 16 000 morts sur les routes par an.
1970. Création d’une base de données accidentologiques, remplie par les forces de l’ordre et les médecins. Généralisation de la ceinture à trois points.
1973. Début des analyses biomécaniques avec l’usage d’un mannequin. Année de la mise en place des limitations de vitesse.
1978. Les chercheurs du LAB reçoivent le Ralph H. Isbrandt Automotive Safety Engineering Award.
1979. Etude du choc latéral via les prototypes VLS 104 et EPURE.
1979. Premiers résultats sur l’usage de la ceinture de sécurité. Réduction de moitié du nombre de tués sur les routes, qu’importe le choc.
1980. 12 500 tués sur les routes par an.
1982. Développement du mannequin APROD (Association Peugeot Renault Omnidirectionnel Dummy), avec une vingtaine de mesures.
1983. Premiers essais sur des sièges enfants, avec des mannequins enfants.
1984. Premiers mannequins numériques, PRAKIMOD, avec une baisse des coûts pour une augmentation des points d’entrée.
1990. Travail sur l’accidentologie primaire, et mise en place d’un recueil de données accidentologiques. 10 289 morts sur la route par an, soit - 18 % en 10 ans.
1991. Recherche sur les premiers effets de l’ABS.
1992. Mise en place du programme VSR, déploiement une méthodologie sur l’analyse des accidents. La loi impose un système de retenue spécifique pour les enfants. Création de Labman, un mannequin qui reproduit la cinématique de l’être humain.
1993. Développement de l’airbag frontal. Baisse de 90 % des lésions graves à la tête, et de 60 % des lésions au cou.
Dates clés du LAB (suite)
1995. Renforcement de la structure de la caisse. Division par trois de la mortalité des accidents.
1998. Apparition de l’Isofix.
1999. Tests sur l’AFU (Aide au freinage d’urgence), avec des stratégies d’évitement.
2003. 7 673 morts par an sur la route, soit - 63 % de morts.
2006. Lancement du projet TRACE (Traffic Accident Causation in Europe), pour l’évaluation de l’efficacité des technologies de la sécurité automobile en Europe.
2007. Début du projet mondial avec GHBMC (Global Human Body Modeling Consortium).
2009. Début du projet CACIAUP, travaillant sur l’accidentologie piétonne.
2010. Début du projet DAKOTA, sur le développement des systèmes de collectes et d’exploitation des données accidentologiques pour mettre en place un observatoire européen de la sécurité routière.

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