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La partie de 1 000 bornes qui n’en finit pas…

Publié le 22 octobre 2013

Par Alexandre Guillet
11 min de lecture
Le marché du véhicule 100 % électrique ne décolle toujours pas. Clés de compréhension et projections.
Schneider Electric insiste sur la nécessité de distinguer trois marchés pour les infrastructures : résidentiel, flottes et public, ce dernier étant le plus dur à adresser.

On peut prendre le problème sous tous les angles et le retourner dans tous les sens, mais force est de reconnaître que le marché du véhicule électrique ne parvient pas à prendre son envol. Les données commerciales du marché français sont sans appel (voir tableau) et ce constat se confirme aussi à l’échelle mondiale. Malgré les folles annonces de 2009 lors d’un Grenelle aujourd’hui réduit à peau de chagrin, malgré le Livre Vert de 2011, malgré l’étoffement progressif de l’offre et l’arrivée tant attendue de la Renault Zoé… Pour expliquer ce retard à l’allumage, sans pour autant en tirer des conclusions définitives, Pierre Millet, président-directeur général de la SITL (Brandt Motors, Citélec) avance une hypothèse : “Je pense que les constructeurs, y compris Brandt Motors à sa petite échelle, n’ont pas communiqué sur les bons arguments du véhicule électrique. Les messages se sont focalisés sur l’innovation électrique et sur l’environnement, en omettant que le VE répondait à des besoins et des utilisations. Du coup, nous avons touché une population écologique, mais pas la masse et il est difficile de remonter la pente. Il faut promouvoir une philosophie plus fonctionnelle comme Elon Musk avec Tesla : “mon véhicule, c’est la bonne solution, qui vous correspond et en plus, il est électrique. Un véhicule performant et pas forcément très bon marché””.

Renault adopte le Green’Up de Legrand…

Bruno Barlet, directeur commercial France de Legrand, estime qu’il reste encore du chemin à parcourir : “Il est encore nécessaire de lever plusieurs barrières pour que le marché prenne forme. La barrière psychologique liée à l’autonomie est bien réelle, on ne peut pas la balayer d’un revers de la main, tandis qu’il faut aussi chercher à baisser les coûts et à faciliter la charge. Cela prend du temps, ce qui ne constitue pas une surprise, car nous sommes face à un fait culturel façonné par un siècle de thermique et intriqué dans la valeur de la liberté”. Pour faciliter la charge et participer à la réduction des coûts, Legrand a récemment lancé Green’up Access, une prise simple et à la sécurité éprouvée. L’objectif est de réduire considérablement le budget consacré aux wallbox et de démocratiser au maximum l’accès aux différentes facettes du VE. Un discours écouté, puisque même Renault, qui s’était initialement focalisé sur le mode 3 et ne voulait pas entendre parler d’autre chose, a revu sa position tirant sans doute aussi des enseignements des premiers mois de commercialisation de la Zoé. “D’ici quelque temps, un pack Green’up Access sera fourni avec chaque Zoé”, annonce ainsi Bruno Barlet. Signe que les temps changent, Renault a même accepté que le pack soit badgé Legrand.

Chez Schneider Electric, si Vincent Brunel, responsable des infrastructures VE, reconnaît volontiers que les prévisions établies il y a deux ans n’ont pas été atteintes, il estime néanmoins que le verre est à moitié plein : “Nous constatons des frémissements en termes de ventes et une réelle dynamique se met en place avec des constructeurs aussi significatifs que Renault, BMW, Volkswagen ou Ford par exemple. En raisonnant par analogie, on peut se souvenir que le smartphone n’a vraiment décollé que quand l’offre est devenue très vaste avec plusieurs constructeurs”. Un positivisme qui n’est pas partagé par tout le monde. Reinhard Kolke, responsable du centre de technologie de l’Adac lance ainsi dans une tribune : “Les véhicules électriques ne sont pas compétitifs car leur coût est trop élevé”. Lors du congrès Mobilité Electrique de Francfort, Barb Samardzich, vice-président développement produits chez Ford Europe, a abondé dans ce sens : “En dépit du fort intérêt qu’il suscite, le coût du véhicule électrique est un frein considérable à une meilleure pénétration sur le marché”.

Le blocage psychologique des consommateurs

En somme, les obstacles au développement du véhicule 100 % électrique sont encore nombreux et de surcroît coriaces. Pour Marco Lessacher, président-directeur général d’Alphabet, “le principal défi réside dans la possibilité de battre en brèche le blocage psychologique des consommateurs. Même si les projets pilotes ont quasiment tous engendré des retours d’expérience très positifs, il y a encore une très large partie de personnes qui ne songent pas spontanément à franchir le pas”. Au-delà d’une communication plus prosaïque, des efforts de pédagogie doivent donc encore être déployés. De la manière la plus concrète qui soit, car comme le répètent à l’unisson les représentants des constructeurs, “essayer le véhicule électrique, c’est l’adopter”. Pierre Millet ne dit pas autre chose : “Même auprès des collectivités et des flottes, l’essai du véhicule demeure systématiquement demandé et se révèle déterminant pour déclencher l’achat. Nous avons donc six véhicules d’essai et des équipes dédiées, ce qui représente un coût élevé pour nous, mais nous savons que nous ne pouvons pas sauter cette case”.

La question du budget est aussi sur toutes les lèvres et dépasse le seul prix élevé des véhicules. La location de la batterie et la notion d’amortissement, voire d’économies, dans la durée viennent aussi bousculer les habitudes. Dans ce contexte, tout le monde s’accorde à dire que le modèle français des aides va dans le bon sens, même si Marco Lessacher précise que c’est juste pour l’amorce et qu’il n’est jamais bon de subventionner trop longtemps un marché. De toute manière, dans l’industrie, chacun sait que le prix dépend aussi beaucoup de l’échelle. Et à l’image de Pierre Millet, la plupart de nos interlocuteurs souhaiteraient aussi voir les pouvoirs publics arrêter d’envoyer des mauvais signaux sur l’automobile : “Il y a trop d’approximations et pas de cap clairement identifié. Ainsi, un jour, c’est le VE et le lendemain, c’est le 2 l/100 km… Cela brouille la vision de l’opinion publique et ajoute du travail commercial aux constructeurs”.

Reste aussi le problème de l’autonomie, qui participe grandement du blocage psychologique mis en avant par Marco Lessacher. Les progrès promis sur les batteries (zinc-air, lithium-air…) prendront encore du temps, entre 5 et 10 ans selon Reinhard Löser, spécialiste allemand de l’e-mobilité. Le salut passera donc par les infrastructures de charge, un point noir actuellement, en Europe comme en France. Vincent Brunel incite à ne pas être trop schématique et distingue trois marchés : résidentiel, flottes et infrastructures publiques. “Pour les flottes, il n’y a pas de souci et lorsque nous travaillons avec des groupes comme ERDF, La Poste ou Veolia par exemple, tout se passe bien. Pour le résidentiel, les choses vont s’améliorant, même si les copropriétés sont encore en retrait. Viennent ensuite les infrastructures publiques dont dépend en large partie le marché des particuliers. Reconnaissons que les infrastructures publiques soulèvent un problème, car elles ne s’accompagnent pas d’un business-modèle établi et fiable”, explique-t-il, relayé par Bruno Barlet : “Vu les arbitrages budgétaires avec lesquels nous devons composer, l’essentiel est de tenir compte de la réalité de la vie et de la mobilité des gens. La notion de coût raisonnable est centrale”. C’est aussi ce que pense Pierre Millet : “Il ne faut pas se lancer dans des chantiers titanesques et coûteux car les bornes en ville, c’est comme les airbags du VN que vous achetez, vous ne souhaitez pas vous en servir ! Une autre idée consisterait à aider certaines entreprises à installer des bornes qu’elles exploiteraient commercialement, mais cela revient à déréglementer la vente de l’électricité en France, ce qui est difficile à cause d’EDF et renvoie à la sphère politique…”. Bref, une question de dosage et de bon sens. Et tout le monde de rappeler que 50 millions d’euros avaient été provisionnés pour le déploiement de ces infrastructures. Un rappel non dénué de sous-entendus…

Des raisons d’y croire encore

Au final, si le marché patine et reste epsilonesque, les motifs d’espoir ne manquent pas pour autant. Pour Vincent Brunel, “la phase expérimentale a permis de créer un microcosme VE, regroupant des secteurs et des acteurs différents qui ont appris à travailler ensemble. Aujourd’hui, nous entrons dans le concret, dans un cycle d’émergence. La croissance viendra ensuite avec la multiplication de l’offre, le développement des infrastructures et à moyen terme avec la réforme de l’habitat et les smartgrids. C’est un cas d’école en termes de cycles de marché et de marketing”. Bruno Barlet tient un discours similaire : “Nous sommes au début de la route, ça va prendre, mais lentement. Il faut miser sur un développement naturel et accepté du marché, ce qui garantit aussi des coûts raisonnables pour toutes les parties”. Un optimisme qui n’a rien de béat, mais qui se voit renforcé par l’explosion programmée de l’offre produits. L’arrivée de BMW est aussi vue d’un bon œil, car si les volumes ne seront pas immenses, l’image Premium de la marque peut porter un halo positif sur l’ensemble des VE. En outre, le marché des flottes et, à un degré moindre, des collectivités, montre des signes de frémissements. Conscient que Renault a fait main basse sur tous les grands comptes, Pierre Millet affirme cependant avoir reçu beaucoup de demandes de devis, plus de 2 400 à dire le vrai. Vincent Brunel parle aussi d’un appel d’air au niveau des flottes comme de la grande distribution (Leclerc, Carrefour, Casino…). Bruno Barlet estime aussi que le travail de tous les acteurs va payer, citant notamment les dossiers reliant Legrand à Renault, PSA ou encore Opel, et prône l’arrêt des discours d’ingénieurs pour mieux vulgariser le VE. Au final, le décollage semble programmé pour la période 2014-2016. Ca ne vous rappelle rien ?

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FOCUS

“Security warning” pour le véhicule électrique

Après avoir vu ses ventes progresser fortement aux Etats-Unis, notamment en Californie, Tesla a enregistré un nouveau jalon historique dans son développement en devenant la voiture la plus vendue en Norvège au mois de septembre, avec 616 unités pour une part de marché de 5,1 %. Las, tout début octobre, une Tesla S a pris feu aux Etats-Unis, à côté de Seattle. Fait divers certes, mais la scène a été filmée par un automobiliste de passage et la vidéo a déclenché un buzz monumental : 3,200 millions de “vues” au 10 octobre !!! Par conséquent, Elon Musk, le charismatique président-fondateur de Tesla, a dû intervenir pour expliquer que selon les premiers éléments de l’enquête, la Tesla S avait vraisemblablement roulé sur une grosse pièce métallique qui aurait fait des ravages sur n’importe quel véhicule. Tout en précisant que le conducteur avait pu quitter l’autoroute, grâce au système d’alerte embarqué, et sortir du véhicule sans aucune blessure. Elon Musk met par ailleurs en évidence que, toutes choses égales par ailleurs, il n’y a pas plus de véhicules électriques qui prennent feu que de véhicules thermiques, ce serait même plutôt le contraire. L’argumentaire semble frappé du sceau du bon sens, mais il n’en demeure pas moins que le titre a dévissé dans la foulée de l’accident, avec une perte de capitalisation de près de 2,2 milliards d’euros !

Batterie au lithium : “une technologie courante qui n’est pas pour autant totalement maîtrisée”…
Cet épisode a le mérite de relancer le débat trop souvent verrouillé sur la sécurité des batteries au lithium. Dans une note de synthèse datée de mi-septembre, Véronique Saubot, associée fondatrice du cabinet de conseil en stratégie Coronelli International, soulevait précisément cette question : “Sur les 2,5 milliards de cellules de batteries produites (N.D.L.R. : pour les smartphones, les ordinateurs portables, les calculettes, les automobiles ou les aéronefs), plusieurs millions étaient défectueuses. Si quelques cas d’explosion de batteries de téléphone n’ont pas eu de grandes conséquences, le problème prend une autre dimension lorsqu’il s’agit de batteries de grande taille, à savoir nommément les batteries d’aéronefs et d’automobiles”. A ses yeux, à défaut d’être médiatisé, le nombre d’accidents, qui se multiplient depuis un an, n’est pas négligeable : “Dans l’industrie automobile, l’essor des voitures électriques, dont l’immense majorité utilise des batteries en lithium, a conduit en parallèle à la multiplication des incidents, le plus dramatique étant peut-être l’explosion de la batterie d’un e-taxi en Chine ayant fait trois morts. La plus récente, l’explosion d’une batterie fabriquée par A123 Systems dans un laboratoire de GM, a fait un blessé. Dans l’industrie aéronautique, des incidents à répétition sur les 787 Dreamliner nouvelle génération équipés d’une batterie en lithium ont conduit les autorités à clouer au sol, du 16 janvier au 19 avril, l’ensemble des 50 modèles en circulation”.

“Des industriels à la limite du raisonnable”

Pour Véronique Saubot, la dangerosité des batteries s’explique à l’aune de l’arbitrage que doivent faire les industriels entre coût de production, stabilité de la batterie et densité énergétique. Et pour ne pas décourager les rares acheteurs de VE, ces industriels se placent à la limite du raisonnable, privilégiant la densité énergétique et le coût de production au détriment de la stabilité de la batterie. A ses yeux, le danger est bien réel et c’est aussi un frein pour le marché du VE. “Le marché du véhicule électrique restera de taille modeste tant que la technologie actuelle n’aura pas connu un immense bond en avant. Envers et contre l’idée dominante, nous l’affirmons depuis 2006 et nous répétons ici avec force : cela fait près d’un siècle déjà que les analystes prédisent à la voiture électrique un exceptionnel succès, mais tant que des innovations technologiques majeures ne seront pas mises sur le marché, la voiture électrique restera un marché de niche”, conclut-elle.
 

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