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"Il faut rendre la mobilité électrique festive"

Publié le 6 juin 2018

Par Gredy Raffin
8 min de lecture
Nantes accueillera les 18 et 19 juin prochains le congrès Electric-Road. Evénement français incontournable dédié à la mobilité électrique dans son ensemble, il prend le pari de parvenir à mélanger les experts pointus et le grand public. Jean-Patrick Teyssaire, son fondateur, nous expose sa vision de la situation.
Jean-Patrick Teyssaire, fondateur de Planete-Verte Conseil et du Congrès Electric-Road.

 

JA. Les 18 et 19 juin prochains se tiendra le congrès Electric-road. Pour ceux qui ne le connaissent pas, quel rôle entend jouer ce rendez-vous dans le paysage français ?

Jean-Patrick Teyssaire. Nous sommes depuis le départ un rendez-vous B-to-B qui a pour vocation de se concentrer sur la charge continue des véhicules électriques. Nos conférences mettent en lumière des experts et des technologies adaptées, telles que la recharge par caténaire, par conduction et par induction. D'ailleurs, les dernières annonces de BMW tendent à prouver que cette dernière arrive à un niveau de maturité qui lui ouvre les portes de la commercialisation. Il y a un évident problème lié à la charge, qui constitue le véritable enjeu de l'essor du véhicule électrique, plus encore que l'autonomie. La plus-value de notre congrès réside dans le discours qu'il faut désormais tenir vis-à-vis du public. Les dernières études et mon expérience personnelle démontrent qu'un client qui entre en concession pour un VE est orienté vers un diesel.

 

JA. La recharge plutôt que l'autonomie : Valeo a présenté un concept de batterie en 48 volts qui va dans ce sens…

Les batteries solides sont la grande révolution, en effet. Elles ne présentent que des avantages face aux batteries à électrolyte liquide, que nous connaissons. Elles sont moins chères, plus légères, se chargent plus vite et sont moins dangereuses. En plus, elles peuvent nous permettre de prendre de l'avance sur les Chinois qui, chaque jour, accroissent un peu plus leur emprise sur l'industrie de la batterie, notamment en raison de leur maîtrise de la fourniture du cobalt en provenance de la République démocratique du Congo, qui détient 70 % des ressources mondiales. Ce qui donne aux Chinois une suprématie économique, et donc potentiellement politique, que l'on peut contourner avec des batteries solides, qui s'affranchissent du cobalt.

 

JA. "La mutation" et "le renouveau" dans les rues et sur les routes seront les thèmes de ces deux journées, quelle problématique souhaitez-vous plus précisément aborder dans les échanges ?

Pour la première fois nous allons réussir à mélanger l'expertise de haut niveau et le grand public. Ce mélange d'eau douce et d'eau salée fera le succès d'Electric-Road. Il faut avoir des retours d'expérience, certes, mais il faut surtout rendre la mobilité électrique festive pour la faire entrer dans l'usage quotidien. On peut dire ce que l'on veut, Elon Musk a changé le visage du VE, qui longtemps a souffert et continue encore un peu à souffrir d'idées reçues les plus rocambolesques. Le moteur thermique a mis un siècle à parvenir à ce niveau de perfectionnement et cependant on ne tolère pas les ratés du VE. Je connais pourtant les chiffres : quand on regarde les deux Tesla qui ont pris feu, on ne considère pas les 40 000 voitures thermiques qui chaque année brûlent à cause d'un souci technique. La voiture électrique a subi plusieurs haros injustifiés, si on compare objectivement avec le véhicule thermique.  

 

JA. D'autres enjeux s'inscrivent-ils dans la liste des priorités ?

Nous œuvrons de sorte que les industriels s'accordent et intègrent dès le départ de leurs réflexions un standard. Cela évitera des guerres commerciales comme nous en avons connu au début de la décennie pour savoir quel format de prise de courant subsisterait.

 

JA. En tant qu'observatoire, quels enseignements relatifs à la mobilité électrique retiennent votre attention ?

Il y a entre 12 et 15 millions de domiciles équipés de garages en France. Il est temps que la mobilité électrique devienne un sujet rural et pas simplement cantonné aux grandes agglomérations. Une charge électrique ne prend que quelques secondes lorsqu'il s'agit de brancher la voiture en rentrant le soir. Il convient aussi de noter que la courbe de TCO va croiser celle des véhicules thermiques puisque le coût du lithium ion est passé sous la barre des 100 dollars/KW, soit cinq fois moins cher qu'en 2006. Ce qui rend les batteries de plus en plus abordables.  

 

JA. Sans filtre, Carlos Tavares a dénoncé au mois d'avril le manque d'étude d'impact, et donc l'absence de vision à long terme de la filière. Il estime que la mobilité électrique a été poussée par Bruxelles, sans tenir compte d'un avis au préalablement éclairé des citoyens. Comment donner une crédibilité durable à la filière électrique à qui on promet 11 millions d'unités mondiales en 2025 ?

Je connais la position de Carlos Tavares et je lui donne entièrement raison. J'aime beaucoup sa position car elle est très intelligente. J'ai vu beaucoup de projets de VE échouer. Chez PSA, tout en maintenant une pression sur ses équipes R&D, il prend le sujet avec une extrême précaution. Je ne crois pas que l'on parviendra à arrêter le diesel en 2030. Ces idées ne tiennent pas compte des réalités, notamment à la campagne et sur les chantiers BTP.

 

JA. Pour ceux qui ne le savent pas, vous êtes également un fervent défenseur de l'hydrogène, dont les représentants feront partie du débat…

En effet, je suis un chantre de l'hydrogène et j'ai œuvré à la Afhypac (Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible). Je suis d'ailleurs enchanté des annonces faites par Nicolas Hulot, ministre de l'Ecologie (100 millions d'euros investis dans la filière, dès 2019, NDLR), que j'avais été rencontrer en 2015 pour le sensibiliser à notre cause. Il faut se souvenir, pour l'anecdote, que la première personnalité politique à avoir cru en l'avenir de l'hydrogène, c'est Marine Le Pen, avant que Ségolène Royal prenne aussi part au débat. J'ai invité mes anciens collègues avec qui j'ai gardé d'excellents contacts, car le véhicule à pile à combustible n'est autre qu'un véhicule électrique qui se recharge sans câble. Il est important et évident qu'ils fassent une apparition au congrès Electric-Road.

 

JA. On parle des présents, mais parlons des absents. Pourquoi aucun Français ne participe-t-il ?

Je ne me l'explique pas. Je travaille avec les constructeurs français, notamment au travers de Vedecom, pourtant ni Peugeot, ni Renault, ni les constructeurs de bus ou de camions n'ont répondu à l'invitation. En dernière minute, Gruau et Bolloré se sont manifestés. En revanche, il y a des étrangers, comme BMW et Nissan.

 

JA. Alors que le modèle économique de la mobilité verte est encore fragile, que dire du cas de Bolloré ?

Il rencontre des problèmes avec Autolib', mais ses bus ont un véritable succès. Le modèle d'autopartage n'est pas à mettre en question puisqu'il est adapté à des besoins de mobilité. Mais la Bluecar ne l'est pas. Je pensais au départ que le cahier des charges s'orienterait vers des véhicules plus légers et plus simples, comme les quadricycles. La Bluecar est finalement une bonne voiture, mais c'est une vraie voiture, avec des équipements lourds et énergivores. A ceci s'ajoute une infrastructure coûteuse et contraignante.

 

JA. Prenons-le comme un cas d'école alors et, partant de cette observation, comment assurer un modèle économique vertueux pour les entreprises ?

Une révolution fait toujours des morts. Le CNPA vent au congrès justement pour discuter du futur de la filière. Les mécaniciens vont devenir des électriciens. Les heures de réparation, qui participent de la rentabilité de la chaîne de valeur, vont diminuer avec la simplification des véhicules. La filière automobile, qui pèse 10 % de l'emploi en France, va se réduire. Une vague qui n'est pas sans rappeler d'autres épisodes passés, comme la fermeture des mines de charbon ou l'essor de l'appareil photo numérique, ou encore Internet pour le monde des arts. Regardez le nombre d'entreprises qui sont venues parler de mobilité au salon Viva Technology. Elles viennent remplacer des activités amenées à disparaître, comme celle de la vidange de l'huile sale. Il faut malheureusement expliquer au mécanicien qu'il aura moins d'activité, mais il faut aussi voir que cela n'encouragera pas la fin du diesel. La rentabilité est en jeu.

 

JA. Ne craignez-vous pas d'être taxé de prosélytisme avec ce discours ?

En fait non, car si je défends l'électrique et l'hydrogène, en réalité, je pense que le biogaz est la réponse la plus adaptée pour l'heure. Elle offre le meilleur rapport entre impact environnemental et faisabilité industrielle. Je rejoins encore une fois Carlos Tavares qui dit qu'on nous a martelé l'idée de l'électrique alors que les alternatives sont nombreuses. La pile à combustible, par exemple, ne dépend pas de l'hydrogène. L'éthanol et le méthanol peuvent être utilisés. Je crois que d'autres solutions restent à inventer.

 

JA. Le Gouvernement a présenté un plan pour développer les volumes de véhicules électriques, la semaine passée. Que manque-t-il à la feuille de route ?

Ma lecture de ce plan est forcément bonne, je suis confiant. Toutefois, je crois beaucoup à l'énergie qui vient d'en bas, le bottom-up. Les territoires ont un rôle crucial à jouer. Raison pour laquelle nous avons choisi Nantes cette année et certainement Bordeaux l'an prochain. J'invite les politiques, ceux qui décident des plans, à venir voir toutes les bonnes volontés qui se manifestent sur le territoire français. Le principal problème des villes n'est pas la pollution, mais la congestion. Il faut donc considérer les enjeux locaux pour déployer des stratégies. J'en veux pour exemple que, pour mettre fin à la pollution, il a été décidé de supprimer des places de stationnement. Certes, il n'y avait plus de voitures, mais les commerçants ont vu leurs clients se ruer vers les grandes surfaces. La voiture électrique peut être une réponse, à condition qu'elle soit adaptée à la ville.

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