DMS : Les éditeurs supporteront-ils les tensions ?
“Le DMS est le mieux placé pour résister à la dureté du marché de l’automobile.” L’enthousiasme de Georges Fontaine, président d’Eris Informatique, ne serait-il qu’une façade ? En ces temps d’affaissements des immatriculations, les concessionnaires voient leur pouvoir d’achat reculer. L’instinct de survie pousse à certains arbitrages. Et par répercussions, les prestataires de service en font les frais. “Nous recevons des demandes pour davantage de solutions, d’outils et de développements car les distributeurs ont conscience qu’il leur est nécessaire d’analyser plus finement leurs résultats afin de prendre les bonnes décisions ou des mesures correctives”, argue pourtant Georges Fontaine.
Un bilan que certains confrères se montrent réticents à partager. Certes, personne ne s’alarme, mais la prudence est de mise dans les rangs des éditeurs. “Il n’y a pas encore d’impayés, assure Gérard Faure, directeur grands comptes de Reynolds&Reynolds, mais les petits clients représentent un risque”, prévient-il néanmoins. “Les concessionnaires n’ont pas d’argent pour investir, tranche quant à lui Emmanuel Pasquet, directeur stratégie produit d’ADP, et dans ce contexte, l’informatique doit être consommée comme un utilitaire avec de la visibilité sur long terme et non comme un achat pur.”
Le problème étant que le phénomène de concentration tend à amener les éditeurs à se battre sur des périmètres de plus en plus restreints. Il leur faut être de plus en plus agressifs. “Il y a une véritable guerre des prix en France, car il y a trop d’acteurs pour un marché qui se contracte, confirme l’un d’eux. Mais les éditeurs sont en partie responsables : leur manque de créativité différenciante les oblige à compenser par des remises.” On rapporte avoir observé des rabais de 30 à 40 % dans les négociations commerciales. “Un comportement aberrant auquel il faut mettre fin”, s’insurge un autre, précisant que les niveaux de marges sont au plus bas, “proches de ceux de la distribution automobile”. En effet, cela inscrit les éditeurs de DMS dans une spirale négative dont la première victime est la capacité à innover. Sans revenus, impossible de supporter cet effort nécessaire – et même vital – à l’industrie. A titre d’exemple, chez Fiducial, 20 % du chiffre d’affaires est réattribué au département R&D, contre 18 % il y a trois ans. Chez Solware, on lui accorde un budget de près de 2 millions d’euros, soit 7 % du CA.
Vers un parc 100 % locatif
“Nous avons adopté un discours qui consiste à parler de coût par rapport à une durée et à un contenu”, explique Laurent de Rozario, directeur général de Solware Auto. L’informatique ne doit plus être une question de prix, d’où la stratégie du groupe de proposer l’ASP, “technologie qui permet de gagner les coûts de l’inflation et apaise les tensions économiques”. Pour preuve, Gérald Ferraro, le président de Solware, observe que ses clients agents ont signé des contrats revalorisés en moyenne de 600 euros à la hausse comparativement à 2011, par l’adoption de services ajoutés, que ce soit en conquête ou en renouvellement. Un sentiment partagé par son homologue de Fiducial, Alain Falck. “L’ASP répond à une demande client, nous avons signé 35 % de contrats supplémentaires en 2012 et elle représente désormais 20 % du parc. Nous sommes au-delà de nos prévisions”, se réjouit ce dernier. D’ici trois ans, le président de Fiducial estime que le modèle locatif pourrait atteindre 50 % de pénétration dans sa base installée, tant cela évite la lourdeur des investissements pour les professionnels de l’automobile. Vu de la fenêtre des éditeurs, ce modèle économique présente un avantage indéniable : la récurrence des revenus, qui demeure une grande part, si ce n’est la principale, du chiffre d’affaires, jusqu’à 50 % dans certains cas.
Autres solutions anti-crise : le déploiement de services annexes. A ce titre, Solware Group, qui rencontre toujours le succès avec son programme de marketing direct, Performance, annonce qu’à l’occasion d’Equip Auto, il devrait sortir une offre en “cloud computing”. “Les infrastructures mises en place avec DC for Data et SFR sont prêtes”, confie Gérald Ferraro. L’ambition du prestataire étant “d’essayer de maîtriser encore mieux les coûts tout en apportant de la valeur ajoutée”. Un projet à un million d’euros, qui doit asseoir la position de Solware Auto sur la tendance de la mobilité et conférer de la souplesse au système d’information, dans un schéma multisite.
Reste néanmoins une menace pour les éditeurs. Le fait de proposer des services facturés à l’usage les expose encore une fois à la baisse d’activité de leur client car, finalement, c’est pour ainsi dire un business B-to-B-to-C. “Nous dépendons tous du marché du client final. Nous pouvons offrir d’autres services pour aider à remplir les ateliers”, analyse Alain Falck, avant de sous-entendre que des révélations seront faites à Equip Auto.
Plusieurs autres pistes de relais de croissance sont à l’étude. “La mobilité n’est pas le seul thème de R&D, s’élève Gérard Faure, les logiciels d’optimisation, de simplification et d’augmentation de la productivité, tout comme les modules d’export, sont des axes à suivre.” Pour ADP, celui du marché de la location pourrait tomber sous le sens. “Le problème demeure que les constructeurs tels que Peugeot, Mercedes, Ford ou Opel, qui ont accouché de ces programmes, maîtrisent les démarches en élaborant eux-mêmes les solutions”, refrène Emmanuel Pasquet. Et qu’en est-il du secteur du PL, notamment quand on opère si proche de Mercedes-Benz ? “C’est une opportunité évidente, mais il faut rester néanmoins prudent”, juge le dirigeant.
Pas de garantie de ROI
La prudence doit demeurer le maître-mot, car il y a un autre fait relevé par les acteurs : l’exigence montante de leurs interlocuteurs. On connaît la nature des échanges toujours constructifs, mais parfois tendus, entre les fournisseurs que sont les éditeurs, et les clients, constructeurs et distributeurs. La situation conduit désormais à certains excès. Excès de confiance peut-être. “Le niveau d’exigence est fort, les clients veulent être installés rapidement ou annulent la commande”, remarque Laurent de Rozario. L’éditeur a récemment reçu une demande en provenance d’un groupement qui voulait le développement d’un module… dans un délai d’une semaine ! Impensable il y a peu de temps. “Cela nous pousse à avoir une plus grande agilité dans l’aménagement des plannings. Et dès lors, soit on retarde des déploiements jugés non prioritaires, soit on se renforce”, atteste Philippe Almouzni, président d’I’Car Systems (ex-Sage, voir ci-après). Afin de ne pas créer d’insatisfaction, le prestataire s’est vu contraint de recruter deux sous-traitants extérieurs chargés des missions urgentes. Toutefois, à l’analyse des propos de Gérard Faure, il y a eu des dérives, un certain laxisme et “un manque de compétence évident” chez les compétiteurs du secteur au cours des dernières années, et de là proviendrait l’impatience des clients.
A chacun sa politique, mais d’une manière générale, les constructeurs n’ont jamais réellement financé la création de nouvelles interfaces. Ford, par exemple, laisse l’éditeur supporter entièrement les coûts. D’autres se basent sur l’étude préliminaire, et charge aux prestataires de ne pas dépasser le budget, au risque d’avoir à débourser des centaines de milliers d’euros pour finaliser le projet imposé par le cahier des charges. Cela n’est pas sans risque, car le succès commercial n’est pas une promesse. Il n’y a qu’à prendre le cas de Sage qui, après avoir investi pour pénétrer le réseau Renault, s’est retrouvé face à une réticence des concessionnaires à changer. Résultat : la barre des 5 % de parts de marché n’a jamais été franchie et I’Car DMS a dû se résigner à abandonner l’idée de détrôner DCSnet, de Reynolds&Reynolds. Fort heureusement, les banques, elles, ne semblent pas se désengager et continuent de supporter les éditeurs.
Il leur faut, cependant, montrer de la bonne volonté et procéder à une chasse aux coûts. Que l’on se rassure, aucun plan social n’est a priori programmé. Mais les récentes annonces du géant IBM France, à savoir le licenciement de plus de 1 200 personnes sur les deux prochaines années, soit 14 % des effectifs, témoignent d’un malaise vis-à-vis de la rentabilité. Tout comme la soudaine volonté de Sage de se recentrer sur son cœur de métier, aux dépens de sous-divisions telles que Sage Automobile, apparaît comme un étrange revirement. “L’activité est plus difficile, il n’est pas plus compliqué d’être rentable”, assure pourtant Philippe Almouzni. La profitabilité demeure un sujet tabou. “Elle a chuté. La rentabilité oscille autour des 10 %, quand elle est censée dépasser les 20 % dans cette industrie”, croit savoir un observateur averti. “Il n’y a aucune visibilité sur la pérennité, déplore Georges Fontaine, nous ne sommes pas à l’abri de voir un constructeur pousser sa propre solution”, à l’instar de Cross chez Volkswagen…
PSA va faire le tri cet été
Le marché a beau être “flat”, il n’est pas figé. La course aux homologations reste d’actualité. Prenons d’abord le cas des Français. Peugeot et Citroën, sous l’égide de leur direction transversale, mènent en ce moment même un travail en collaboration avec leurs réseaux, dans tous les pays d’Europe, afin de retirer une liste restreinte d’éditeurs de DMS. Trois à cinq références seulement demeureraient alors, contre plus d’une trentaine aujourd’hui. Contactée par nos soins, la direction des services d’information n’a pas souhaité s’exprimer aussi en amont du projet. Sage, devenu aujourd’hui I’Car Systems, ne cache pourtant pas son ambition d’être dans la liste finale, tout autant qu’ADP qui, en tant que centre d’expertise pour le constructeur et sous contrat d’exclusivité avec ses sites en propre, comprendrait mal une éviction.
Ensuite, il y a les Asiatiques. Toyota, Suzuki, Mitsubishi, mais surtout Hyundai et Kia, attirent jusqu’aux plus grands éditeurs. Outre le fait d’être des leviers de croissance, ces réseaux, dont certains sont en expansion (Hyundai et Kia), compenseront la défaillance d’autres. Cette situation a surtout le don de mettre en exergue des stratégies diamétralement opposées chez les éditeurs. D’un côté, on trouve le courant philosophique de Datafirst et I’Car Systems, à savoir la conquête d’un maximum de marques avec un logiciel DMS standardisé. De l’autre, celui de Reynolds&Reynolds (dont Toyota, récemment ajoutée, est la 6e marque) et ADP qui consiste à avoir un maximum de représentativité dans un portefeuille de marques plus réduit. Les deux mouvements se proclamant l’approche la plus adaptée. Dans le premier cas, les fluctuations – pour ne pas dire les tribulations – de tel ou tel constructeur peuvent être compensées par un autre. “Le ROI se fait à partir d’une part de marché de 30 à 40 % par réseau, oppose Gérard Faure, ce qui prend du temps mais permet d’amortir la constitution de l’équipe de développement qui y est attachée.” Toutefois, l’européanisation des stratégies chez les constructeurs laisse espérer une nouvelle forme “d’effet volume”, comme le croit Arié Tolédano. Le président de Datafirst, visionnaire confirmé, a depuis longtemps tourné son regard vers l’étranger et tout particulièrement les pays de l’Est. Un axe dont il tire 28 % de ses revenus sous forme de royalties versées par ses distributeurs-intégrateurs locaux (un chiffre à prendre avec des pincettes, car il ne comprend que les licences et la maintenance des logiciels, alors qu’en France le matériel compte également, N.D.L.R.), alors qu’il pèse 40 % de sa base installée.
Pourrait-on aussi assister prochainement à des rapprochements comme cela fut le cas entre ADP et Kerridge ou Sage et Cogestib, en 2005 ? “Durant les deux prochaines années, les éditeurs vont consolider leurs acquis”, juge Georges Fontaine. “Il y aura certainement de la concentration d’acteurs, reste à connaître dans quelle mesure, pense quant à lui Alain Falck. Ceux qui n’apportent pas d’innovation pourraient être marginalisés.” Voire disparaître, avertissent certains. Faut-il avancer d’un pas rapide ou assuré ? Les constructeurs et distributeurs parieront-ils sur le lièvre ou la tortue ?
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