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Dans la jungle des bornes de recharge

Publié le 30 mars 2022

Par La Rédaction
11 min de lecture
[Abonnés] Bornes domestiques, d’opportunité, publiques. L’une facture la recharge à la minute, l’autre au kilowatt avec des tarifs différents. Un véritable casse-tête. Si une recharge coûte en moyenne quatre fois moins cher qu’un plein, les mauvaises surprises sont encore légion.
Photo /Renault - Florian Léger /

Tout a commencé par un post publié sur les réseaux sociaux. Le court témoignage d’une expérience vécue à bord d’une citadine 100 % électrique. À l’origine, l’enjeu était on ne peut plus simple : parcourir environ 400 km d’un point A à un point B. Passons sur les déboires liés à l’absence de câble de recharge dans l’auto. Faisons abstraction des difficultés pour trouver des bornes de recharge à l’adresse indiquée et des détours que cela génère.

 

Oublions les "zones blanches de la recharge" encore nombreuses en France et qui sous‑entendent de couper la radio, la climatisation et de réduire drastiquement sa vitesse pour éviter de tomber en panne avant la prochaine borne… Arrêtons‑nous simplement sur le bilan de cette aventure : 11 h pour parcourir 400 km et une note finale d’électricité de 70 euros. Soit l’équivalent d’une voiture thermique consommant plus de 17 l aux 100 km!

 

 

Des histoires comme celle‑ci, il y en a des centaines. Au premier rang desquelles, les recharges et surtout leur prix. Car au‑delà de la promesse écologique, les véhicules électriques étaient porteurs d’un nouvel espoir : faire drastiquement baisser leur coût d’usage. Moins d’entretien et surtout plus besoin d’aller à la pompe : un miracle à l’heure où les prix de l’essence et du gazole atteignent des sommets. Oui, mais voilà, si l’on ne veut pas que le passage à une borne de recharge se transforme en un cauchemar, mieux vaut être aguerri aux usages du VE avant de s’éloigner de chez soi.

 

85 % des recharges à domicile ou au bureau

 

Selon le site Internet Izi by EDF : "En moyenne, une voiture électrique consomme 15 kWh pour 100 km. Ainsi, le coût de la recharge d’une voiture électrique avec une batterie de 50 kWh oscille entre 8 € et 11 € environ. Faire le plein pour une voiture diesel ou essence revient en moyenne 4 fois plus cher. À l’achat, les voitures électriques sont donc plus coûteuses, mais elles s’avèrent particulièrement intéressantes pour l’utilisation courante. Attention toutefois : il s’agit bien de moyennes. La recharge peut être plus ou moins coûteuse en fonction de certains paramètres."

 

En effet, la recharge d’une batterie peut faire le grand écart tarifaire, passant de zéro à une cinquantaine d’euros pour une recharge complète. Pourquoi une telle différence ? Simplement parce que d’une borne à l’autre et surtout d’un fournisseur à l’autre, c’est la jungle ! Rien ne légifère ou n’harmonise la tarification d’une recharge. Moralité, les prix sont décidés par les opérateurs de bornes, sont définis à la minute ou au kWh, sont accessibles avec ou sans abonnement… bref, il y a de quoi en perdre son latin. Pour résumer, il existe trois façons de recharger : à domicile ou au bureau, sur les bornes en voirie ou les bornes d’opportunité, sur les réseaux autoroutiers et routiers.

 

Lire aussi : Bornes de recharge, le chemin est encore long

 

Concrètement : "85 % des recharges se font à domicile ou au bureau. Au bureau, la recharge est gratuite la plupart du temps. À domicile, pour faire simple, nous sommes à environ 0,17 €/kWh. Pour une recharge complète d’une batterie de 40 kWh, nous sommes donc sur un prix de l’ordre de 6,80 €. Les grands trajets qui nécessitent des recharges sur les bornes du réseau routier ou autoroutier, eux, ne représentent que 2 à 4 recharges par an, soit environ 5 % des recharges. Enfin, les recharges d’opportunité ou en voirie sont soit gratuites, soit parfaitement maîtrisées par les automobilistes puisque les gens font leurs courses ou recharges en bas de chez eux, toujours aux mêmes endroits", indique Nicolas Schottey, CEO de Mobilize Power Solutions.

 

Recharger plus vite… mais plus cher

 

Si les bornes à domicile sont d’une lisibilité sibylline (coût d’installation d’une borne + prix du kW d’électricité au tarif régulé), c’est moins le cas lorsque l’utilisateur recharge sur des bornes publiques. Et pour cause. Longtemps, les bornes lentes (de l’ordre de 7 kW) destinées aux recharges dites "d’opportunité" étaient un service plutôt offert à la clientèle d’un centre commercial ou d’un hypermarché. L’idée : recharger gratuitement votre véhicule, le temps de faire les courses. Seulement, les velléités de la grande distribution sont désormais ailleurs. À savoir : être actrice du plan Objectif 100 000 bornes du ministère de la Transition écologique, en déployant des projets ambitieux d’installation de bornes sur ses parkings. Mais il ne sera plus question, alors, de gratuité complète.

 

Carrefour, par exemple, a annoncé en début d’année dernière le déploiement de 2 000 points de recharge d’ici 2023, offrant une puissance allant de 22 kW à 300 kW. Pour les bornes de 22 kW, la recharge est gratuite la première heure pour les porteurs de la carte de fidélité ou de la carte PASS Carrefour. Au‑delà, le prix sera de l’ordre de 0,30 € par kWh. Idem pour les non‑détenteurs des cartes de fidélité de l’enseigne. Pour les puissances allant jusqu’à 75 kW, le prix sera de l’ordre de 0,40 € par kWh et pour celles allant jusqu’à 300 kW, approximativement 0,60 € par kWh.

 

Tesla a, de son côté, annoncé récemment s’associer à Casino pour installer des superchargeurs (250 kW) sur les parkings des supermarchés du groupe, à compter de l’été 2022. Des chargeurs qui seront accessibles à tous les véhicules électriques mais qui, évidemment, ne seront pas gratuits. Et pour cause : le coût de déploiement d’une borne ultrarapide oscille entre 50 000 et 100 000 euros l’unité.

 

Pire : si quelques acteurs du marché facturent déjà en euros du kilowattheure, la plupart des recharges sur les bornes publiques haute puissance (en courant continu) sont aujourd’hui facturées au temps. "Notre volonté est vraiment de basculer en euros au kilowattheure, mais pour le moment, la réglementation ne nous le permet pas pour les bornes en courant continu à la différence des bornes en courant alternatif", explique Maxime Dupas, directeur du développement commercial des nouvelles énergies chez TotalEnergies.

 

Or, pour Yoann Nussbaumer, CEO de Chargemap : "Le modèle de la borne gratuite dans les centres commerciaux risque de s’arrêter, car beaucoup cherchent à faire payer la recharge ne serait‑ce que pour compenser le coût d’entretien des bornes. Au final, le deal est un peu cher pour les acteurs de la grande distribution. Il est donc possible à terme que l’on ait des bornes payantes de ce type, mais peut‑être à prix coûtant, comme le fait aujourd’hui Leclerc avec le carburant."

 

Même constat pour les bornes présentes sur les réseaux routiers et autoroutiers, encore plus complexes à alimenter en énergie et qui, outre un entretien régulier, nécessitent également une bonne dose de génie civil : les prix, évidemment, sont très, très élevés. Au point d’ailleurs que selon Yoann Nussbaumer : "L’avantage des véhicules électriques qui est de pouvoir rouler pour moins cher va se réduire. Et donc, pour conserver cet atout financier, il faut vraiment prioriser les recharges à domicile."

 

Harmoniser les prix pour éviter les surprises ?

 

Reste que les utilisateurs avertis sont plus que jamais convaincus par la rentabilité de leur véhicule électrique en termes de coût d’usage. Pour Cécile Goubet, déléguée générale d’Avere France, et convertie depuis plusieurs années déjà : "Globalement, si vous faites toute votre recharge à domicile sur une Wallbox, vous aurez un budget carburant d’environ 350 € à l’année contre quelque 1 900 € pour un véhicule thermique. Et même si je fais un mix de recharges en prenant en compte le cas extrême de ce que l’on constate, sur 15 000 km annuels avec 60 % de recharges à la maison, 10 % en voirie et 30 % sur l’autoroute, j’arrive à un budget carburant de 800 euros… ce qui reste évidemment toujours très abordable comparé au thermique."

 

Mais les témoignages de gens mécontents de leur expérience avec un VE au moment de la recharge, eux, ne sont pas pour autant isolés. Pour inverser la tendance, de la même manière que Paris ne s’est pas fait en un jour, il va sans doute falloir un peu de patience aux usagers pour qu’une recharge devienne aussi naturelle et simple qu’un plein d’essence. Car les enjeux sont nombreux. Premier d’entre eux : aller vers une harmonisation et une transparence des prix qui laisseraient, de fait, moins de place aux – mauvaises – surprises.

 

"Je crois, estime Yoann Nussbaumer, que cette harmonisation est tout à fait possible ! Mais jusque‑là, à ma connaissance, il n’y a pas de travail entamé sur le sujet. Je pense que le but est en réalité de laisser faire le marché et que chacun finisse par s’aligner sur la concurrence. Nous sommes le principal apporteur d’affaires externe sur les bornes françaises, donc nous avons voix au chapitre et nous défendons le fait que l’utilisateur paye à chaque fois la même chose sur une borne et que les frais d’itinérance soient pris en charge par le propriétaire de l’infrastructure, comme un coût de distribution de son service. Nous faisons vraiment de la pédagogie autour de cette transparence des prix ne serait‑ce que pour éviter les erreurs sur les tarifs de recharge entre ceux inscrits sur les bornes et ceux pratiqués par les opérateurs de mobilité."

 

Une visibilité des prix, mais aussi une visibilité des bornes. Cela peut paraître idiot, mais force est de constater que les points de recharge sont encore très mal indiqués, sauf à préparer son parcours sur une application ad hoc telle que Chargemap. Pour Nicolas Schottey : "Il est vrai que l’écosystème du véhicule électrique est encore immature et c’est justement pour cela que Mobilize Power Solutions a été créé. Il faut donc faire un travail sur cette notion de visibilité et sur le fait également de rendre les bornes accessibles plus facilement. Le but serait par exemple que la distribution d’énergie soit organisée en termes de stations de recharge et pas chacun dans son coin. Nous militons également pour qu’il y ait une sorte de label sur la qualité de service des bornes et en particulier leur maintenance. Mais tout cela prend du temps."

 

Neuf ans que la Zoe de Renault est commercialisée et la première station française 100 % dédiée aux véhicules électriques, initiée par TotalEnergies, vient tout juste de voir le jour à La Défense (92), près de Paris (75). "Notre ambition, au final, est d’avoir 300 stations équipées de super‑ chargeurs d’ici 2023 : 200 sur le réseau routier et autoroutier et une centaine en zones urbaines et périurbaines", explique Maxime Dupas. Demain, TotalEnergies envisage même de créer la toute première station multi‑énergie qui rassemblera gaz, hydrogène, électrique, etc.

 

Le manque de pédagogie des concessionnaires sur le VE

 

Mais s’il y a bien un enjeu qui, plus que les autres, participera à totalement balayer les doutes sur le tarif des recharges, c’est, bien au‑delà de l’affichage des prix, le conseil dès l’achat du véhicule. Aujourd’hui encore, la plupart des néoconducteurs de véhicules électriques ne connaissent pas la puissance de recharge de leur auto.

 

Moralité, pensant aller plus vite, ils n’hésitent pas à brancher leur VE sur une borne de recharge rapide. Grosse erreur. Car un véhicule branché, par exemple, sur une borne de 43 kW, mais qui n’accepte qu’une recharge en 17 kW, mettra plusieurs heures à se recharger. Lorsque l’on sait que ces recharges sur bornes rapides sont quasiment toutes facturées au temps, l’addition peut être très salée. Or, aujourd’hui, hormis quelques rares modèles, la plupart des véhicules hybrides rechargeables (bien plus nombreux que les 100 % électriques sur le marché) n’acceptent pas les recharges rapides !

 

Les mauvaises surprises seraient‑elles dues à un gros manque de pédagogie de la part des concessionnaires ? Sans doute un peu. Car ce qui compte dans l’utilisation d’un véhicule électrique, c’est de savoir ce qu’il est capable d’absorber en charge lente et en charge rapide. "Il est évident que si on ne maîtrise pas cela, on arrive à des résultats hyperdécevants. Or, je pense donc qu’il y a une vraie nécessité à revoir le processus de vente des véhicules, car nous sommes dans une véritable mutation et on ne peut plus vendre des véhicules électriques sans ajouter quelques briques au discours commercial habituel. Alerter l’usager, par exemple, sur le fait que le WLTP peut changer selon sa conduite, que la température extérieure peut in‑ fluer sur l’autonomie du véhicule, que toutes les bornes de recharge ne sont pas faites pour tous les modèles, qu’il est préférable de choisir la puissance d’un véhicule électrique en fonction de l’usage que l’on en fera…", explique Cécile Goubet.

 

Bref, que l’information soit diffusée et bien diffusée. D’ailleurs, Avere France travaille actuellement sur le programme Advenir Formations afin d’améliorer le discours des professionnels de l’automobile à l’égard des véhicules électriques…

 

Ambre Delage

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