"Au-delà des objectifs européens, faire la preuve de la bonne volonté de la filière, c’est vraiment le plus important à mon sens"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Sur quels fondements basez-vous votre réflexion pour le développement de la vente de pièces de réemploi ?
LOÏC BEY-ROZET. Plusieurs éléments sont nécessaires pour que la vente de pièces de réemploi fonctionne. Le premier, c’est une base tarifaire nationale uniforme. Une pièce doit s’afficher au même prix à Nice et à Lille. Et c’est déjà particulièrement complexe, puisque les démolisseurs établissent généralement leurs tarifs “à la louche”, sans réel référentiel. Leur repère de base est bien le tarif constructeur, mais ils y appliquent une “dégradation” d’environ 50 %, qui fluctue souvent selon les vendeurs… Cette base tarifaire uniformisée est d’une importance capitale, puisque c’est grâce à elle que nous parvenons à satisfaire les assureurs dans le cadre du chiffrage des sinistres avec de la pièce de réemploi. Les donneurs d’ordre sont donc aujourd’hui pressants pour qu’un système structuré permette à leurs experts de travailler avec ces composants.
JA. Une fois cette base tarifaire uniformisée, il convient ensuite de convaincre les experts des assureurs d’utiliser le système, n’est-ce pas ?
LB-R. Pour cela, c’est la pertinence de l’outil informatique qui prime. Notre idée est de travailler en collaboration avec les éditeurs de logiciels de chiffrage utilisés par les experts, afin qu’ils intègrent notre base de données pièces, de la même manière qu’ils intègrent à ce jour les tarifs constructeurs. Nous travaillons sur le sujet.
Par ailleurs, il convient de créer un stock virtuel via notre outil informatique, pour assurer la mise à disposition et le taux de service. Pour se développer, ce marché doit à tout prix éviter d’être en rupture en permanence, sans quoi les experts délaisseraient très vite ce mode de chiffrage. Là encore, nous sommes en phase de test.
JA. Se pose donc ensuite un problème de logistique ?
LB-R. Contrairement à la pièce neuve, la pièce de réemploi se trouve répartie aux quatre coins de la France, stockée et répertoriée chez les démolisseurs locaux. Et une fois choisie par un expert et un client, elle doit pouvoir se déplacer rapidement, parfois sur de longues distances, pour un tarif raisonnable qui ne grève pas trop son prix. Or, les opérateurs standards ne permettent pas ce modèle économique. Ainsi, nous avons résolu le problème en utilisant la logistique de Renault, une de nos maisons mères. Cela signifie que Renault inclut nos démolisseurs dans ses tournées pour récupérer des pièces, et se charge ensuite de leur transit vers les ateliers. Enfin, le conditionnement répond aussi à des normes strictes, puisque notre pièce de réemploi doit arriver en bon état dans l’atelier qui la montera, notamment sur les pièces de carrosserie.
JA. Sur quels produits fondez-vous le plus d’espoirs ?
LB-R. Nous préférons, dans un premier temps, gérer le réemploi sur la pièce de carrosserie. Sur les pièces mécaniques, c’est beaucoup plus compliqué en raison du nombre de montages différents qui peuvent se rencontrer sur un même véhicule au cours de sa vie commerciale. Ainsi, il se révèle difficile d’être absolument persuadé que la pièce que l’on envoie est la bonne. Et c’est pourtant fondamental aujourd’hui. En revanche, cet écueil sera bientôt résolu. Dès lors que notre base sera intégrée à un outil de chiffrage, nous serons capables de la mettre en correspondance avec les références constructeurs, ce qui évitera les erreurs.
JA. Vous arriverez alors en concurrence frontale avec Global PRE ?
LB-R. C’est exact. Avec ce type de fonctionnement, nous sommes en concurrence avec Global PRE, mais je ne ferai pas comme eux. C’est-à-dire que je n’ouvrirai pas le système à l’ensemble des démolisseurs, quels que soient leur mode de référencement et leurs pratiques, dont on intègre le stock par interfaçage.
Je crois que l’interfaçage n’est pas une solution suffisamment stable pour être pérenne. Chez Indra, nous avons choisi d’intellectualiser notre système. 6PO (c’est son nom) gère tout, à la fois la comptabilité, la traçabilité matière, celle des pièces, les photos, l’aide au démontage… L’investissement a représenté pas moins de 1,6 million d’euros et il y a encore près de 400 000 euros à ajouter ! Alors, bien sûr, un tel système peut dérouter et inquiéter les démolisseurs, car il est extrêmement structurant, dans une profession qui ne l’était pas beaucoup. A ce jour, deux concessionnaires Indra sont équipés de 6PO et cinq autres ont signé.
JA. Pensez-vous que votre réseau soit prêt à vivre cette révolution de sa profession ?
LB-R. Sur nos 357 démolisseurs, 162 sont des concessionnaires Indra. Et même sur ces 162 professionnels, tous ne sont pas capables de fournir des pièces selon les standards que nous leur demandons en termes de traçabilité, de qualité… Cela demande une discipline de fer, mais c’est indispensable pour ne pas rater le lancement à grande échelle du marché de la pièce de réemploi.
JA. Et prévoyez-vous également de lancer un site de vente de pièces pour les particuliers ?
LB-R. Oui, c’est prévu, mais dans un second temps. Car le souci d’une offre aux particuliers, c’est qu’il faut faire apparaître le tarif de la pièce. Et là, il me faut l’accord de tous mes partenaires démolisseurs sur la cohérence de la base tarifaire. Dès lors que j’affiche un capot à 100 euros, par exemple, il y aura toujours quelqu’un pour le vendre à 95 euros, et là, tout le monde va dire qu’Indra, c’est cher. Tout va très vite sur le Net, il faut donc faire très attention.
JA. Comment jugez-vous les performances de la France face à l’atteinte des objectifs de recyclabilité fixés par Bruxelles ?
LB-R. L’atteinte des 95 % est un sujet complexe. A Romorantin, notre site vitrine a pratiqué des tests de démontage pour l’atteinte de ce taux. C’est tout à fait possible, mais pas viable économiquement, car un certain nombre de composants ou matières ne sont pas vendables, ou bien il n’y a pas de filière… (mousses de sièges, textiles, verres…). Par ailleurs, cela demande une organisation industrielle lourde, avec des flux minimum de 6 000 voitures à l’année.
JA. N’y a-t-il pas une autre voie ?
LB-R. Bien sûr, plus simplement, on sait que pour atteindre les objectifs, les démolisseurs et les broyeurs doivent former un couple uni, avec un intérêt commun. En marge des tests pratiqués avec les broyeurs pour évaluer leur activité, notre service d’engineering développe des solutions pour aider les démolisseurs à mieux, et plus, démonter. Et il nous faut animer notre réseau de 357 partenaires démolisseurs. A ce jour, six conseillers réseau sillonnent les centres VHU, et nous en recruterons également deux en 2014. La seule solution consiste à leur apporter une méthodologie, leur faire savoir que nous avons des ressources en engineering capables de les faire progresser et de leur faire atteindre les objectifs en trois ans.
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