Assurances professionnelles : une protection au grêlon près !
Par Ambre Delage
Pour la cinquième année consécutive, les assurances professionnelles ont subi de nouvelles augmentations. Après 5 % de hausse en moyenne en 2022, 11 % en 2021 et 8 % attendus cette année les entreprises françaises n’en finissent plus de faire des comptes d’apothicaire pour augmenter leur franchise et juguler ainsi la hausse de leur prime. Bien sûr, les groupes de distribution sont en première ligne.
Au point que pour Marc Bruschet, président des concessionnaires VP de Mobilians : "L’assurance est l’un des principaux postes de dépenses. En premier lieu, nos plus importantes charges viennent du paiement des voitures aux constructeurs, puis des salaires et ensuite, arrivent les assurances. Les assureurs aujourd’hui essaient d’augmenter les tarifs en fonction des sinistres de chacun et trouvent globalement que l’automobile apparaît comme un marché risqué. La difficulté, c’est que les acteurs présents sur ce marché sont peu nombreux. Tout cela est très cartellisé, ce qui rend plus compliqué le jeu de la négociation et de la concurrence."
Des primes qui pèsent jusqu'à 0,2 % du chiffre d'affaires
Concrètement, le poids de l’assurance sur l’activité en concession est loin d’être négligeable. Ainsi, aujourd’hui, le prix des assurances souscrites pour les risques corporate majeurs pour un groupe réalisant plus de 100 millions de chiffre d’affaires représente, en moyenne, d’environ 0,2 % du CA.
"Évidemment, la superficie des sites, leur zone d’implantation géographique, le nombre de véhicules en stock, les modalités de gestion du groupe, le montant des franchises, la présence, ou non, d’un garage… tout cela a un impact sur le montant des primes. Mais 0,2 % du CA est une moyenne générale tout à fait représentative", détaille Cyprien Laubin, directeur de Bessé Motors.
Du côté des contrats, les volets majeurs mis en place par les professionnels de l’automobile sont au nombre de trois : les assurances multirisques qui couvrent les risques principaux du type dommages aux biens (incendies, aléas climatiques), assorties d’une garantie automobile (pour couvrir les dommages en essai notamment) et d’une responsabilité civile professionnelle pour couvrir, par exemple, les problèmes qui peuvent se trouver liés à une réparation.
"En complément, ajoute Cyprien Laubin, il y a les garanties secondaires comme la protection juridique, l’assurance cyber-risques, etc. Les groupes de concessions s’assurent tous sur ces trois volets et ensuite adaptent leur assurance sur mesure en fonction du montant de la franchise qui est choisi au départ, sachant que 99 % des sinistres inhérents à la filière automobile ont un coût inférieur à 75 000 euros."
Des aléas climatiques qui plombent les budgets assurances
Reste que depuis plusieurs années, entre des aléas climatiques toujours plus nombreux, les conflits mondiaux et une recrudescence des actes de vandalisme et des vols… Les assurances professionnelles augmentent sans discontinuer. Des risques de plus en plus importants qui, combinés à l’inflation, font s’envoler les prix.
Pour Patrice Guizard, PDG du groupe Cetri : "Certains assureurs estiment que pour seulement couvrir l’inflation, il faudrait augmenter les assurances de 10 % et ils jugent également que les primes sont insuffisantes et qu’il faut les augmenter aussi." Leurs bêtes noires : des épisodes de grêle et des incendies de plus en plus dévastateurs. Au point que certaines assurances se sont même demandé "si elles allaient continuer à assurer la grêle", insiste Marc Bruschet.
Et pour cause, en 2022, année de tous les superlatifs, le coût des sinistres climatiques se situe à huit milliards d’euros, dont la moitié occasionnée par la grêle ! "Une donnée qui n’est clairement pas de bon augure pour la suite, explique Cyprien Laubin, car ces épisodes sont de plus en plus fréquents et soutenus au fil des années. Ils ont une intensité de plus en plus forte, ce qui influe par ricochet sur le prix de l’assurance."
Vers des assurances "paramétriques "
C’est un fait, ces augmentations ont des répercussions énormes sur l’exercice des concessions. Des hausses qui peuvent varier, d’un territoire à l’autre, d’un site à l’autre ou d’un assureur à l’autre, de 20 à 200 % avec des suppressions, en sus, de garanties, comme le bris de glace qui disparaît peu à peu des contrats.
En gros, plus les prix des assurances grimpent, moins les entreprises sont couvertes. Ubuesque ! Alors, si les unes décident d’augmenter leur franchise afin de prendre plus de frais à leur charge en cas de sinistre, les autres ont choisi de faire appel à un nouveau genre d’assurances dites "paramétriques".
L’idée est simple : sortir la garantie grêle de son assurance multirisque traditionnelle et se tourner vers des spécialistes qui assurent des indices calculés sur la taille des grêlons et leur densité au mètre carré.
Moralité, le professionnel paye en fonction du risque réel de grêle encouru par sa concession ou son site. Cela paraît totalement fou et pourtant, ça existe bel et bien. La preuve, le géant Axa a fait entrer dans son giron Axa Climate, dédié à ce type de menaces. "Nous avons participé il y a longtemps à la création de ces assurances paramétriques, qui existent aussi pour les risques de montée des eaux par exemple, pour nos clients agricoles. Désormais, ces paramètres sont aussi applicables à l’automobile et cela permet clairement des réglages plus fins et ajustés aux besoins de chaque professionnel", explique Cyprien Laubin.
De l’art d’anticiper les risques
Autre moyen imparable de limiter les augmentations des assurances : l’anticipation. En France, aujourd’hui, selon Bessé Motors, 60 % des entreprises qui mettent la clé sous la porte y sont contraintes à la suite d’un gros sinistre. Pour éviter d’en arriver à de tels extrêmes, certains courtiers accompagnent leurs clients bien en amont des signatures des contrats d’assurance.
"En effet, nous avons mis l’accent sur la prévention sur site avec des visites pour déterminer au mieux les risques des clients. L’idée de ces visites, c’est, in fine, de mettre en place des actions (gardiennage, travaux de protection, formation…). Nous faisons des audits afin de prévenir les risques éventuels et de trouver des solutions pour les éviter. Nous limitons ainsi les sinistres transférables aux assurances, ce qui permet de négocier plus facilement les tarifs. La clé, c’est vraiment d’être capable d’anticiper les risques", estime Cyprien Laubin.
Enfin, avant de se précipiter sur les premières garanties venues dont les conditions, il faut bien le reconnaître, sont souvent opaques pour le commun des mortels, mieux vaut se poser les bonnes questions. Pour Patrice Guizard, elles sont au nombre de trois : "Quels capitaux dois-je assurer ? Pour quel événement ? Et selon quelles clauses définies dans le contrat ?"
Si ces questions semblent relever du bon sens, elles sont pourtant loin d’être anodines. Et pour cause, des capitaux mal déterminés, c’est l’assurance de ne pas être remboursé à hauteur de la valeur réelle du bien sinistré. Un événement oublié et non énuméré dans les clauses (vol, vandalisme, aléas climatiques, etc.), c’est idem : un oubli et le sinistre n’est pas couvert.
Des offres forfaitaires
Pour s’affranchir des trous de mémoire, Cetri a notamment imaginé des offres forfaitaires et agiles qui couvrent l’ensemble des aléas. Des "enveloppes financières" par site pour éviter les valeurs proportionnelles, des garanties "tous risques sauf" (ce que la loi exclut) pour éviter d’énumérer tous les risques possibles et imaginables. Et Patrice Guizard d’expliquer : "Sur un contrat standard, par exemple, s’il pleut très fort et que de l’eau ruisselle dans la concession, ça n’est pas une catastrophe naturelle et ça n’est pas non plus un dégât des eaux. Mais chez nous, ça marche quand même !"
Enfin, le courtier va jusqu’à mettre en place des conventions spéciales pour alléger les conditions générales un peu dures imposées par les acteurs du marché. Un exemple là encore : les parcs "hors groupe" qui peuvent accueillir parfois certains véhicules et qui ne sont théoriquement pas inclus dans les conditions des assurances puisque extérieurs au groupe. Enfin, pour Cyprien Laubin, la réflexion va encore au‑delà : "Pour moi, plus les années vont passer, plus l’assurance professionnelle historique va être remplacée par de la prévention pour que l’assurance n’intervienne que sur des faits très marquants qui peuvent mettre en péril l’entreprise et que le client soit capable de gérer le reste lui-même."
L’électrique fait‑il grimper le prix des assurances ?
Avec la multiplication des modèles électriques en concession, la question est d’autant plus légitime que les batteries sont sujettes à caution. Facilement inflammables, plus chères qu’un simple moteur thermique, ont‑elles désormais elles aussi un impact sur les prix des assurances pour les professionnels de l’automobile ?
Pour Marc Bruschet, la réponse est plutôt : "Non. Le véhicule électrique représente 1 % du parc, c’est franchement peu de chose. Cela n’a donc pas d’incidence réelle sur le prix des assurances." Pour le moment. Car si courtiers et assureurs manquent encore de recul sur le sujet du véhicule électrique et, par extension, de sa batterie, ils sont cependant sûrs d’une chose : une batterie "choquée", c’est une batterie potentiellement dangereuse.
"Factuellement, si elle n’est pas en sécurité et isolée, vous avez des risques d’incendie et une batterie qui prend feu, on ne sait pas l’éteindre ! Donc, nous travaillons avec certains assureurs afin que nos clients soient accompagnés pour intervenir sur les batteries sans risque, pour protéger les bâtiments, etc ", explique Cyprien Laubin.
En somme, si la multiplication des véhicules électriques dans les parcs des concessionnaires n'influence aucun tarif pour l’heure, le sujet devrait sans aucun doute devenir majeur dans les années à venir.
-----------------------------------------------------------------------------------------------
"Les règles du jeu se sont durcies", Nathalie Delhommais, responsable achat du groupe Michel.
J.A. : Quel poids l’assurance a‑t‑elle sur votre entreprise ?
N.D. : Nous avons un contrat "Tous risques sauf" chez Cetri, qui couvre la responsabilité civile professionnelle, la flotte et les bâtiments avec une protection juridique. Tout est couvert de l’incendie au vandalisme. En termes de coût, nous nous situions en dessous de 0,2 % du CA il y a encore quelques années mais aujourd’hui, nous y sommes. Jusque‑là, nous ressentions peu les hausses, la prévention restant notre leitmotiv. Je travaille pour le groupe depuis 1995 et j’ai vu à quel point le rapport sinistres à prime devait baisser, toujours plus.
J.A. : Dans quelles proportions ?
N.D. : En 1995, le rapport sinistres à prime pouvait se situer aux alentours de 85 %. Aujourd’hui, les assureurs le considèrent comme bon s’il se trouve autour de 30 à 40 %. En d’autres termes, il ne faut pas que le montant total annuel des sinistres dépasse 30 à 40 % du montant des cotisations versées à l’assureur. Bien sûr, ce dernier ne nous augmente pas systématiquement si nous sommes plutôt aux alentours de 50 %, d’autant que ces rapports entrent en compte sur une moyenne de trois années.
Mais force est de reconnaître que depuis le Covid, les règles du jeu se sont durcies. D’ailleurs, peu d’assurances veulent couvrir les groupes de distribution dans leur ensemble… Elles préfèrent que les flottes soient dissociées des bâtiments. Les inondations, les épisodes de grêle, les incendies sont de plus en plus nombreux et d’ampleur. Ce sont de gros risques pour les assureurs qui les répercutent sur leurs clients.
J.A. : De quelle manière contournez‑vous ces augmentations ?
N.D. : Pour éviter de trop grosses hausses, nous acceptons d’augmenter nos franchises. Nous les avons plus que doublées ces derniers temps sur nos véhicules. Comme nous augmentons nos franchises, l’indemnisation est moindre en cas de sinistre, cela tend à améliorer notre rapport sinistres à prime et évite que les primes ne flambent.
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.