Sans concession ?
Stellantis a annoncé le 20 mai dernier son intention de renégocier les contrats des concessionnaires et des agents de ses 14 marques en Europe. Un coup de tonnerre dans un ciel déjà suffisamment changeant. Entre la mise en orbite de ce nouveau groupe, les effets de la crise sanitaire, les mutations des modes de consommation, et les objectifs draconiens de réduction des émissions de CO2, cette réorganisation s'inscrit aussi dans la perspective d’un futur règlement d’exemption européen. En cours de révision, un nouveau régime doit en effet entrer en vigueur en juin 2023.
La tendance contemporaine est peu à la nuance, la recherche quasi obsessionnelle de la "disruption" tenant le haut du pavé de la mode. Sans cérémonie, enterrons donc des réseaux de distribution inéluctablement voués à la disparition : anachroniques, désorganisés, conservateurs, trop chers, ils sont incapables de survivre au big bang de la filière automobile. Avec les datas et les batteries pour nouveau pétrole, l’avenir s’écrit "sans concession" ni agents, nouveaux dinosaures du XXIème siècle.
Or, rien n’est plus faux. Cette analyse tient de la pensée magique et d’une forme de myopie dans la recherche de la réduction des coûts. C’est oublier le fil conducteur de l’histoire automobile : son âme pionnière, et le caractère singulier de la distribution d’un bien de consommation totalement atypique. Ce commerce né il y a un siècle n’a nul besoin d’apologies. Il ne se paie pas avec des incantations, il se rémunère et se développe par le travail bien fait. La meilleure protection, c’est la performance.
Loin de défendre des anciens régimes, ses acteurs projettent de rester à l’avant-garde et c’est une excellente nouvelle pour la filière et ses clients : le commerce automobile du futur passera par ses entrepreneurs, pour peu que la confiance reste le moteur d’une dynamique commune.
Le temps n’est plus à défendre d’anciens régimes, mais de rester à l’avant-garde !
Les distributeurs sont d’abord des entrepreneurs. C’est une espèce exceptionnellement résiliente. Toute épopée a ses fantassins, et l’automobile a les siens avec un récit ininterrompu d’innovations industrielles mais aussi commerciales dans un pays "constructeur". Ces générations de chefs d’entreprises ont toujours su apporter des solutions, en s’investissant dans le développement des marques dont ils sont les premières lignes avant d’en être les simples représentants.
Cette fierté-là, authentique et forte, il ne faut jamais la rabaisser. Elle n’a rien de ringarde : c’est au contraire un puissant ressort économique et humain, et l’automobile reste une sorte d’exception culturelle profondément ancrée en France.
La filière devra relever d’immenses défis au cours de la décennie, et les "donneurs d’ordres" seraient mal inspirés de contourner leurs carrés de fidèles au moment où les cœurs et les énergies devront être mobilisés pour réussir une révolution d’ampleur historique. On ne mène pas les troupes à la bataille avec des tableaux excel. La filière gagnera si elle est unie autour d’une stratégie réellement partagée, ou elle perdra rapidement beaucoup plus que des marges.
Des crises, et des transformations importantes, les distributeurs en ont déjà traversé. Celle du COVID, en faisant effectuer au marché français un spectaculaire bond en arrière de 50 ans, ne fait pas exception : les chefs d’entreprise finiront par la dominer. Mieux : ils sauront en tirer les enseignements pour accélérer l’incontournable adaptation de leurs modèles économiques. Loin d’appartenir au monde d’avant, l’agilité de la distribution automobile lui permettra de se réinventer davantage et plus vite que des organisations centralisées.
Cette "agilité" a enrichi le vocabulaire contemporain d’un monde qui s’est retrouvé au bord du gouffre. Les concessionnaires et les agents n’en ont pas manqué, et nul n’a dérogé à ses responsabilités, à commencer par l’État dont l’action économique a été résolue "quoi qu’il en coûte". Malgré les chutes brutales de chiffre d’affaires, il n’y a pas eu à déplorer de casse sociale et les réseaux ont, pour le moment, réussi à maîtriser une crise hors normes.
Ce sont des amortisseurs très précieux ! Si la distribution au sens strict a un coût - de l’ordre de 10 % et non pas de 30 %, chiffre qui intègre tous les frais de commercialisation - la crise sanitaire a rappelé combien les réseaux sont, en réalité, sans prix. Lorsque le canal physique ou "phygital" s’arrête, la production se bloque - une thrombose ayant menacé toute la filière avec un niveau historique de stocks dont il fallait bien porter le financement et maîtriser les dépréciations.
Dès lors que les concessions et les agences ferment, les ventes s’effondrent, jusqu’à un abyssal - 88 % en avril 2020, y compris lorsque la vente digitale fut autorisée. Quand les affaires rouvrent, les ventes repartent… Cette crise a averti par l’absurde d’une "digital limit" difficilement dépassable. Elle a également souligné l’interdépendance des usines, des points de vente et des ateliers, la valeur ajoutée de leurs ouvriers, employés et cadres n’étant plus à attester au terme de trois confinements : oui, c’est une activité « essentielle » à la nation. Laisser penser qu’il y aurait un antagonisme en visant à créer un rapport de forces pour tenter de le résoudre mène à une impasse.
Alors une résiliation, les chefs d’entreprise en verront d’autres. Ce qui se joue n’est pas seulement un sujet de droit et d’économie, et l’enjeu est beaucoup trop sérieux pour être laissé à leurs seuls experts. Remettre à plat les relations contractuelles - ou plutôt partenariales - est un sujet stratégique majeur et sans aucun doute une opportunité. Dans un univers des mobilités en pleine expansion, le temps n’est plus, en effet, à défendre d’anciens régimes mais de rester à l’avant-garde.
L’objectif est de projeter une organisation équilibrée, performante, profitable, et à forte valeur ajoutée humaine ; c’est un projet entrepreneurial noble, en mesure de mobiliser les meilleures énergies.
Le commerce automobile du futur passera par ses entrepreneurs
Lors des discussions préparatoires à un précédent règlement d’exemption - le "1400 / 2002" -, les constructeurs et les distributeurs s’étaient accordés sur l’essentiel. Un dialogue régulier et au bon niveau avait permis de cerner avec lucidité un équilibre général jugé comme soutenable par toutes les parties prenantes. Un règlement d’exemption alors spécifique à l’automobile avait été reconduit avec des garde-fous prévoyant une protection légitime des professionnels, sans oublier l’intérêt premier du consommateur. Pour reprendre l’expression de Mario MONTI, à l’époque commissaire européen en charge de la concurrence, "il doit rester au volant de la voiture". Car c’est bien lui, plus sûrement que tout autre acteur, qui transforme le mieux les organisations et les parcours d’achats.
Depuis, un règlement dit "général" est passé par là, en 2010. Trop de contentieux se sont développés, jusqu’à récemment en Autriche, et persiste une appréciation collective contrastée alors que le marché français a connu plutôt un haut de cycle. 10 ans après, l’irruption du coronavirus a clos cette période de croissance, tout au moins pour le véhicule neuf, et joue déjà un catalyseur de mouvements plus profonds. Tous les repères sont instables, et les acteurs de la distribution ne sont ni les premiers ni les derniers à craindre la disruption, le danger d’un déclassement voire d’un possible effacement.
C’est un point commun avec leurs partenaires industriels, eux-mêmes sous l’épée de Damoclès. Ne sont-ils pas menacés d’une reconversion en ateliers de montage des géants du numérique ou en sous-traitants de leurs anciens sous-traitants ? Incontestablement, chacun a ses propres défis dans son cœur de métier mais aucun ne les relèvera seul… Plus que jamais, parier sur l’esprit d’entreprise et sur les entrepreneurs est un choix avisé pour s’adapter à une nouvelle donne darwinienne.
Du groupe industriel aux réseaux commerciaux, tous devront se surpasser au cours de la décennie. L’inquiétude est d’autant plus vive que les autorités semblent non seulement ne pas avoir pris toute la mesure des risques spécifiques à l’industrie au plan mondial, mais encore totalement ignorer ceux des services et singulièrement des ETI, PME et TPE au plan local.
C'est une grave erreur de perspective, susceptible d’emmener toute une filière dans le mur. L'impact de la transformation à l'œuvre est global en recomposant toute la chaîne de valeur. Recluse trop souvent dans l’angle mort médiatique, la distribution est assimilée à tort à un centre de coûts. C’est surtout un métier beaucoup plus complexe et moderne qu’on ne l’imagine. Ultra réglementé (ce qui est un facteur de coûts !), il est challengé de manière permanente sur un marché où l’intensité de la concurrence n’a que peu d’équivalents. Il n’est pas dénué en ce sens de compétitivité, loin s’en faut ! Aucun professionnel ne bénéfice d’une prétendue rente de situation, et tous, rappelons-le, ont des résultats particulièrement tendus : 1 % nets en moyenne, avant impôts.
Il s’agit aujourd’hui de les encourager à affronter des enjeux différents mais tout aussi considérables que ceux de l’industrie. Pour y parvenir, ils s’appuient sur la Branche des services de l’automobile et de la mobilité qui compte, à elle seule, 150.000 entreprises et 500.000 actifs - dont environ 150.000 salariés dans la seule distribution. C’est un moteur pour le Pays, avec 65.000 jeunes en formation chaque année, et 140 milliards d’euros de chiffre d’affaires - et près de 40 milliards de valeur ajoutée. C’est significatif : leurs cotisations financent la protection sociale et la formation professionnelle, deux piliers paritaires indispensables à la fidélisation et à la préparation des compétences nécessaires à la réussite de la révolution à opérer. Fragiliser ce socle serait, par conséquent, hypothéquer le futur alors que le principal objectif est de le rendre possible.
Cette force ne se délocalise pas, c’est sans doute sa faiblesse… et son atout : tous sont au contact de ce que la mobilité peut recouvrir de réalités locales avant, pendant et après l’acquisition d’une solution de mobilité. C’est un quotidien que l’intelligence artificielle peut faciliter sans s’y substituer. Avec plus de 7.000 points de vente, les concessionnaires et leurs agents sont présents sur le web mais ils sont surtout présents à 30 minutes en moyenne de leurs clients. Ce maillage, patiemment construit par des champions locaux, reste aujourd’hui le premier critère de choix des consommateurs. Un professionnel agréé permet d’essayer des véhicules plutôt que d’essayer un site qui vend des véhicules… C’est donc un maillon fort d’une chaîne qui combine les différents modes de distribution : le parcours des clients est devenu hybride, en n’opposant pas eux-mêmes le physique au digital.
Bien sûr, tout l’écosystème est en réalité perfectible, et le commerce doit se réinventer. Mais son futur passera par ses entrepreneurs, ou ne sera pas : leur taylorisation par la captation de la data et la mise sous tutelle des process et des rémunérations n’est pas une solution durable de création de richesses.
Ajoutons que si les réseaux entretiennent les véhicules, ils entretiennent un peu plus que cela… Leurs entrepreneurs, qui prennent des risques personnels, embauchent, innovent, forment, et investissent de manière massive dans nos territoires. Ils en sont souvent les premiers employeurs privés, en s’insérant dans le tissu local dont ils sont parfois le fil le plus ténu. Et il ne faudra guère compter sur des réindustrialisations hélas hypothétiques à court terme pour compenser les pertes qui résulteraient d’une restructuration brutale des réseaux. On aimerait davantage de reconnaissance, mais il est vrai que ces entreprises familiales s'expatrient peu et ont un goût modéré pour les blocages de l'économie. Leur obsession est d'honorer le paiement des salaires et des taxes à la fin du mois, d'investir dans la formation et l’image de marque - sans bénéficier de subventions publiques…
Elles participent aux grandes politiques de l’État telles que la sécurité routière, l'apprentissage, l'immatriculation, la perception des taxes, le verdissement des flottes, le recyclage, ou encore le préfinancement des aides à la mobilité. Nul lancement des bonus et primes à la conversion sans la rampe apportée par les réseaux pour assurer l’accès à des dispositifs devenus illisibles.
La transition écologique, ce sont eux qui en sont le levier opérationnel - en particulier dans les "Zones à Faibles Émissions" qui impactent 60 % du parc d’ici à 2024 ! Le dernier sondage publié par le CNPA et Harris Interactive sur ce sujet est édifiant ; il souligne les risques d’un élargissement des fractures territoriales et les difficultés inévitables d’acceptation sociale compte tenu des obsolescences programmées des solutions de mobilité. Beaucoup de commentateurs viennent aujourd’hui abonder sur les alertes et les propositions présentées par le CNPA depuis de nombreux mois… Peu importe.Face à ces murs du CO2 et du réel, les besoins d’accompagnement et de réassurance en seront d’autant plus importants.
Dans un monde de normes et de médias saturés de publicités comparatives, dans un commerce omnicanal et toujours plus complexe, le "click and collect" fluidifie les parcours mais n’est ni suffisant ni assez différenciant. Le barycentre de la filière se déplace vers des modes de consommation dont la diversification s’accélère, tout en se repositionnant sur le local.
Les usages vont profondément évoluer, voire surprendre, et, en même temps, conserver des fondamentaux avec une part encore dominante du moteur thermique en 2030 dans un parc de plus de 40 millions d’unités.
Nous sommes à un moment où les frontières classiques entre le produit et les services s’effacent. Les véhicules connectés, demain autonomes, avec déjà plus de 100 millions de lignes de codes embarquées, ne rouleront qu’à la condition de bâtir de réelles coopérations entre l’amont et l’aval. Aucune usine 4.0 ne sera efficiente sans une parfaite connexion des datas avec les showrooms et les ateliers. Seul un lien physique et de bout en bout, rendu possible par un réseau disposant d’une capillarité forte évitera le piratage et la captation de milliards de données transmises.
Alors, comme le dit Carlos GOMES, il n’est pas concevable que « la distribution (…) assiste impuissante au changement » et une forme, en effet, de « révolte » est saine pour se remettre en question et avancer. Les professionnels ont compris l’intérêt pour eux-mêmes et leurs clients, et plus largement encore, que l’ouverture aux changements est la meilleure partie de leur héritage. Et, de fait, beaucoup ont démarré en mettant en place des briques d’innovations et des coopérations horizontales avec des acteurs des services et du monde des startups. Le commerce, c’est une usine d’accélérateurs !
De même, pour se tourner vers l’avenir, leur faudra t-il mener la mère des batailles, celle des emplois et des compétences. Pour adresser une offre et des demandes en pleine mutation, avec un mix énergétique élargi, le recrutement de nouveaux talents sera une clef.
Et seuls des entrepreneurs rentables pourront la tourner. Raison pour laquelle la profitabilité du modèle, le partage de la valeur, et la pérennité des fonds de commerce sont nécessairement au centre des débats.
Le "Message de Monsieur André Citroën" : la confiance est un moteur
Cette piqûre de réel rappelle que la course à la concentration, à la verticalité et au digital n’est pas forcément la panacée. Pour éviter de cruelles désillusions, les décideurs devront faire montre de recul dans l’instauration du prochain cadre européen et des relations contractuelles qui en résulteront, alors que les futurs modèles économiques, technologiques et énergétiques ne sont pas stabilisés.
Comment s’y retrouver, au milieu d’injonctions multiples et contradictoires ?...
Faisons un bref détour par l’histoire, toujours riche d’enseignements pour éclairer le futur. "Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur", disait Churchill.
L’automobile est un livre ouvert : les industriels qui ont conduit une stratégie d’intégration de leurs réseaux et de réinternalisation de la valeur ne sont pas ceux qui ont le mieux résisté aux crises économiques du XXème siècle. Dans la même logique, la capacité d’absorption des chocs et, finalement, l’agilité, sont d’autant plus fortes que la capillarité reste la ligne directrice de la stratégie.
En France, c'est André Citroën qui introduisit la distribution sélective en 1924. Il en a fixé la base, le service, une idée empruntée à la General Motors. Le premier, il a considéré l'automobile non comme un objet manufacturé simplement vendu à un client, mais comme un service global auquel le constructeur s'engageait au moyen d’un réseau indépendant. Et Citroën sut en tirer toutes les conséquences, créant le commerce moderne de l'automobile.
Afin que ses clients puissent trouver partout maintenance et assistance, il couvrit le territoire d'un réseau de concessionnaires exclusifs et d’agents spécialisés, étendu ensuite à l'Europe et au monde. Pour proscrire l’arbitraire des facturations, il créa un dictionnaire des réparations et un catalogue de pièces de rechange.
Il inventa le carnet de service, la révision gratuite après 500 kilomètres, la garantie d'un an, les échanges standard des organes défectueux. Il lança la location et la vente à crédit, pour laquelle il créa la première société de crédit à la consommation, la SOVAC, en 1922.
Industriel et communicant de génie, il développa dans les années 30 une politique architecturale avec Maurice-Jacques Ravazé dans le style art déco en veillant à l'agencement des garages. C'était en effet grâce à de premières grandes baies vitrées que les voitures sont devenues visibles depuis la rue.
À l’intérieur, des glaces montraient les modèles sous tous les angles préfigurant les meilleures techniques digitales d’aujourd’hui. Assurément, André Citroën n’aurait pas renié la commercialisation de "l’AMI" à la FNAC… et se serait félicité que 86 % des clients estiment aujourd’hui "très important " de bénéficier d’un contact humain qualifié au sein des réseaux.
C’est tout un état d’esprit, merveilleusement condensé dans un "Message de Monsieur André Citroën à Mesdames et Messieurs les Concessionnaires et Agents", datant de 1929. À près d’un siècle d’écart, on est loin du communiqué publié sans sommation par Stellantis. Les temps ont bien changé, beaucoup de "cathédrales" ont été érigées selon des standards toujours plus élevés à l’origine d’une empreinte immobilière qu’il s’agit désormais de réduire et d’expatrier des métropoles…
Il y a dans ce message un invariant : la considération et la confiance mutuelles, qui sont le moteur des meilleurs partenariats. Celui qui était surnommé le "Napoléon de l’automobile" l’avait parfaitement compris : il faut "faire filière" en partageant profondément une feuille de route claire et en se donnant les moyens de sa politique.
Voilà qui devrait résonner à un moment charnière, pour éviter un Waterloo économique et social. Les grands capitaines d’industries et de services ont toujours eu, face à la marche de l’histoire, de grandes responsabilités à assumer.
Industrie, commerce, il faut toujours se réinventer, idéalement ensemble, et sans tabou. Seule la conscience d’une véritable communauté de destin permettra de fédérer une filière étendue, en engageant une dynamique capable de répondre aux défis du siècle : l’écologie, bien sûr, et l’extraordinaire révolution dans le domaine des technologies de l’information et des mobilités.
Des dirigeants de grands groupes aux artisans, la filière ne manque ni d’énergie ni de courage. Mais il peut arriver qu’elle vienne à manquer de cet oxygène vital qu'est la confiance. Or, c’est ce facteur immatériel de performance - et fabrique de croissance - qui fait la différence.
Nul doute que sa présence, ou son absence, fera la différence au cours des prochains mois entre les stratégies des constructeurs à l’égard de leurs réseaux respectifs, dans un contexte où il ne faut pas perdre de vue que les constructeurs chinois sont aux portes de l’Europe. Relancer une dynamique commune est en ce sens un enjeu d’intérêt général.
Relancer une dynamique commune
"Les contrats de vente et de distribution de services de toutes les marques de Stellantis seront résiliés avec un préavis de deux ans et le nouveau réseau de distribution sera sélectionné peu après, sur la base de critères et de facteurs clés objectifs", a donc annoncé le quatrième constructeur mondial qui "entend promouvoir un modèle de distribution durable en s’appuyant sur un réseau performant, efficace et optimisé de distribution multimarques".
Dont acte. Chaque mot compte dans un communiqué plutôt laconique qui soulève, à ce stade, plus de questions que de réponses, en particulier sur les critères de performance qui présideront à la sélection des membres du réseau. Certes, des "réunions de travail" seront organisées avec les concessionnaires (et les agents ?) pour élaborer à l’échelle européenne la stratégie en tenant compte de l’essor des canaux de vente digitaux et de l'électrification des modèles.
Or, si le constructeur a joué la carte d’un préavis de deux ans, fixer simultanément un calendrier trop resserré de discussions pour bâtir un modèle économique risque fort de relever d’un excès de vitesse.
Si ce dialogue indispensable ne se réduisait qu’à une consultation, la co-construction sérieuse d’un partenariat serait alors improbable. Par ailleurs, résilier en arguant de l’actuel règlement européen alors que son évaluation n’est pas publiée, rend hasardeuse la présentation de nouveaux contrats dont la licéité n’est pas assurée avant 2023. Enfin, mettre sur la place publique une décision qui concerne d’abord la relation intra-marque oblige désormais à effectuer un service après-vente dont on ne peut ignorer la sensibilité auprès des équipes mais aussi des clients dans un contexte compliqué.
La priorité du moment, pour les chefs d’entreprise, est encore d’amortir une crise aux effets difficilement évaluables et de passer le cap d’un déconfinement autorisé le 19 mai, la veille de la résiliation opérée par Stellantis. Sans mettre en doute la légitimité du constructeur dans son objectif de conserver un coup d’avance, reconnaissons que ce calendrier ne facilite guère l’indispensable renforcement de la capacité de projection et du moral collectif.
Or, sans la volonté d’exploiter pleinement ce délai de résiliation pour bâtir un projet robuste et clair, comment relancer une dynamique commune ? Comment résilier à 24 mois lorsque les efforts prévus dans les standards sont financés sur 15 ans ? Comment éviter un gel des investissements, dans l’image d’une nouvelle marque ou dans l’installation de nouvelles bornes de recharge ? Comment ne pas imaginer caper les ventes directes en ligne, ni redonner de vrais espaces de liberté aux réseaux ?...
Tout dialogue constructif est fonction de l’aptitude de chacun à faire des concessions… Il y a, sans aucun doute, des points importants de désaccords sur le fond et les représentants des professionnels sauront les exposer avec objectivité et fermeté. Au-delà de l’instructive jurisprudence des tribunaux, de nombreux paramètres structurels sont à passer en revue pour viser une organisation dont la "frugalité" devra être bien caractérisée. Tout ce qui pourra simplifier, alléger, libérer, valoriser, il faut le mettre en place.
Mais il faudra aussi regarder au-delà, car la filière gagnera à faire corps face à des défis communs particulièrement ardus. L’échec collectif serait d’une gravité absolue. Raison pour laquelle les efforts réalisés au sein du comité stratégique de filière, et entre le CNPA et la PFA doivent s’intensifier en France comme en Europe.
La vivacité probable des futurs débats ne devra donc pas éclipser les points d’accord autour desquels les acteurs sont capables de se rassembler. Citons-en quelques-uns :
Valoriser la place de la mobilité dans l’économie et la société. Elle est un vecteur de stabilité, d’unité et de liberté dans nos démocraties, et la voiture - transport collectif le plus performant - est d’autant plus centrale que la métropolisation masque une réalité : 70 % de nos compatriotes habitent à l’extérieur des grands centres urbains et n’ont durablement d’autre choix que celui de la voiture avec des besoins et des nouveaux usages en croissance.
Faire rayonner l’image de la filière. Ses acteurs doivent porter un autre récit et incarner d’autres représentations dans l’imaginaire collectif. Voilà un objet fédérateur, qui transcende les frontières classiques d’une filière qui est en mouvement. Manifester son extraordinaire bouillonnement ne pourra que servir l’attractivité des talents et le rayonnement national.
Appliquer le contrat stratégique de filière. Tout y est, de l’intensification du déploiement des bornes de recharge jusqu’au principe de neutralité technologique, en passant par la transformation des compétences. De "l'automobile nation" à la "startup nation", repoussons les frontières de l’industrie et du commerce du futur pour mieux les développer en France !
Proposer une stratégie de transition écologique plus équilibrée. L’erreur absolue de tout miser sur une seule solution doit être évitée. La seule ligne qui tienne, c’est l’innovation ; ayons la clairvoyance de n’en laisser aucune de côté.
Le cap est le renouvellement massif du parc sans oublier la dynamique centrale du véhicule d’occasion, la promotion des mobilités, les carburants de synthèse, le rétrofit, et la domestication du progrès technique dans tous les sens du terme. Les objectifs de baisse de CO2 et la future norme Euro 7 doivent rester soutenables.
Soutenir la création de Zones Green Deal. Toute puissance, pour être durable, se fonde sur le réalisme. L’Europe doit en ce sens conférer une dimension économique au Green Deal. La création de telles zones franches de charges et d’impôts encouragerait des investissements significatifs et une concentration de l’innovation et de l’emploi autour des véhicules "verts". L’objectif étant d’entraîner une dynamique, l’aval est une pièce majeure de cette stratégie.
Opérer la transition numérique. Levier incontournable de productivité, d’amélioration du service, et d’évolution des compétences, elle ne se réalisera pas avec une baguette magique. France Relance doit être mobilisé, avec un focus sur la distribution et la réparation. Passer à côté de cette opportunité de transformation aurait au final un coût économique et social inacceptable. Il s’agit de polariser les moyens publics à ce qui doit être une priorité de filière.
Garantir une stabilité et une prévisibilité de la réglementation. Pour promouvoir une écologie des solutions, il faut stopper la mécanique infernale du "toujours plus". La filière et ses clients sont sous l’assommoir fiscal et l’hyper-segmentation de la vision publique entre les ministères et les échelons de gouvernance. Un dialogue, là encore, sans concession, est impératif pour recouvrer de la cohérence et libérer une dynamique collective.
Les prochains mois seront un intense théâtre d’opérations stratégiques. Cette séquence va être tendue et hautement risquée pour toute la filière. Mal préparée ou mal accompagnée, elle peut être tragique pour les professionnels qui ne seront plus agréés, y compris pour leurs salariés.
Elle sera aussi passionnante et riche d’opportunités pour les dirigeants les plus entreprenants. Dans cette révolution - car cela en est bien une - le CNPA sera pour sa part un partenaire exigeant mais loyal et constructif. Conscient des enjeux, il sera du côté des entrepreneurs pour accompagner le mouvement, et n’oubliera aucun d’entre eux, concessionnaires, agents, artisans et acteurs des services. Car de nombreux textes sont en discussion en parallèle du futur règlement d’exemption. Il veillera à pérenniser la valeur des affaires et à développer les compétences utiles au progrès collectif.
En lien avec notre organisation européenne, le CECRA, le CNPA apportera assistance et conseils aux groupements et aux chefs d’entreprise qui le solliciteront, et mènera en toute indépendance les diligences nécessaires à une digne représentation auprès des autorités nationales et européennes.
Le CNPA lancera à compter de l’automne prochain une campagne d’envergure auprès du grand public, visant à valoriser toutes les solutions apportées par des professionnels engagés, proches du terrain et acteurs de notre société.
La synchronisation des acteurs et l’équilibre de leurs relations sont la condition d’une transformation réussie. Celle-ci sera d’autant plus performante qu’elle sera globale.
Oui, seul un dialogue sans concession, mais en confiance, peut permettre de faire jaillir l’intérêt général d’une filière qui doit rester un moteur de notre nation, de nos régions, et de l’Europe.
Xavier HORENT, le 2 juin 2021
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