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Les loueurs de courte durée face à l'électrification des flottes

Publié le 18 juillet 2024

Par Robin Schmidt
10 min de lecture
À l’heure où les réglementations en matière de verdissement des flottes se durcissent, les loueurs de courte durée sont au pied du mur. Face à une électrification qui ne séduit pas leur clientèle, ils se retrouvent pourtant contraints de convertir leur parc à l’électrique, sous peine de sanctions, mettant ainsi en péril leur business model actuel.
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Le taux actuel de véhicules entièrement électriques dans le renouvellement des flottes des loueurs est compris entre 6 et 7 %. ©AdobeStock-Exnoi

Si la plupart des entreprises ne rencontre pas de grandes difficultés à convertir sa flotte à l’électrique, c’est une toute autre histoire pour les loueurs de courte durée. Ces derniers voient d’un très mauvais œil l’arrivée de nouvelles réglementations et échéances, alors qu’ils ne parviennent déjà pas à louer suffisamment leurs voitures électriques.

 

Impulsé par la proposition de loi de Damien Adam, le verdissement des flottes apparaît donc comme une véritable menace pour le modèle économique de la location courte durée.

 

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Les acteurs du secteur s’inquiètent ainsi des objectifs visés par le projet de loi du député de la majorité, mais également des sanctions potentielles réservées aux entreprises qui ne respecteraient pas les seuils.

 

Une proposition de loi qui inquiète

 

Le 5 décembre 2023, le député Renaissance, Damien Adam, dépose une proposition de loi à l’Assemblée nationale, visant à accélérer et contrôler le verdissement des flottes automobiles. Celle‑ci a donc pour objectif de remplacer à terme la loi d’orientation des mobilités (LOM), adoptée au Parlement cinq ans plus tôt et sur laquelle le député s’est appuyé pour élaborer son calendrier. Cependant, en plus de venir durcir les règles, le projet de loi de Damien Adam impose également des sanctions en cas de non‑respect des seuils de renouvellement. Ces derniers sont toutefois jugés trop exigeants pour les loueurs de courte durée, qui renouvellent leur flotte de véhicules tous les six à huit mois, soit six fois plus vite qu’une société classique.

 

"L’électrification est un challenge pour nous. Nous sommes prêts à accepter, en tant qu’entreprise, d’avoir le pourcentage de véhicules indiqué par le projet de loi dans notre propre flotte pour nos collaborateurs. Néanmoins, en ce qui concerne notre parc à destination de nos clients, c’est presque impossible", s’exclamait alors Jean‑Philippe Doyen, président de la branche des métiers de la mobilité partagée de Mobilians et président de Sixt pour le sud‑ouest de l’Europe, devant des journalistes, le 5 avril dernier.

 

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En moyenne, un véhicule électrique reste inutilisé pendant 16 jours sur les parkings des loueurs. ©AdobeStock/OceanProd

 

Avant d’ajouter : "Qu’il nous soit demandé un certain nombre d’efforts, pourquoi pas, mais encore faut‑il qu’ils ne soient pas totalement déconnectés du quotidien et de la réalité." Initialement plus élevées, les exigences ont donc finalement été allégées en avril dernier, lors du passage de la proposition de loi en Commission développement durable de l’Assemblée nationale. Elle prévoit dorénavant une réglementation spécifique pour les loueurs de courte durée, avec une électrification de 5 % lors des renouvellements au 1er janvier 2025, de 10 % en 2026, de 15 % en 2027, de 25 % en 2028, de 40 % en 2029, de 55 % en 2030, de 70 % en 2031 et de 90 % en 2032.

 

Les entreprises ne respectant pas ces objectifs seront ainsi exposées à des sanctions, qui entreraient en vigueur dès le 1er janvier 2026, avec une rétroactivité en cas de manquement observé en 2025. La pénalité s’élèverait alors à 2 000 euros par véhicule manquant en 2025, 4 000 euros en 2026 et 5 000 euros en 2027. D’autre part, en cas de manquement dans la transmission d’informations liées à sa flotte, une entreprise devrait également payer une pénalité n’excédant pas "0,1 % du chiffre d’affaires français hors taxes du dernier exercice clos réalisé".

 

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Enfin, si les véhicules hybrides pouvaient être considérés comme vertueux, ce n’est désormais plus le cas puisque la proposition de loi les exclut dorénavant, qu’ils soient classiques ou rechargeables. En cas d’adoption de la loi par l’Assemblée nationale, seuls les véhicules 100 % électriques, les voitures rétrofitées, les quadricycles lourds et les tricycles motorisés compteront dans le processus d’électrification des flottes. Néanmoins, Damien Adam prévoit tout de même l’instauration d’un bonus de 20 % pour les véhicules ayant un éco‑score, afin de combler la suppression du bonus écologique pour les entreprises.

 

Le véhicule électrique ne séduit pas les clients

 

Si la transition vers l’électrique s’avère être compliquée pour les loueurs de courte durée, c’est en grande partie à cause d’une faible demande de la part de leur clientèle. Les voitures électriques dorment, en effet, 16 jours par mois sur les parcs des loueurs, faute d’une demande des clients et leur taux d’utilisation, qui s’élève à 47,5 %, est ainsi nettement inférieur à celui des véhicules thermiques (73,6 %). Et pour cause, les clients des enseignes de location courte durée sont pour la plupart des professionnels, qui effectuent en moyenne 200 km par jour. Convaincre cette clientèle de se tourner vers un modèle électrique, dans un environnement géographique qu’elle ne connaît pas et où la position des points de charge est inconnue se présente donc comme une tâche extrêmement complexe pour les loueurs.

 

Actuellement, le taux de véhicules à batterie dans le renouvellement des flottes des loueurs est ainsi compris entre 6 et 7 %, bien loin du seuil actuel de la LOM, fixé à 20 % depuis le 1er janvier 2024. Autre problématique, le prix d’un véhicule électrique à l’achat est environ 40 % plus élevé que celui d’un thermique, l’autonomie contraignant également les loueurs à devoir s’orienter vers des modèles plus performants pour leurs clients et donc plus chers. Certains loueurs de courte durée ont, par ailleurs, commencé à s’équiper en véhicules électriques auprès de certains constructeurs.

 

C’est le cas, par exemple, de Sixt qui, début 2024, a annoncé avoir signé un partenariat avec Stellantis pour l’achat de 250 000 véhicules au cours des trois prochaines années. Cet accord de plusieurs milliards d’euros a pour objectif de compléter la flotte de Sixt, avec des modèles de dernière génération mais aussi des électriques, dans les pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Cependant, il ne suffit pas seulement de s’équiper de véhicules électrifiés pour s’engager dans la mobilité électrique. Les loueurs de courte durée se retrouvent confrontés à une nouvelle problématique : celle de la recharge.

 

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Chez Europcar Mobility, la télématique est utilisée pour optimiser le flux de charge. ©AdobeStock/Oleksandr

 

"Chez Europcar Mobility, nous achetons des véhicules électriques et hybrides rechargeables. Le problème s’annonce plus au niveau de la recharge car lorsque nous avons beaucoup de voitures de retour de location, nous devons toutes les charger. Dans notre entreprise, nous faisons appel à la télématique pour optimiser le flux de charge", explique Sébastien Albertus, directeur du programme One Sustainable Fleet chez Europcar Mobility Group. De son côté, Fabrice Gueudet, dirigeant de la société de location courte durée Locanor, explique que les gares, où les loueurs génèrent une grande partie de leur activité, sont très peu équipées en infrastructures de recharge : "De nombreuses locations en gare pourraient se faire en électrique. Cela aurait un sens, économiquement, pour un grand nombre de nos clients. Mais malheureusement, en l’absence de points de charge sur ces sites, nous sommes dans l’incapacité d’assurer la recharge lors de la récupération du véhicule pour des locations de très courte durée."

 

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Ces nombreux changements ont donc un impact non négligeable sur la rentabilité et le business model actuel des loueurs de courte durée. Bien qu’ils bénéficient d’un calendrier spécifique, l’électrification de leur flotte se présente aujourd’hui comme un sérieux obstacle, auquel ils n’auront pas d’autre choix que de se confronter.

 

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Toosla a l’avantage du 100 % digital

 

Proposant une offre entièrement digitalisée, Toosla dispose d’un avantage par rapport aux autres loueurs de courte durée. Le spécialiste français de la LCD n’est en effet pas confronté aux mêmes problèmes que ses concurrents et affiche donc une belle avance en ce qui concerne le verdissement de sa flotte.

 

"Aujourd’hui, nous avons 40 % de notre flotte qui est à faibles émissions, soit hybride ou entièrement électrique. Nous sommes donc déjà en avance sur les échéances fixées par la loi de Damien Adam et nous allons poursuivre notre avance. D’autant plus que nous n’avons pas les mêmes problématiques que les loueurs de courte durée traditionnels. Ces derniers rencontrent un problème structurel au niveau de leurs agences et ils ne peuvent pas nécessairement les équiper avec des bornes de recharge rapide, leur permettant de charger et de faire tourner rapidement leurs véhicules électriques", explique Panayotis Staïcos, directeur général de Toosla.

 

En complément de la loi de Damien Adam, vient également s’ajouter la LOM (loi d’orientation des mobilités), qui impose aux parkings de s’équiper en bornes de recharge. "Chez Toosla, nous n’avons pas ce souci‑là. Nous avons même un gros avantage puisque c’est notre plateforme qui gère le niveau de charge de manière complètement automatisée en fonction de l’affectation d’un véhicule à un client", poursuit le directeur général de Toosla.

 

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Hertz fait machine arrière sur l'électrique

 

En raison de la faible demande de véhicules électriques, le loueur de courte durée Hertz a annoncé un plan de cession d’une large partie de sa flotte électrique aux États‑Unis. L’entreprise a, en effet, engagé la revente de 30 000 véhicules électriques depuis le début de l’année. Près de 20 000 unités ont ainsi d’ores et déjà été mises en vente par la société de location, à des prix défiant toute concurrence, parmi lesquelles figurent notamment des Tesla Model 3 cédées pour seulement 20 000 dollars, soit 18 200 euros.

 

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Depuis le début de l'année, Hertz a engagé la revente de pas moins de
30 000 véhicules électriques. ©AdobeStock/charnsitr

 

La manne financière dégagée par les transactions servira, en partie, à acheter des voitures thermiques à moteur essence. La société espère que cette action lui permettra de mieux équilibrer l’offre par rapport à la demande de véhicules électriques. "Ce n’est pas le niveau de demandes que nous avions prévu. Nous étions peut‑être en avance sur nous‑mêmes", déclarait alors Stephen Scherr, l’ancien président-directeur général de Hertz, au sujet des véhicules électriques, quelques mois avant de présenter sa démission.

 

Hertz a, par ailleurs, déclaré avoir subi une perte de 588 millions de dollars en coûts d’amortissement des véhicules au cours du premier trimestre 2024, dont 195 millions de dollars étaient liés aux véhicules électriques destinés à la vente.

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