V2X : comment passer à la vitesse supérieure ?
Dans certaines situations, il est préférable de n’en faire qu’à sa tête, quitte à présenter des excuses par la suite. C’est peut-être ainsi qu’ont raisonné les élus d’Alpharetta, ville moyenne située au nord-ouest de l’État de Géorgie (États-Unis), lorsqu’ils ont décidé en 2019 de passer outre les problématiques de réglementation et de spectre de fréquence pour incorporer la technologie V2X[1] (« vehicle-to-everything ») dans 150 feux de circulation du centre-ville. Leur objectif était simple : résorber les embouteillages en déployant une technologie de priorisation des feux de circulation qui permette aux véhicules de secours d’arriver plus rapidement sur les lieux du sinistre.
La technologie V2X n’est pas à proprement parler une nouveauté, dans la mesure où son développement remonte déjà à une vingtaine d’années (la première spécification de communications V2X par Wi-Fi a en effet été publiée par l’IEEE en 2010). Malgré toutes les promesses d’amélioration de la sécurité à bord des véhicules et sur les routes, le marché du V2X a eu du mal à décoller. De plus, le manque de clarté concernant les réglementations relatives au spectre de fréquence utilisé dans le monde a limité le marché des appareils, sans oublier l’absence de tests d’interopérabilité et de certification. Cette situation a fait le jeu d’une approche concurrente basée sur les communications cellulaires, la technologie C-V2X (Cellular Vehicle to Everything), laquelle a bénéficié du soutien des membres de l’association industrielle 5G Automotive Association (5GAA).
En novembre 2020, la Commission fédérale américaine des communications (FCC) a approuvé un changement de règle autorisant l’attribution de 45 MHz de la bande V2X à une utilisation sans licence (Wi-Fi), au grand désarroi de la communauté automobile. Plus récemment, en mars 2021, le ministère américain des Transports (DoT) a publié un appel d’offres[2] en vue de collaborer avec une entreprise capable de fournir les services, les ressources et les installations nécessaires pour tester les technologies 5G NR (New Radio) futures et émergentes dans le contexte des applications V2X.
L’intérêt de l’Union européenne (UE) a initialement porté sur les communications dédiées à courte portée, le standard DSRC[3] (normalisé en Europe sous l’appellation ITS-G5). En juillet 2019, la situation a quelque peu évolué vers le V2X cellulaire, lorsque vingt et un pays de l’Union ont voté contre un projet de la Commission européenne (acte délégué) visant à rendre obligatoire le V2X basé sur le Wi-Fi. Aujourd’hui, l’UE travaille sur un modèle de cohabitation dans le cadre duquel plusieurs essais impliquant les technologies ITS-G5 et C-V2X sont en cours.
La Chine ouvre la voie
C’est en Chine que la technologie V2X a véritablement démarré. Après avoir publié sa « Stratégie de développement des véhicules intelligents » en février 2020, l’Empire du Milieu a lancé la production d’automobiles équipées de la technologie C-V2X. Dans ce cadre, 90 villes se sont associées à des opérateurs de réseau pour déployer des unités de bord de route (UBR) en ville et sur les autoroutes. La technologie V2X cellulaire devrait équiper la moitié des véhicules neufs immatriculés d’ici à 2025, date à laquelle le pays prévoit de commencer à tester une technologie associant V2X et 5G NR.
Soucieuse de favoriser la collaboration au sein de l’écosystème industriel, la Société chinoise des ingénieurs de l’automobile (C-SAE) organise chaque année un événement conçu pour promouvoir les tests d’interopérabilité entre les équipementiers automobiles, les fabricants de composants électroniques et de modules, et les développeurs d’applications.
En outre, le programme chinois d’évaluation des automobiles neuves (C-NCAP), dont la vocation est de tester la sécurité des véhicules, prévoit d’introduire la technologie C-V2X dans son système d’évaluation d’ici à 2024.
Et les constructeurs ?
Au fil des années, les constructeurs automobiles se sont répartis en deux camps séduits par l’une ou l’autre norme. Ainsi General Motors (GM), Toyota, Volkswagen (VW) et Volvo ont opté pour la filière V2X DSRC.
Toyota est le premier constructeur automobile à avoir, dès 2015, déployé la technologie dédiée à courte portée DSRC sur plusieurs modèles destinés au marché japonais ; en avril 2018, le constructeur a annoncé son intention de l’installer dans l’ensemble de sa gamme commercialisée en Amérique du Nord à partir de 2021. Mais en 2019, Toyota a interrompu ses projets en raison du manque d’intérêt manifesté par ses homologues à l’égard de la technologie V2X.
En 2017, la berline Cadillac CTS de GM fut le premier véhicule de série aux États-Unis à embarquer la technologie V2V (Vehicle to Vehicle). Un an plus tard, GM a annoncé sa décision d’intégrer cette fonctionnalité dans d’autres modèles à partir de 2023. Depuis, le constructeur a toutefois refusé de s’engager en faveur de cette approche et s’orienterait au contraire vers le V2X cellulaire.
De son côté, VW a installé le DSRC à bord de la Golf de huitième génération en 2019. Grâce à sa technologie maison Car2X, les données de positionnement et les informations générées par d’autres véhicules et l’infrastructure environnante dans un rayon de 800 mètres peuvent avertir le conducteur d’autres véhicules équipés de la technologie Car2X en quelques millisecondes. VW a choisi le DSRC pour plusieurs raisons : le circuit intégré de NXP Semiconductor incorpore la fonctionnalité DSRC dans le hotspot Wi-Fi présent à bord du véhicule. En outre, VW a estimé que la technologie DSRC était déjà disponible et qu’il était par conséquent inutile d’attendre que les opérateurs de réseaux cellulaires publient leur feuille de route, leurs tarifs de transmission des données ou leur stratégie concernant la prise en charge de la technologie V2X par leurs cartes SIM.
Au fil des années, la technologie V2X cellulaire rattrape son retard. Conjuguant la promesse d’évoluer du débit 4G à la 5G, une latence inférieure et d’autres avantages de performances, le V2X cellulaire s’impose lentement mais sûrement comme la technologie V2X de demain.
Mais en a-t-on vraiment besoin ?
Le développement de capteurs à visibilité directe (LoS — Line of Sight), tels que les radars, lidars, caméras et autres détecteurs à ultrasons, est un processus qui évolue en permanence au fil des améliorations technologiques que les constructeurs automobiles souhaitent apporter à leurs véhicules autonomes prochaine génération. Ces constructeurs ont toutefois compris qu’il est indispensable de suivre une stratégie complémentaire « sans visibilité directe » (NLoS — Non-Line of Sight) pour que la conduite de niveau L2+ soit possible dans un plus grand nombre d’endroits, notamment en environnement urbain.
La technologie V2X se caractérise par sa capacité de détection sans visibilité directe (NLOS) à 360 degrés en mode see-though[4] qui fonctionne indépendamment des conditions météorologiques et améliore les fonctionnalités et la sécurité de la conduite autonome (figure 1). Alors que les capteurs NLOS ne peuvent indiquer l’intention du conducteur, la technologie V2X transmet cette information en partageant les données recueillies par des capteurs, avec à la clé un niveau accru de prévisibilité dans des situations telles qu’un événement inattendu ou un changement de voie soudain. La V2X améliore la « perception de l’environnement » (situational awareness) en permettant au conducteur d’anticiper un ralentissement ou des vitesses variables.
Figure 1 : applications de la technologie V2X
Les liaisons V2V fonctionnent dans de nombreux cas : avertissement de présence dans un angle mort, de changement de voie ou de dépassement ; travaux sur la voie ; avertissement de présence d’un usager vulnérable ; feux de freinage d’urgence, assistance à l’approche d’un carrefour, déplacement en convoi (« follow me » et « platooning ») et remorquage.
Le V2X est-il uniquement efficace si la plupart des véhicules en sont équipés ?
Les industriels sont unanimes : pour fonctionner de façon optimale, la technologie V2X doit être déployée à grande échelle ; en outre, elle n’est vraiment efficace que si son taux d’adoption est élevé, à savoir plus de 97 % selon certains experts. Nous sommes encore loin du compte ! En outre, s’il est possible de rendre son installation obligatoire à bord des véhicules neufs, il reste à savoir comment installer la technologie V2X dans le parc de véhicules existant.
Il convient enfin de ne pas oublier que malgré un faible taux de pénétration dans l’industrie et en raison d’une conduite davantage coordonnée, la technologie V2X contribue à réduire le temps passé dans les embouteillages et à augmenter la vitesse moyenne dans les bouchons.
Les prévisions de Keysight Technologies
● Pour les véhicules connectés, les vingt prochaines années seront très différentes des deux décennies précédentes. La technologie s’impose parfois à la suite de décisions prises au sommet, par l’intermédiaire de directives ou de réglementationsgouvernementales. Dans d’autres circonstances, elle décolle par la base. Ce sera le cas avec la technologie V2X cellulaire en raison du rôle important que jouent les constructeurs automobiles, les consortiums industriels et les villes de toutes dimensions dans son adoption.
● À l’image du Roadster lancé par Tesla en 2008 et de tous ses modèles ultérieurs qui ont accéléré l’avènement des véhicules électriques, les initiatives prises par la Chine en faveur de la technologie C-V2X et la concurrence géopolitique correspondante serviront de catalyseur en incitant les États-Unis et l’Union européenne à accélérer leurs stratégies et leurs déploiements V2X respectifs.
● Il est possible qu’en l’absence de consensus règlementaire, les deux standards V2X cohabitent au cours des premières années, notamment en Europe.
● La norme V2I (Vehicle-to-Infrastructure) sera la première application ubiquitaire ; elle sera utilisée par les véhicules de secours d’urgence, la sécurité publique, les transports scolaires et la gestion de la circulation routière. À terme, la filière V2N (Vehicle-to-Network) sera utilisée pour accéder à des informations résidant sur le cloud — essentiellement les données de suivi du trafic en temps réel, les données collectées par les capteurs et la cartographie haute définition.
La ville américaine d’Alpharetta (Géorgie) a été classée parmi les 50 endroits où il fait bon vivre par le magazine Money sur la base de critères tels que la qualité de vie et les prestations offertes à ses résidents. Le déploiement de la technologie V2X et l’adoption des technologies de conduite autonome ne peuvent que contribuer à consolider le classement d’Alpharetta.
[1]V2X : communications entre les véhicules et tout autre interlocuteur, qu’il s’agisse d’un autre véhicule (V2V) ou de l’infrastructure environnante (V2I)
[2]Sources : Sought Notice
[3]Dedicated Short-Range Communications
[4]Le service See through permet de "voir" devant le véhicule qui vous précède grâce à une communication entre véhicules.
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.