Plateformes indépendantes, le temps des grandes manœuvres
Les plateformes de distribution de pièces détachées sont nées d’une lacune de la distribution indépendante, elle-même consécutive à une explosion des références de pièces. En effet, petit à petit, les modèles de véhicules se sont multipliés, et leur durée de vie s’est réduite, ce qui conduit invariablement à une multiplication des pièces différentes à stocker. Une problématique devenue insoluble pour les stockistes d’antan, dont la mission consistait pourtant à assurer l’approvisionnement des pièces des réparateurs. Dans le même temps, de gros distributeurs indépendants sont rachetés par des groupements dirigés par des financiers, (Autodistribution, Groupauto…). Ces mêmes financiers s’affolent des investissements nécessaires pour multiplier des stocks cohérents et commencent à réduire la voilure. A tel point qu’année après année, les distributeurs stockistes ont souvent perdu leur vocation de stockistes. Aujourd’hui, certains d’entre eux ne dépassent pas 9 000 euros de stock ! D’où l’intérêt des plateformes indépendantes, dont le but premier consiste à soutenir la distribution sur le terrain, qui ne dispose ni des moyens ni de l’espace suffisant pour stocker site par site. Mais Alain Gouhier, directeur de la plateforme PAP, appartenant au groupe IDLP, ne veut pas céder au fatalisme : “le distributeur a encore sa raison d’être, s’il continue d’assurer l’interface entre le garage et le particulier, ce que je ne veux pas faire. Seulement, il faut une remise en cause. Ils ne peuvent plus demander 50 % de marge, alors qu’ils ne stockent plus !”
Le métier de plateforme consiste à se poser en intermédiaire entre le fournisseur et le distributeur, pour faire le métier qu’aucun des deux ne veut plus faire ! Auparavant, l’équipementier travaillait en direct avec le stockiste ! “Nous nous plaçons à un niveau supplémentaire, et pour que le système fonctionne, il faut gérer la machine le plus finement possible.” Une gestion fine, qui passe par l’appartenance à un réseau national. Faire partie d’un réseau de plateformes, Apprau en l’occurrence, est important, voire fondamental, pour trois raisons. Cela permet d’échanger avec Adipa, Dasir…, sur les process, certaines cartes, les bonnes pratiques… “Les réunions Apprau se font toujours chez un adhérent. Par ailleurs, les référencements sont aujourd’hui nationaux, chez Groupauto, Autodistribution… le but consiste à offrir aux adhérents de ces groupes les mêmes produits, aux mêmes conditions, partout en France. C’est un fil conducteur important. Enfin, en fédérant nos achats, nous tentons d’obtenir de bons partenariats avec nos équipementiers pour avoir de meilleures conditions”, reconnaît Alain Gouhier.
Le sens de l’histoire
L’Autodistribution a vite compris que pour consolider ses achats, il lui fallait une PF nationale, et ses dirigeants ont créé Logistéo. Mais comme elle ne permettait pas une réactivité suffisante sur le terrain partout en France, ils se sont carrément offert un réseau, avec ACR.
Alliance Automotive Group, avec ses trois plateformes nationales, (le Rheu, Partner’s à Blois, et Sainte Geneviève des Bois), cherche également désormais un maillage régional avec APO, la CAL… C’est le sens de l’histoire. Cela coûte moins cher que de multiplier les stocks chez tous les adhérents.
La logistique des pièces auto serait-elle devenue l’apanage exclusif des géants ? Si les plateformes ont toujours représenté un enjeu majeur dans le business de l’après-vente, ces dernières ne cessent de croître d’année en année. Preuve en est, elles prennent désormais la forme d’un théâtre dans lequel tous les mastodontes du secteur se livrent à une lutte acharnée. De celle-ci découle une tendance de fond inéluctable, dans laquelle les grands réseaux ne cessent d’investir, de s’organiser, et donc, in fine, de grandir, condamnant les derniers rares indépendants à se rallier à leur cause, à défaut de pouvoir encore rivaliser. Dirigeant de la plateforme STEA de Toulouse, Pierre Corbon n’en fait pas mystère : “En termes de marges, de taux de rotation ou de stock, il nous est désormais très difficile de rivaliser. Nous sommes à un tournant et, d’ici un an, il nous faudra faire des choix.” A l’été 2016, notre prochaine étude annuelle pourrait donc dénombrer un indépendant de moins, voire même deux, puisque, du côté de chez Automax (Marseille), Jean-Pierre Pétrone confie être à la recherche du bon partenaire pour se développer. Celui-ci prendra peut-être le nom d’Autodistribution ou d’Alliance, les deux leaders du genre. Après avoir absorbé ACR Group et ses neuf sites logistiques l’an dernier, l’enseigne renforce dorénavant sa présence en Ile-de-France avec une nouvelle plateforme de 32 000 m2. Située à Réau (Seine-et-Marne), cette dernière devrait être opérationnelle à compter de 2016 et permettra de doubler la capacité d’accueil des deux entrepôts actuels de Moissy-Cramayel (55 000 références), dont la superficie (20 000 m2) ne correspond plus à ses besoins. Autre bonne nouvelle pour l’Autodistribution, avec le développement de la plateforme Cora, spécialisée dans les pièces de carrosserie et le vitrage, qui se dote d’un second entrepôt. Opérationnel depuis la mi-juin, ce dernier se trouve à quelques encablures du site historique de Chaponnay (69) et va permettre à Auguste Amieux, son directeur, de compter, à terme, 90 000 références dans son stock.
Nous en parlions plus haut, l’intégration d’ACR au sein du giron Autodistribution se poursuit. Si Patrice Artor, son directeur général, confie que le rapprochement a détourné certains partenaires de sa société, celui-ci souhaite désormais se développer sur tous les canaux, principalement sur le Web et l’OES. Après tout, les grands groupes de concessionnaires ont bien érigé eux-mêmes des plateformes commerciales de vente de pièces, et n’hésitent pas à draguer les indépendants !
Le tour de France d’Alliance
De son côté, Alliance n’est pas resté inactif, bien au contraire, avec deux nouvelles affaires au compteur. Absente de l’agglomération nantaise (contrairement à l’AD via un site ACR), la société de Jean-Jacques Lafont compte depuis peu une nouvelle plateforme régionale avec l’ouverture de Préférence Grand Ouest, à Nantes même. Confiée à Frédéric Leonardi, cette dernière disposera à terme d’un stock de 45 000 références pour une valeur de 2 millions d’euros. Et, même s’il n’a pas souhaité commenter l’information, le réseau a également fait l’acquisition du groupe Théret, permettant à Alliance de disposer d’une plateforme dans le Berry avec Mecastock.
Relativement discrets en termes de nouveaux adhérents depuis deux ans, Jean-Claude Bauduin et S’Energie ont convaincu Michel Béziat, dirigeant de la société éponyme, implantée à Bègles, de les rejoindre cette année. Une arrivée qui compense ainsi dans le quart Sud-Ouest, la perte d’Autoreserve Toulouse, consécutive aux déboires de Franck Pelletier, son patron, qui a vu trois de ses quatre affaires (avec les sites de Gennevilliers et Marseille) mettre la clé sous la clé porte alors que la quatrième a repris son indépendance, sous l’impulsion d’un nouveau repreneur.
Sirius veut “monter à Paris”
Réseau atypique, dans la mesure où ses membres conservent leur indépendance nonobstant un panneau commun, Sirius n’a pas non plus fait de vague depuis notre dernière enquête, mais a accueilli avec satisfaction l’année positive enregistrée par toutes ses plateformes. Présent aux quatre coins de la France, le réseau ambitionne désormais de partir à la conquête de l’Ile-de-France, une région majeure qui concentre un grand nombre de clients nationaux, et où il ne bénéficie pour l’heure d’aucune structure.
Après avoir perdu la plateforme Car Distribution, le réseau Apprau s’est remis au travail, ouvrant son actionnariat à tous ses adhérents, ce qui lui garantit une certaine stabilité pour les prochaines années. En marge de la riche actualité de PAP, une grande nouvelle est provenue de Chaussende et fils. L’affaire, qui compte deux plateformes, a ainsi perdu l’un de ses deux dirigeants puisque Pascal Chaussende a laissé les rênes de la société à son frère Olivier, pour mener à bien un projet personnel. Mettant, de fait, un terme à une collaboration débutée voilà vingt-cinq ans. Un temps courtisé par Jean-Jacques Lafont dans son objectif de s’implanter à Nantes, Laurent Ferré, le patron d’Adipa, a préféré ne pas donner suite à cet appel du pied et a accueilli un nouvel actionnaire dit “dormant”, un certain Bruno Manta, dans son tour de table avec la société LAD. Une ouverture de capital qui permettra à Adipa de se consolider, sans que cela ait la moindre influence sur son organisation alors que, parallèlement, la plateforme change de stratégie et se tourne à présent vers les centres-autos. Une manière également de compenser les éventuels départs de partenaires, chagrinés par le rapprochement avorté avec Alliance Automotive Group.
6 nouvelles PFR pour Flauraud
Chez ID Rechange, après avoir récemment découvert l’Est (Nancy), le Nord (Ronchin) et le Sud-Ouest (Toulouse), on se limite pour le moment à une consolidation des sites actuels. A cet effet, Jean-Louis Bégard, son président, annonce avoir enregistré l’arrivée d’une vingtaine de nouveaux distributeurs depuis le 1er janvier, de manière à densifier l’activité. Débarqué en France en 2008, Van Heck Interpièces poursuit son bonhomme de chemin. Se considérant dorénavant à juste titre comme un acteur à part entière du secteur, Peter Vanosmael estime que sa société doit continuer de s’appuyer sur ses trois piliers que sont ses dépôts, sa logistique et ses services, et souhaite avant toute chose se renforcer via ses trois plateformes. Même logique du côté de Patrick Jouannin et d’Orion, dont les cinq affaires grandissent correctement, à défaut de faire parler d’elles. La discrétion est aussi l’un des maîtres mots de Flauraud. Cela n’entrave en rien le bon développement du distributeur clermontois qui a frappé fort cette année, en revoyant son organisation avec la mise en place de six nouvelles plateformes régionales en marge de sa plateforme nationale. Une manière pour Flauraud de renforcer sa disponibilité de pièces, et d’optimiser les délais de livraison.
Au rayon des monosites enfin, l’Agra a réalisé un exercice plein en 2014. Son directeur marketing, Yohann Allaman, fait ainsi état d’une croissance de 30 % sur un an, grâce à “une approche équilibrée entre commerce et gestion”. Située à Meyzieu (69), cette plateforme bénéficie en plus depuis cette année d’une mezzanine de 1 200 m2 permettant à l’Agra d’accueillir de nouveaux fournisseurs et d’étendre ses gammes actuelles.
Déjà actés ou en cours de réflexion, les projets ne manquent donc pas pour des plateformes qui se portent globalement bien. L’année prochaine devrait voir une concurrence grandissante entre ces acteurs indépendants de plus en plus puissants et structurés, et des groupements de concessions, qui multiplient eux aussi les initiatives en la matière.
Romain Baly et Frédéric Richard