“Nous avons doublé notre rythme d’investissements depuis l’arrivée de NTN”
Journal de l’Automobile. Comment se porte le groupe NTN-SNR au niveau mondial, en automobile et industrie ?
Didier Sepulchre de Condé. En sortie de crise, les entreprises modifient leur stratégie. Ce que nous avons fait en rééquilibrant nos activités automobile et industrie au profit du premier secteur, infiniment plus porteur, actuellement. La production de véhicules annuelle, en effet, court vers les 100 millions d’unités et affiche une croissance de 3 à 4 %. Comme nous sommes leader mondial sur le roulement de roue et le deuxième en joints de transmission, nous profitons naturellement de cette progression. Nous poursuivons donc nos investissements en automobile, notamment, vers les pays en forte croissance et les émergents, en Asie et en Amérique du Sud. La montée en puissance du groupe sur l’ensemble des pays émergents est pour nous un facteur majeur de garantie de développement de notre business.
JA. En industrie, quelle est votre politique de développement ?
DSDC. L’industrie est plus compliquée dans les pays émergents, surtout en ce moment alors que l’automobile affiche une plus grande régularité. Malgré tout, en Europe où nous avons une présence industrie relativement faible, nous avons de très fortes ambitions. Ce qui fait partie de notre rééquilibrage également puisque nous n’avons jamais autant investi en Europe que depuis que nous faisons partie du groupe NTN. Nous avons doublé notre rythme d’investissements depuis l’arrivée d’NTN.
JA. Les investissements comprennent bien évidemment la Recherche et le Développement, qu’en est-il pour l’Europe ?
DSDC. Après l’acquisition de SNR, le groupe a décidé de répartir la R&D en deux centres de Recherche, en France et au Japon et en quatre centres de Développement, au Japon, en Europe, en Chine et aux Etats-Unis. Etant le 2e “R”, nous avons nos propres activités que nous menons avec un peu plus de vitesse qu’avant, compte tenu des synergies, mais en conservant le cadre dans lequel nous opérions. Le management japonais nous rejoignant sur le fait que l’Europe demeure l’univers de l’innovation. L’Europe, en effet, est sans doute le continent le plus innovant pour les produits dits matures comme l’automobile, en attestent tous les regards braqués sur les perspectives d’évolution des motorisations proposées par cette région. C’est la raison pour laquelle ce centre “R” européen a la vocation, un jour, d’être quasiment le premier, compte tenu du fait qu’il a les clients et les potentiels de projets les plus importants.
JA. Comment expliquez-vous que la France soit à la pointe de l’innovation ?
DSDC. D’abord parce que c’est un marché mature, et que l’Europe est avant tout un pays d’ingénieurs automobiles. En idée sous-jacente, il apparaît que la différenciation se fait sur la technique, beaucoup plus que sur l’économique. Parallèlement, nous avons aussi conscience que notre niveau de coûts, qui est lié à notre niveau de vie, ne nous permettra pas d’avoir une stratégie uniquement basée sur les coûts. Une stratégie de parts de marché mondial en croissance ne peut alors que reposer sur l’innovation et sur la différenciation. En Chine, par exemple, les véhicules européens sont des véhicules de différenciation pour l’ensemble de la population.
JA. Puisque nous évoquons la Chine, est-ce que vous souffrez du ralentissement de la croissance dans cette grande région ?
DSDC. Le groupe en souffre évidemment et plus encore des problèmes diplomatiques entre la Chine et le Japon, ce qui a fortement impacté les volumes. Cela est également vrai en industrie où le groupe a investi dans des usines produisant en Chine. Et en ce qui concerne les produits NTN-SNR, le groupe pâtit indirectement - mais dans un moindre volume - de nos clients spécialement allemands, très exportateurs sur la Chine. On le ressent en direct en Chine et de façon indirecte au travers de nos activités en Europe.
JA. Le groupe envisage-t-il de se diversifier, d’acquérir de nouveaux savoir-faire ou d’accroître ses acquis par un accroissement d’innovations en interne ?
DSDC. Le groupe repose sur deux activités qui sont communes en termes de marché, mais très distinctes en termes de produits, deux activités qui sont hyper-capitalistiques, c’est-à-dire qui exigent un niveau d’investissement colossal. C’est vrai pour les roulements, cela l’est encore plus pour les joints qui réclament énormément d’intégration. Nous n’avons pas l’ambition d’aller en dehors de ces marchés-là, marchés sur lesquels aujourd’hui, dans l’automobile, nous suivons de près tout ce qui touche à l’électrique, la technologie présentant des opportunités que nous ne négligeons pas. En dehors de l’automobile, nous poursuivons des projets importants dans l’éolien offshore, qui réclament des investissements importants. Globalement, la croissance qui est devant nous est suffisante pour nous permettre d’avoir un potentiel de projets de nature à générer une croissance tout à fait raisonnable dans les années qui viennent.
JA. Le développement de la distribution est plus “SNR” que “NTN”, les groupes japonais étant très éloignés de la rechange…
DSDC. NTN, comme SNR, sont des sociétés d’ingénieurs, et les activités de la distribution n’étaient pas leur “tasse de thé”. Depuis 2008, est née une réelle volonté de développer ces secteurs, qui font appel à des capacités technologiques, mais aussi de marketing, ou de communication. Le groupe a saisi, non seulement, ce qu’était la rechange automobile développée par SNR, et aussi les formidables opportunités que cela représentait dans le reste du monde. Nous sommes en train de la déployer sur l’ensemble des continents avec l’apport de SNR, comme aux Etats-Unis où s’installent, déjà, des équipes, ou bientôt en Chine. En confirmant une stratégie automobile première monte forte, et en ayant prouvé l’intérêt de la rechange, qui vient conforter cette stratégie - et trouvé le financement, globalement, nous agissons dans un cercle très vertueux, qui assoit, également, la position du groupe NTN-SNR de manière forte.
JA. Que représente la “vieille” Europe dans le groupe ?
DSDC. Aujourd’hui, l’Europe est la première région de ventes automobiles du groupe, en termes d’activités OEM/IAM. C’est à la fois une situation et une responsabilité que nous devons assumer. En clair, si parfois, le doute apparaît sur des objectifs de rentabilité de projets en première monte, et que la politique première monte est vraiment associée à une politique rechange dynamique et intelligente, cela constitue un ensemble cohérent, un couple vertueux, qui enlève tout doute quant aux objectifs de rentabilité de certains projets en première monte.
JA. Quel est le pourcentage de la rechange dans le groupe ?
DSDC. Elle représente 250 millions d’euros sur 5 milliards. L’objectif étant de doubler cette activité rapidement. Le groupe investit à la fois dans les hommes et dans les structures. Les équipes rechange sont renforcées, des spécialistes recrutés, et une organisation centrale a été mise en place au Japon. Parallèlement, nous dépensons beaucoup en constitution de stocks, en élaboration de gammes, en outils et aussi, en partenariats pour le développement des produits qu’on ne fait pas, et qui interviennent en complément de gammes. C’est tout à la gloire d’un groupe japonais d’avoir distillé, en moins de 5 ans, cette culture de la rechange. C’est un point d’ancrage du groupe. Et cela peut aller au-delà de l’ancrage, si nous jouons cette partition de manière intelligente.
JA. SNR est connu en rechange, comment communiquez-vous dans les différentes régions du monde en rechange, sur quelles marques ?
DSDC. Sur la partie première monte, nous continuons à développer les deux marques, qui sont reconnues par les constructeurs. Grosso modo, les produits fabriqués en Europe sont marqués SNR et les autres marqués NTN, les noms qu’identifient facilement les réparateurs. Sous quel drapeau allons-nous, en rechange, conquérir les nouveaux territoires ? Il semble qu’ailleurs qu’en Europe, la marque SNR ait de la résonance dans le monde automobile, c’est un capital dont il faut tenir compte.
JA. Y a-t-il une hiérarchisation des marques du point de vue managérial ?
DSDC. NTN-SNR est un groupe extrêmement pragmatique et, de ce point de vue organisationnel, nous ferons ce qui est le plus pertinent au niveau des marchés, et de la puissance des marques sur ces marchés. Il serait, d’ailleurs, plus intéressant d’investir davantage sur les marques dans les pays émergents que dans les pays matures, européens, où la différenciation de marques finalement s’atténue de plus en plus, entre les grands en tous les cas. Par contre, les jeunes sont très attachés aux marques dans les pays émergents, dans le monde industriel, ne pourrions-nous pas profiter de cela ? C’est pourquoi, il faut promouvoir les marques très tôt, bien avant de réaliser un chiffre d’affaires significatif. On peut aussi imaginer que la rechange ait un jour une “business unit” monde dont le management serait global.
JA. En Europe, il existe de problèmes de production de voitures (confer PSA), est-ce que cela vous pose, par ricochets, des problèmes de disponibilité ?
DSDC. Cela perturbe tout le monde. Ceci dit, nous avons plus que compensé ces baisses de volumes, surtout via nos développements à l’étranger. Les constructeurs, eux-mêmes, cherchent à les compenser. La vraie question pour nous, au-delà du maintien de nos parts de marché européennes, c’est comment nous réussissons à capter des marchés émergents. L’intégration de NTN au moment où on voit fortement chuter la production française nous a incontestablement permis de passer ce cap au travers d’une mise en globalisation. Cela a pris le relais de la décroissance du marché européen, et français.
JA. Votre communication groupe s’est avérée, jusque-là, assez discrète, était-ce lié à l’actionnaire encore présent, Renault ? Maintenant que NTN a 100 % des parts, vous sentez-vous plus libre ?
DSDC. La communication a peu de chose à voir avec l’actionnariat. Depuis que Renault est sorti du capital, en mars, la transition a plutôt été bien perçue, par toutes les parties. Avec, de la part de tout le monde, le sentiment de devoir accompli mais aussi d’une opération qui s’est révélée plus profitable que ne le pensaient beaucoup. C’est une intégration dans laquelle le positionnement de NTN et de SNR s’est avéré extrêmement positif. La reconnaissance, par le management de NTN, des équipes, de leurs compétences sur les sujets de business globaux, de technicité, et d’innovations a été très importante. Nous sommes vraiment entrés dans un autre univers, dans lequel SNR n’est pas cantonné à une responsabilité dans la vieille Europe mais a, aussi, sa part de globalisation. SNR a accès à la plupart des marchés, ce que l’on ne pouvait pas supposer avant. L’Europe dont j’ai la responsabilité, c’est un groupe qui fait 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires et compte 6 200 personnes. Notre tâche consiste vraiment à implanter l’image du groupe NTN-SNR dans le monde de l’aftermarket de l’automobile, c’est notre mission forte. Et l’on se doit de développer les produits et les gammes NTN dans ce cadre-là.
JA. Lors du développement de l’ASB, vous avez dû céder une partie de la production à vos concurrents sous licence, car vous ne pouviez pas, seuls, tout fournir et gérer. Est-ce qu’avec NTN, vous pourrez aller seul sur le domaine de l’électrique ?
DSDC. Nous sommes bien avancés sur la technologie des moteurs dans les roues, et nous la retrouvons sur un certain nombre de concepts chez les clients. Ce qui risque de se passer, c’est qu’on ne fera pas, seuls, la totalité du produit. Nous avons tous l’ambition de livrer des modules de ces moteurs dans les roues, mais si nous participons, déjà, au développement de ces produits-là avec les constructeurs, ce sera très bien, car ceux-ci doivent s’approprier cette technologie de l’électrique. Ils n’achèteront pas des “black box”.
JA. A l’heure où tout le monde cherche des alternatives en rechange pour pallier la baisse des pouvoirs d’achat, est-ce l’occasion, pour vous, de lancer une autre marque plus low cost ou d’autres solutions ?
DSDC. Une marque n’est pas un filet à papillon. Si on choisit un positionnement, on s’y tient. Notre positionnement de marque SNR, c’est le Premium. Autant les marques Premium sur un marché mature sont très challengées, par le phénomène que vous évoquez, autant pour entrer sur un marché émergent, cela constitue un atout fantastique. Je crois qu’il faut savoir retenir un positionnement général.
JA. Certains de vos confrères développent leurs sites pour donner énormément d’informations techniques, devenant de vrais alliés des professionnels, en même temps, ils donnent des notices de montage à ceux qui ne sont pas déclarés ?
DSDC. Nous avons des distributeurs qui investissent pour nous, c’est un réseau qui est construit, qui a vocation à réaliser ces fonctions-là. Nous avons un intermédiaire par rapport au marché, que sont les réseaux de distribution, et nous les respectons. Ils font un métier qu’on ne fait pas, à proximité de client. Il y a une vraie valeur ajoutée de ce réseau de distribution par rapport à nos clients, aujourd’hui, et c’est une relation qu’on va continuer à promouvoir.
JA. Le soutien à la distribution porte aussi sur les salons, quelle est votre politique sur la question, et notamment sur Equip Auto ?
DSDC. Dans le cas d’Equip Auto nous ne pouvons pas nous dédouaner d’une certaine cohérence. En effet, il y a une filière “équipementiers” française qui existe, qui a ses activités de promotion et qu’au-delà du déploiement de l’image de SNR dans Equip Auto, il y a l’affirmation, par l’existence même d’Equip Auto, que cette filière équipementiers automobile française a du sens et qu’il faut la pérenniser. Nous appartenons à un métier, à une famille dont la vitrine est Equip Auto et il est important qu’on soutienne aussi ces activités, qui sont, notamment, fédérées au sein de la Fiev. Il y a une cohérence, par exemple, à profiter des activités de la Fiev au niveau de la première monte, et dans le même temps, à soutenir, tous ensemble, la promotion des marques françaises au sein d’un salon qui représente l’ensemble des équipementiers français. Nous ne sommes pas là que pour SNR, nous sommes là pour l’ensemble d’une profession qui est un écosystème.