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Industrie

Luc Chatel, PFA : "L’Europe doit se doter d’un plan massif pour l’automobile"

Publié le 13 octobre 2024

Par Catherine Leroy
12 min de lecture
Alors que les ventes de véhicules électriques ne connaissent pas la croissance attendue, la Plateforme automobile, présidée par Luc Chatel, met la Commission européenne face à ses décisions. Un plan de soutien massif doit venir épauler la filière automobile. 
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Alors que les ventes de véhicules électriques ne connaissent pas la croissance attendue, la Plateforme automobile, présidée par Luc Chatel, met la Commission européenne face à ses décisions.

 

Le Journal de l’Automobile : Les ventes de véhicules électriques se tassent. La demande des clients ne croît pas au niveau attendu. Quels sont les risques pour le secteur automobile ?

Luc Chatel : Je suis très préoccupé par la situation du marché parce que nous organisons un virage technologique remarquable au moment où le marché est historiquement bas. Nous enregistrons toujours une baisse de 20 % par rapport au niveau d’avant‑Covid, en 2019. Nous sommes la seule industrie qui n’a pas retrouvé une situation normale depuis la pandémie. C’est un phénomène inquiétant car en termes de production, depuis cette date, les Américains fabriquent 10 % de voitures de plus, les Chinois 20 % de plus et en Europe, c’est 20 % de moins. On voit bien que le barycentre s’est déplacé.

 

Mario Draghi, ancien président du Conseil italien et de la Banque centrale européenne, prédit une lente agonie de l’industrie automobile en Europe. Partagez‑vous ce constat?

L.C. : Complètement. L’automobile est la première industrie à vivre le risque d’un déclassement en Europe. C’est une menace réelle. Sur l’électrique, nous avons un énorme sujet. Le principe de réalité est en train de s’imposer et je dirais que nous sommes rattrapés par la patrouille. Nous avons dit que nous avions besoin de décarboner cette industrie, que nous allions innover comme jamais depuis 50 ans. Mais cette révolution ne peut se faire sans conditions. Ce sont des investissements massifs dans les infrastructures de recharge, une politique d’aide à l’innovation et à l’investissement qui permettent une compétitivité en Europe et une aide à la demande qui soit soutenue et durable. On ne peut pas décider unilatéralement, par règlement, d’un changement technologique, si à la fin les clients ne sont pas au rendez‑vous. C’est une vraie alerte. Depuis 2017, la filière française a perdu 50 000 emplois, 37 000 depuis 2019. Les impacts sont gigantesques. Aujourd’hui, le véhicule électrique pèse 12,5 % du marché européen. Il faudrait être aux alentours de 22 % en 2025 pour respecter les normes prévues.

 

Nous devrions d’ailleurs nous inspirer des Américains, qui agissent vite, fort et de manière simple.

 

La nouvelle Commission européenne, présidée toujours par Ursula von der Leyen, vous semble‑t‑elle prête à assouplir sa position ?

L.C. : Je voudrais réaffirmer quelques principes simples. L’automobile doit se décarboner et il ne s’agit pas de faire marche arrière. Mais pour y arriver, j’ai proposé, lors de la signature du contrat de filière entre l’État et la filière automobile, en mai 2024, de créer un pacte européen pour l’automobile. C’est ce que préconise également le rapport Draghi, dont je me réjouis. Il faut un effort massif pour ces filières concernées par cette transformation et une vraie stratégie industrielle pour l’automobile. C’est ce que je dis à la nouvelle Commission.

 

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Qu’entendez‑vous par pacte européen pour l’automobile ?

L.C. : L’Europe n’est pas assez compétitive, pas assez concurrentielle. On ne peut pas lutter contre la Chine et les USA, ne serait‑ce que sur les coûts de l’énergie par exemple. Ce doit être le premier dossier de la Commission : mettre en place un chantier de l’énergie pour atteindre un niveau de prix de l’électricité comparable à ce qu’il est en Chine et aux États‑Unis. Mais ce qui est valable pour l’énergie l’est également sur d’autres sujets comme le coût du travail. Et au sein même de l’Union européenne, il existe des différences au niveau des aides qui pénalisent l’industrie française. Quand un industriel obtient des subventions à hauteur de 50 % lorsqu’il s’implante en Europe centrale contre 10 % en France, c’est un vrai problème. Ces écarts au sein même des États membres ne sont plus supportables.

 

Êtes‑vous également favorable à un système de bonus et d’aide à l’achat uniforme en Europe ?

L.C. : On ne peut pas avoir une réglementation unique en Europe et des dispositifs d’aide à la demande qui changent en permanence : en France, le bonus a été modifié 15 fois en 5 ans ! Et qui, de plus, sont différents entre les pays. Nos constructeurs sont européens, mondiaux. Nous avons besoin de dispositifs massifs. Nous devrions d’ailleurs nous inspirer des Américains, qui agissent vite, fort et de manière simple. L’Ira (Inflation Reduction Act) a été mis en place du jour au lendemain. C’est un plan puissant, simple et lisible. Aux USA, le bonus de 7500 dollars n’est accordé que si les véhicules sont assemblés sur le sol américain et si la batterie est également produite à partir de composants venant de pays ayant un accord de libre‑échange avec l’Amérique. En Europe, aucun pays n’a la même stratégie de soutien. Ce qui explique d’ailleurs le différentiel de pénétration du marché électrique. Cette coordination européenne est indispensable. La nouvelle Commission doit prendre conscience que l’on ne peut faire en cinq ans le travail qu’ont fait les Chinois en trente ans.

 

Mais l’Europe dispose‑t‑elle d’une unité politique et économique qui permettrait ce plan massif et identique dans les pays ?

L.C. : L’Europe a été capable de décider unilatéralement à l’échelle de son continent d’une réglementation automobile. Pendant le Covid, elle a également démontré sa capacité à prendre des décisions stratégiques. Ce que la Commission a fait sur le Green Deal pourrait également être fait en faveur d’une vraie stratégie industrielle. L’automobile étant la première industrie à prendre ce virage, il est normal que l’Europe l’accompagne pour réussir cette démarche. L’automobile est en quelque sorte un patrimoine européen. C’est l’Europe qui a inventé l’automobile, qui fabrique les meilleurs moteurs thermiques du monde, c’est l’Europe qui abrite les plus grands constructeurs. Mais cette fois, on les a abandonnés en rase campagne. Alors que la solution, face au changement climatique, viendra des ingénieurs automobiles.

 

Je trouve pertinent que l’on ouvre dès aujourd’hui les discussions de la clause de revoyure en analysant les impacts à l’aune de la situation actuelle en Europe.

 

Comment les constructeurs peuvent‑ils respecter les normes d’émission de CO2, dites CAFE, au regard de la baisse des marchés ?

L.C. : Sur ce sujet, les positions, qui sont très diverses, relèvent de la situation concurrentielle des constructeurs et je n’ai pas à interférer dans ces décisions stratégiques. Chaque entreprise s’adapte. Mais ce que j’observe en tant que président de la filière, c’est que nous sommes dans une situation inextricable. Les constructeurs et les équipementiers investissent comme jamais. Regardez l’autonomie croissante des véhicules électriques, le nombre de voitures disponibles sur le marché, les lancements de modèles à des prix plus abordables… Mais aujourd’hui, les clients ne sont pas aussi nombreux que prévu. Et il n’y a que de mauvaises solutions.

 

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Quelles sont ces solutions ?

L.C. : Soit on décide de payer les amendes. Ce serait une stratégie curieuse. Au moment où la filière automobile européenne est en compétition mondiale avec les Américains et les Chinois et où elle réalise une transformation qui demande beaucoup de capitaux, de l’ordre de plusieurs centaines de milliards d’euros, l’Europe irait ponctionner aux constructeurs près de 15 milliards d’euros d’amende. Une deuxième solution serait d’aller acheter des quotas aux Chinois. Ce qui serait complètement ubuesque alors que nous voulons mettre des barrières douanières, même transitoires, aux constructeurs chinois. Et nous verserions des subventions à ces concurrents ? La troisième solution revient à se faire hara‑kiri. Il s’agirait de moduler les mix en vendant moins de voitures thermiques. Ce serait tout simplement suicidaire pour la filière, avec des usines à l’arrêt total. Il reste aussi l’alternative pour chaque constructeur d’importer des voitures chinoises pour respecter les engagements. Ce qui est surréaliste. Pour respecter des normes nouvelles qui vont permettre aux Chinois de pénétrer le marché européen, comme jamais puisque nous estimons que leur part de marché va passer de 6 % actuellement à 12 %, on irait leur acheter des voitures. Aujourd’hui, il n’existe aucune bonne solution.

 

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Demandez‑vous un report d’application de ces normes ?

L.C. : Il y a d’abord, des mesures d’urgence à prendre en matière de soutien à l’achat : il faut soutenir le marché de l’électrique. Il y a ensuite, encore une fois, à engager une véritable stratégie industrielle en Europe. Mais je trouve pertinent que l’on ouvre dès aujourd’hui les discussions de la clause de revoyure en analysant les impacts à l’aune de la situation actuelle en Europe.

 

Si on veut réussir la décarbonation de notre industrie, l’État doit respecter le contrat stratégique qu’il vient de signer.

 

Soutenez‑vous la volonté de la Commission européenne d’imposer des droits de douane compensatoires aux constructeurs chinois ?

L.C. : Notre position est simple : dans un monde idéal, moins il y a de barrières douanières, mieux nous nous portons. Ensuite, il y a l’application de ce principe. L’automobile est dans une compétition mondiale et l’UE a jugé utile d’ouvrir une enquête anti-subventions à l’encontre de la Chine. Nous ne craignons pas la compétition. Encore faut‑il que celle‑ci soit fair.

Mettre des ajustements pendant une période transitoire, peut permettre d’établir un terrain de jeu équitable. En revanche, nous sommes favorables à des partenariats y compris avec les Chinois, pour créer des écosystèmes de production en Europe. Comme Toyota l’a fait en France, par exemple, il y a quelques années.

 

Avec la mise en place d’un nouveau gouvernement et l’alerte lancée sur les finances publiques, craignez‑vous que le contrat de filière ne soit pas respecté en France ?

L.C. : Si on veut réussir la décarbonation de notre industrie, l’État doit respecter le contrat stratégique qu’il vient de signer. Il faut pérenniser les dispositifs d’accompagnement sur l’offre et la demande. Le nouveau gouvernement vient de s’installer et découvre une situation financière très contrainte. Nous pouvons comprendre des réductions sur certains dispositifs. Mais nous devons nous mettre autour de la table avec le gouvernement pour discuter de la meilleure efficacité des dispositifs. Le pire serait un saupoudrage. Il faut concentrer les aides sur ce qui marche.

 

C’est‑à‑dire ?

L.C. : En France, une voiture vendue sur huit est une voiture neuve. C’est dire si le marché de l’occasion est très important. Tout ce qui permet de nourrir ce marché est essentiel. La suppression du bonus pour les entreprises a été une erreur. Les flottes jouent un rôle de prescription sur l’électrique et alimentent le marché de l’occasion : pourquoi s’être privé inutilement d’un tel levier ? Nous allons donc demander, dans le cadre de l’enveloppe contrainte que nous découvrirons, de choisir les aides les plus efficaces.

 

Ce bonus sur les flottes a été supprimé en faveur du leasing social. Allez‑vous soutenir la reconduction de cette aide ?

L.C. : Le leasing social était une bonne idée car il a permis à des ménages éloignés d’accéder à une voiture neuve et électrique. Mais le dispositif a mobilisé 650 millions d’euros sur l’enveloppe globale de 1,5 milliard qui était consentie pour le verdissement des véhicules. D’où l’importance de discuter du bon fléchage des aides. Nous avons d’abord besoin d’un dispositif universel, ouvert à tous les Français et c’est tout le sens du bonus.

 

Comment les constructeurs vont‑ils pouvoir poursuivre leur transformation, alors que les profits records enregistrés ces dernières années se réduisent ?

L.C. : Les marges des constructeurs vont se tendre et elles se sont déjà tendues chez les équipementiers. Et je ne vous parle même pas des sous‑traitants qui connaissent de vraies difficultés au sein de la filière, qui se traduisent déjà par des suppressions d’emplois. On aborde une nouvelle étape de cette transformation. Pendant longtemps, on expliquait que l’automobile avait délocalisé des usines d’assemblage pour des raisons de compétitivité et d’accès à certains marchés. Mais les équipes de R & D étaient restées localisées en France. Or ces métiers sont tout à fait délocalisables. Vous avez des ingénieurs exceptionnels en Inde, en Chine. D’où l’importance des dispositifs d’aide à l’innovation. Ce sont des messages que nous porterons d’ailleurs au nouveau gouvernement français. Il serait dramatique de remettre en cause le dispositif d’aide au crédit recherche ou encore le fonds Coram, dédié à l’innovation. Toutes les tentatives de remise en cause de cet écosystème qui était plutôt favorable ces dernières années comportent un risque majeur pour la filière.

 

Les gigafactories créées sur le sol français réduisent la voilure sur la production de batteries et l’ouverture de nouveaux sites. N’est‑ce pas la conséquence d’une erreur sur la technologie de batterie choisie ?

L.C. : Je demande un peu d’indulgence pour cette nouvelle filière. On a fait sortir de terre en moins de 5 ans ces gigafactories, démontrant une agilité et une réactivité exceptionnelles. Produire des batteries n’est pas du tout le même métier que de produire des voitures. Les industriels ont fait le meilleur choix possible coûts‑opportunités dans les technologies. Les premières batteries commencent à sortir, à équiper les véhicules de nos constructeurs français. Les capacités de production ont été calquées sur un objectif : celui de la production de 2 millions de voitures électrifiées en France. Mais la courbe des ventes, qui n’est pas favorable, vient forcément impacter cette capacité. Les constructeurs ont résolu le problème de l’autonomie, qui était un frein au développement de l’électrique. Mais avec des batteries lourdes et chères. Maintenant les constructeurs s’adaptent et diversifient leur offre. La critique est facile mais nous sommes dans les aléas classiques d’un développement technologique et on apprend en marchant.

 

Quelle est la situation du tissu de sous‑traitants de rangs 2 et 3 ?

L.C. : Les fournisseurs engagent ce virage avec le même volontariste avec, par rapport à leur taille, des niveaux d’investissement gigantesques mais avec beaucoup plus de risques car ils ne pilotent pas cette transformation. Ce sont leurs clients qui sont les acteurs des choix technologiques de demain. Cette filière est encore plus tributaire du niveau d’activité que les constructeurs. Nous travaillons beaucoup au sein de la PFA pour anticiper, pour que les relations soient les plus apaisées possibles. Les difficultés sont fréquentes. Tous doivent comprendre que personne ne gagnera seul dans ce contexte.

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