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Industrie

"La délocalisation est une impasse stratégique"

Publié le 13 octobre 2011

Par Frédéric Richard
6 min de lecture
Jean Tournoux, directeur général de SKF France - Sur fond de crise économique passée et d’incertitude future, Jean Tournoux assume ses choix stratégiques et replace l’activité automobile de la filiale France dans le contexte plus global du groupe suédois. L’occasion de revenir sur l’avenir de l’industrie en France.

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Pouvez-vous nous dresser un panorama de l’activité auto de SKF en France ?
JEAN TOURNOUX
. Au plan français, l’automobile représente environ 18 % de l’activité de SKF pour la première monte et 12 % en rechange. Des chiffres un peu en deçà de ceux qu’enregistre le groupe au plan mondial, pour une raison simple : nous sommes peu implantés chez Renault, en raison de la présence sur le marché de SNR, ex-filiale du constructeur. En termes de production, sur les 11 sites français de SKF, un seul est consacré à l’automobile, celui de Saint-Cyr-sur-Loire (37). La production française de SKF est donc peu orientée automobile.
Les enjeux du secteur sont très clairs. Notre donneur d’ordre, le constructeur, demande des efforts considérables sur les coûts, surtout pour les produits originaires de l’Hexagone. Nous travaillons donc sur ce paramètre, car il est stratégique de se positionner sur les plateformes de demain…

JA. Face au contexte concurrentiel accru et au rapprochement de SNR avec NTN, quelle est votre stratégie de défense ?
JT.
Ce rapprochement n’a pas radicalement changé leur politique en France. Bien sûr, cela consolide SNR, et la perception que l’on peut avoir d’eux. Mais je rappelle que, vis-à-vis de Renault, ça ne change rien, ils étaient déjà partenaires privilégiés. Et vis-à-vis de PSA, la marque était déjà crédible, et se plaçait en concurrence avec nous. En revanche, hors France, il est exact que les synergies entre les deux entreprises peuvent permettre à des constructeurs d’approcher NTN à travers SNR, et donc de disposer facilement des moyens de production de roulement, proches de leurs sites d’assemblage qui se multiplient à travers le monde. Mais de notre côté, rassurez-vous, nous accompagnons également nos clients, notamment en Chine, où nous suivons PSA.

JA. Face au contexte économique incertain, quelle est la stratégie de SKF en France ?
JT.
Le groupe SKF a choisi, dans ce contexte trouble, de présenter la plus grande réactivité possible, minute par minute, chez nos clients, malgré une lecture difficile du marché. Nous devons pouvoir répondre rapidement à toute fluctuation de la conjoncture. Cela passe par la flexibilité de l’outil industriel, bien sûr, et par un contrôle millimétrique des stocks. Aujourd’hui, si l’on a le moindre doute sur l’écoulement d’un stock, il faut immédiatement stopper la production.

JA. Certains de vos concurrents ont souffert de cette flexibilité… Au plus fort de la crise de 2009, ils se sont séparés de beaucoup d’opérationnels, et n’ont pu assurer un redémarrage convenable, par manque de bras…
JT.
C’est exact. Mais je pense que les événements actuels devraient avoir des conséquences moindres qu’en 2009, à cause de cela. L’expérience nous a montré qu’il fallait agir avec un peu plus de finesse. Et surtout, il subsiste aujourd’hui beaucoup moins de stocks, partout… Dans ce contexte, il faut conserver ses capacités de réaction, au plan industriel, mais également dans l’innovation. La R&D prend du temps et nous devons trouver, à l’intérieur du groupe, le moyen de financer nos recherches. Cela ne constitue pas une variable d’ajustement chez SKF.

JA. Gérer de plus en plus finement les stocks, les approvisionnements…, tout cela ne risque-t-il pas de créer des situations de pénuries de pièces, en première monte et en rechange ?
JT.
C’est toute la subtilité. Quand on est fournisseur référencé d’un constructeur, on doit garantir la disponibilité. Pour y parvenir, nous utilisons des systèmes de gestion de stocks très élaborés. Et en dehors de la production, notre grande force se situe dans la logistique. En effet, nous avons notre propre système intégré, avec notre plateforme européenne, et une capacité à livrer en moins de 24 heures, n’importe où en Europe.

JA. Comment gérez-vous les effets de change et les hausses de matières premières ?
JT.
Cela fait partie des enjeux majeurs, notamment avec les pays émergents qui aspirent littéralement les matières premières. Je crois donc qu’il faut raisonner en termes de macro régionalisation de la production. On ne pourra jamais s’exonérer des effets de change. La pierre angulaire de l’activité, c’est de faire produire peu ou prou, dans les grandes régions géographiques, la demande que nous enregistrons sur place. C’est pour cela que nous développons nos capacités en Asie. Nous n’allons pas continuer indéfiniment à importer toute la gamme d’Europe et des Etats Unis.

JA. Votre groupe n’a-t-il pas la capacité financière d’acheter les matières au plus bas cours ?
JT.
C’est très délicat, car on ne sait jamais quand on achète au plus bas ! Par ailleurs, cette politique de couverture peut se mettre en œuvre pour garantir un prix par rapport à un contrat donné et fixe. Nous ne sommes pas dans cette configuration. Avant la crise de 2008, notre portefeuille affichait deux ans au mois de septembre. Deux mois plus tard, il tombe à six mois ! Avec tant de fluctuation, on ne peut déployer une stratégie de couverture…

JA. Avec vos moyens de production qui se développent dans des pays à bas coûts, n’y a-t-il pas un risque de vous voir délocaliser la production ?
JT
. Nous le faisons pour des “commodity products”, c’est-à-dire les produits où nos concurrents peuvent proposer une offre aussi compétitive que la nôtre. C’est le cas des produits sans réelle valeur ajoutée, sans enjeu d’amélioration, d’innovation, de performance. C’est malheureusement ce qui s’est passé pour l’usine de Fontenay-le-Comte en 2009. Néanmoins, la stratégie permanente de SKF consiste à s’exonérer de cela. C’est-à-dire de réduire ces “commodity products” pour augmenter notre valeur ajoutée et conserver la production en France. Finalement, je pense que quand une entreprise délocalise beaucoup, c’est qu’elle n’est pas très innovante. La délocalisation est une impasse stratégique.

JA. Quelle est votre vision de l’industrie en France ?
JT.
L’idée dominante en France est qu’on ne fait pas d’argent avec l’industrie. En revanche, grâce aux états généraux de l’industrie, les mentalités évoluent et on se rend compte que la puissance économique est basée sur des services intelligents, bien sûr, mais aussi sur l’industrie. Et le secteur peut rapporter, si l’on choisit de s’en occuper un minimum. Cela demande des investissements, de la formation. Je suis convaincu que l’industrie française présente un fort potentiel. Car, in fine, qui va faire en sorte que l’on consomme moins de matières premières, si ce ne sont les industriels ? Qui va faire en sorte que la consommation générale d’énergie baisse, si ce ne sont les industriels ?

JA. Vos investissements dans l’automobile restent-ils stables en proportion de vos autres domaines de compétence, ou bien augmentent-ils en raison des enjeux automobiles de demain ?
JT.
Chaque secteur a conservé sa part d’investissement. En revanche, il faut faire des arbitrages sur les projets dans chacun des domaines. Dans l’automobile, nous focalisons nos efforts sur l’instrumentation des roulements, qui représente l’une des clés du marché de demain, mais également sur la baisse des frottements… Dans le poids lourd également, il y a beaucoup de demande sur des produits à forte valeur ajoutée, nous allons donc aussi y travailler.
 

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