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Industrie

Garrett : "Sur le plan stratégique, nous avons trois axes majeurs"

Publié le 3 janvier 2019

Par Gredy Raffin
11 min de lecture
L'équipementier spécialiste des turbocompresseurs a de multiples challenges à relever. Devenu indépendant en octobre 2018, le groupe va pouvoir accélérer sur tous les chantiers ouverts, dont le turbo du futur et la connectivité. Entretien avec Eric Fraysse, le vice-président Global Aftermarket.

 

Indépendant de Honeywell depuis l'automne dernier, le groupe Garrett entame une nouvelle ère de son histoire, sur un marché du turbocompresseur dont la courbe de croissance laisse présager de belles années à venir. Ce qui ne l'empêche pas de s'ouvrir à des métiers qui lui sont pratiquement inconnus, tels que ceux liés à la connectivité, qui l'amèneront à exposer au CES 2019. Eric Fraysse, le vice-président Global Aftermarket, a accordé au Journal de l'Automobile le tout premier entretien depuis ce changement capitalistique.

 

 

Garrett a quitté le giron d'Honeywell au 1er octobre 2018. Dans quel contexte s'est réalisée la manœuvre ?

Eric Fraysse. Le groupe Honeywell souhaitait réorganiser ses activités. Il a diminué le nombre de métiers couverts pour être de fait plus efficace. Quelques divisions comme la nôtre en ont profité. Dans les faits, Garrett fonctionnait déjà en toute autonomie, mais cette indépendance acquise nous permettra de poursuivre notre stratégie de développement avec une plus grande vitesse d'exécution.

 

Comment se structure désormais Garrett sur le plan des RH ?

EF. L'organisation n'a pas évolué. La sortie du groupe Honeywell avait été préparée depuis le premier trimestre. Nous avons recruté des compétences, principalement autour de grandes fonctions, telles que les ressources humaines, la finance et l'informatique, soit des tâches qui étaient en partie centralisées auparavant à l'échelle du groupe. 

 

Le CA en 2017 était de 3,1 milliards de dollars. Quelles sont les ambitions de votre plan de développement ?

EF. Sur la première moitié de 2018, nous avons enregistré une croissance de 7 % et notre premier trimestre en tant que société indépendante, soit le 3e trimestre 2018, nous laisse penser que nous allons achever l'exercice en progression de 5 à 6 %, par rapport à l'an passé, hors effet de taux de change. Ce résultat sera au-dessus de la moyenne industrielle. La performance est à mettre au crédit du segment des turbos pour les moteurs essence. Cette activité profite d'une forte demande, en Europe, en Chine, aux Etats-Unis et au Japon, mais également de la concrétisation de projets signés l'an passé. Par conséquent, elle croît de 5 % et pèse 27 % de notre chiffre d'affaires global, à la fin du troisième trimestre. Dans une autre mesure, nous pouvons souligner la bonne tenue de notre activité sur les véhicules commerciaux, qui a tenu ses promesses.

 

En chiffres, quel est l'équilibre entre les régions du monde ?

EF. La croissance est plus forte en Asie et sa contribution au chiffre d'affaires augmente mécaniquement. Nous y réalisons environ 30 % de notre activité de vente de turbos. L'Europe reste majoritaire avec plus de 50 % du CA. L'Amérique du Nord totalise environ 15 %.

 

Quel visage doit prendre Garrett, maintenant que vous êtes totalement indépendant ?

EF. Sur le plan stratégique, nous avons trois axes majeurs. Ils doivent nous amener à tirer profit des transformations auxquelles fait face l'industrie automobile. Tout d'abord il faut garder en tête que nous sommes un équipementier dont le produit atteint un haut niveau de technicité. Il compte parmi les éléments qui aident les constructeurs à remplir les objectifs de diminution des émissions de gaz et de consommation de carburant, sur les différents marchés. Nous avons l'ambition de conserver ce que nous considérons comme une position majeure sur ce cœur de métier de la fourniture de turbos. Il nous faut continuer de proposer des produits innovants sur ce créneau. Garrett a été le premier à adapter la technologie du turbo à géométrie variable sur des moteurs essence, en 2007 chez Volkswagen, à titre d'exemple. Nous le commercialisons désormais avec succès sur de nombreux marchés de différentes zones géographiques. Constamment à la recherche de nouveautés, nous avons déposé plus de 1400 brevets dans notre histoire et on a accéléré la dépose, en 2018, pour sauvegarder notre technologie différenciante qui couvre l'intégralité de la demande mondiale, de la Tata Nano aux plus gros véhicules industriels et engins de chantier.

 

Quel est le deuxième axe stratégique ?

EF. Sans surprise, il s'agit de la tendance à l'électrification qui se développe à grande vitesse et provoque l'augmentation de l'hybridation des véhicules. Le turbo a un rôle important à jouer car il peut être générateur d'électricité, car il possède des éléments rotatifs capables de tourner à 100 000, 200 000, voire 300 000 tours/minutes. Nous voyons donc apparaitre des e-compresseurs ou des turbos électriques qui permettent de générer de l'électricité à utiliser selon les choix techniques du concepteur du véhicule équipé. Il y avait jusqu'alors deux boites, un e-compresseur et un turbo. Nous avons travaillé à les conjuguer pour obtenir une pièce unique, le e-turbo, qui apporte plus de puissance et un temps de réponse raccourci pour réduire la consommation et les émissions. Nous lancerons sa production de série avec un constructeur, à partir de 2021.

 

Plus concrètement quels seront les débouchés au regard de l'avenir promis aux VE ?

EF. Les e-turbos sont des éléments contributeurs à la stratégie de nos clients, notamment pour leur modèles hybrides. La demande est donc très forte en ce moment, à commencer pour les véhicules haut de gamme. En ce qui concerne les véhicules à batterie électrique, en nous appuyant sur les études des cabinets, nous ne pensons pas qu'ils dépasseront les 10 % de pénétration de véhicules neufs. La pile à combustible nécessite un compresseur électrique, qui ressemble à un turbo en ce sens qu'il compresse de l'air pour la rendre plus efficace. Nous pouvons citer le cas de la Honda Clarity que nous équipons.

 

Quel est enfin le troisième axe stratégique ?

EF. Il s'agit de l'activité qui nous emmènera au CES de Las Vegas, en janvier prochain. Garrett a pris position sur le véhicule connecté. Un sujet que nous abordons à partir de notre propre connaissance et de notre propre expérience, en l'occurrence la maitrise de l'environnement du véhicule, notre capacité à diagnostiquer et à pronostiquer des pannes. Cela doit servir aux constructeurs, à leurs réseaux et à leurs clients. Nous opérons sur cet axe stratégique depuis plus de deux ans et avions commencé en nous rapprochant de la branche aéronautique. Mais ce n'est pas tout. Par connectivité s'entend aussi la sécurisation des systèmes, contre le piratage des véhicules. Nous anticipons la mise en place de réglementations, dans les états où circuleront des véhicules connectés.

 

Des analystes voient le marché des turbocompresseurs gagner 5,4 % par an pour atteindre 15,8 milliards de dollars en 2021. Quel est votre sentiment sur l'évolution du secteur ?

EF. Les indicateurs sont effectivement au vert. La croissance va découler d'une explosion du taux de monte, en Chine et aux Etats-Unis, mais aussi en Inde, en Thaïlande, au Japon, en Corée du Sud, en Asie du Sud-est et au Brésil, un pays dans lequel on prévoit des fortes hausses sur les moteurs essence, liées à l'adoption d'une législation plus exigeante en matière d'émissions de gaz. D'une manière générale, la courbe du marché va tenir un moment en phase ascendante, jusqu'à parvenir à un niveau suffisamment haut pour se transformer en marché de renouvellement, comme en Europe. Nous allons aussi vers un renforcement du contenu technologique, ce qui va tirer les prix à la hausse. L'intégration de turbocompresseurs aux modèles de véhicules hybrides achèvera d'asseoir cette tendance.

 

Toutefois le cabinet Roland Berger rapportait une fonte de la marge opérationnelle des OES impliqués dans les groupes motopropulseurs, car mise sous la pression des prix. Qu'observez-vous de votre fenêtre ?  

EF. Nous subissons effectivement une forte pression pour être compétitifs mais aussi pour apporter la valeur maximale. Il nous faut donc optimiser notre qualité de service et surtout notre marge afin de financer nos efforts en R&D. Ce n'est pas un secret, nous sommes à des niveaux de marges supérieurs à ceux des équipementiers standards, car nos produits sont nettement plus technologiques et innovants.  

 

Chez Garrett, il y a aussi cette branche après-vente, que pèse-t-elle ?

EF. L'après-vente a représenté environ 11 à 12 % du chiffre d'affaires de Garrett en 2018. Il s'appuie sur un parc de véhicules d'environ 100 millions de véhicules qui gonfle avec l'ajout de véhicules neufs au quotidien. Nous avons une couverture de 180 pays, à travers le monde. A côté, il y a le département Performance & Motorsport, qui connait un essor. Nous étions au Sema Show, à Las Vegas, en octobre, et avons profité de ce salon pour introduire des nouveautés, sur ce marché passionnant. Je ne peux pas indiquer de chiffres sur ce segment car nous ne les publions pas, mais nous retenons que nous avons équipé les Porsche et Toyota qui se sont illustrées au Mans ces dernières années ou les Formule 1 Ferrari dotées d'un e-turbo.

 

Prenons un peu de hauteur et abordons le sujet du WLTP, quelles sont vos prévisions ?

EF. Il y aura très peu d'impact, car cette norme avait été anticipée depuis des années. Nous n'avons pas de changement radical sur le plan technologique. Chaque client a géré cette transition de manière plus ou moins réussie, mais nous n'avons pas d'écho spécifique en Europe. Le législateur doit laisser l'industrie automobile trouver les solutions pour remplir les objectifs et se garder d'imposer arbitrairement des technologies. Nous avons des visions qui ne sont pas statiques et nous avons cette capacité d'innovation.  Si on prend le cas du véhicule "zéro émission", pourquoi s'imposerait-on le véhicule électrique à batterie si celui à hydrogène ou un autre apportent une meilleure réponse contextuelle à la problématique ?

 

Garrett va-t-il devenir un chef de fil de ce débat politique ?

EF. Nous sommes engagés dans plusieurs associations d'industriels, dans de nombreux pays. Nous sommes représentés pour porter notre voix auprès des instances ou de nos clients.

 

Creusons maintenant le sujet de la connectivité. Elle vous amènera à exposer au CES, alors qu'on ne vous y attend pas forcément. Quel est le plan ?

EF. C'est vrai, nous ne sommes pas forcément attendus. Nous avons commencé à nous investir en travaillant avec d'autres divisions de Honeywell, jugeant qu'en 2025, 100 % des véhicules neufs disposeront d'un système de connectivité et une automatisation de la conduite de niveau 2-3 en expansion. Les besoins vont augmenter. Nous avons des connaissances découlant de briques technologiques propres à notre métier ou résultant des deux années de développement que nous comptons désormais. Garrett a une compréhension de l'automobile et des comportements moteurs qui dépasse celle de certaines sociétés informatiques qui débarquent dans l'industrie. De fait, nous souhaitons contribuer à la sécurité informatique, à la maintenance préventive et à l'établissement d'outils de diagnostique pour maximiser le taux d'utilisation des véhicules de flottes. Ce qui a donné lieu à des partenariats, notamment avec Lear Corporation ou LG Electronics et la mise en place de pilotes pour prouver la valeur de nos produits dans ces trois domaines.

 

Comment sont réalisés ces pilotes ?

EF. Ils sont menés avec des constructeurs qui, dans chaque cas, testent une de ces trois compétences. Nous travaillons avec des marques américaines, asiatiques et européennes. Les premiers déploiements interviendront certainement en 2019. Cela dépendra des stratégies propres à chacun, d'autant que nous sommes à un tournant en ce qui concerne les plateformes des véhicules commercialisés.

 

Cela demande d'énormes ressources pour vous, qu'est-ce qui justifie cet investissement ?

EF. Plusieurs points. Nous avons identifié un véritable besoin chez nos clients. Les outils de prédiction concourent à réduire les coûts de garantie. Ils servent à établir un lien avec le client final. Sur la partie cyber sécurité, le véhicule autonome nous impose d'apporter des solutions. Tous ces marchés vont générer des milliards d'euros de chiffre d'affaires. Nous ne serons pas présents sur tous les fronts, mais nous nous devons de prendre position.

 

Appelez-vous de vos vœux à une accélération de la standardisation dans le registre de la cyber sécurité ?

EF. Dans l'aéronautique, que nous connaissions bien, des standards très forts se sont imposés à l'international. On peut se demander qu'en sera-t-il de l'échelle d'application dans l'automobile. Ce sujet me pousse aux limites de mon périmètre. Nous voyons des législations se dessiner à la Commission européenne et reste à savoir s'il y aura un élan de convergence entre les grands marchés. Nous poursuivrons, entre-temps, notre logique de partenariats pour parfaire nos solutions et en développer de nouvelles.

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