Equipementiers européens, les nouveaux “Goliath”
A l’aube de l’ouverture du plus gros rendez-vous européen de l’équipement automobile, précisément en Allemagne, le cabinet Mazars s’est intéressé à l’un des plus importants poncifs industriels de ces cinq dernières années, à savoir la compétition déséquilibrée entre Allemagne et France. L’étude porte sur les équipementiers automobiles, histoire de définir une fois pour toutes si les représentants hexagonaux doivent rougir de leurs performances face à ses voisins germaniques.
L’étude se base sur les résultats financiers des principaux équipementiers automobiles allemands et français, ainsi que les données d’organisations professionnelles telles que l’Inpi, l’EPA, la Fiev et le CCFA.
Alors que les ventes de véhicules ont subi des chutes abyssales ces dernières années dans la quasi-totalité de l’Europe, l’industrie automobile au plan global semble avoir passé l’orage sans trop de dommages, et se voit même renforcée dans certains cas. Bien entendu, on évoque là la globalité d’une situation, car il est clair que ces constats varient d’un pays à l’autre. Chez les constructeurs, par exemple, les Allemands tirent leur épingle du jeu, tandis qu’on connaît les difficultés des Français ou des Italiens. Côté équipementiers, nos poids lourds hexagonaux, Valeo, Faurecia, Michelin, Plastic Omnium, viennent tour à tour d’annoncer des performances de haut rang pour le début d’année 2014, preuve qu’ils ont su rebondir à l’international, après l’effondrement de leur marché nourricier. Ils ressortent même plus rentables du marasme, en raison des nombreuses restructurations qu’ils ont dû mener pour subsister depuis 2008. Valeo, de retour dans le CAC 40, s’est même payé le luxe de relever d’un demi-point son objectif de marge, après avoir annoncé une progression de 36 % en Chine et de 10 % en Europe sur les six premiers mois de l’année. Chez Faurecia, les bénéfices ont tout simplement doublé au cours du premier semestre, et toutes les branches du groupe affichent un insolent voyant vert. Michelin est parvenu, lui aussi, à dégager plus de bénéfices, malgré le recul du chiffre d’affaires et les effets négatifs du taux de change, rançon de toutes ces entreprises de la zone euro qui progressent à l’étranger.
Les Allemands trustent désormais le quart des ventes des 100 premiers équipementiers mondiaux, soit une progression de 10 % en dix ans.
L’ensemble de ces données tend à démontrer le dynamisme et la puissance de l’Europe dans l’industrie automobile, qui n’est pas sans susciter une forte compétition entre les acteurs des différents pays du Vieux Continent.
Le salut par l’innovation
La bonne santé des équipementiers français et allemands n’est pas seulement la résultante de plans de restructurations ou d’austérité. Dans une période troublée, ils ont su ménager des investissements suffisants dans la R&D, et développer produits et technologies innovants pour remporter des contrats auprès de leurs clients constructeurs. L’étude Mazars présente l’exemple de Valeo, présent pour la première fois au Consumer Electronics Show (CES) de 2014, et qui y a notamment dévoilé ses dernières innovations en matière de mobilité intelligente. En tout premier lieu le système d’aide au stationnement entièrement automatisé transformant le véhicule en voiturier automatique (largement médiatisé depuis), mais également un système d’aide à la conduite commandé par le regard ou des phares 100 % LED, pour une durée de vie prolongée et une consommation moindre d’énergie. Que dire ensuite de Mitsubishi Chemical, qui a créé des cellules photovoltaïques organiques, à vaporiser comme de la peinture en bombe ! Sur ce produit, des composés carbone remplacent le traditionnel silicium et deviennent de parfaits semi-conducteurs capables de transformer la lumière en électricité. Les premiers prototypes de cellules solaires en spray atteindraient un rendement de 10 % pour une épaisseur de 1 mm, soit une performance équivalente à celles des technologies couches minces. Intéressant pour la recharge des véhicules électriques.
Chez le géant Bosch, en plus d’un large fil rouge dédié à la connectivité pour toutes les activités du groupe, les ingénieurs ont peaufiné un système unique d’assistance au freinage d’urgence, réduisant jusqu’à 75 % les risques de collision par l’arrière. Dans le monde du caoutchouc maintenant, le remplacement des dérivés de pétrole par l’huile de tournesol dans la fabrication de certains pneus toutes saisons a permis à Michelin de limiter l’usure, tout en renforçant l’adhérence sur sol mouillé et enneigé à faible température. La quadrature du cercle, en quelque sorte. Enfin, en marge de ces spécialistes reconnus de l’automobile, il ne faut pas négliger les nouveaux acteurs de la mobilité, qui profitent du virage que prend l’automobile pour devenir à leur manière équipementiers automobiles, de produits ou de services, et pour qui l’innovation reste une clé de la survie. Citons par exemple Continental AG et Cisco, qui ont présenté conjointement un prototype capable de rester connecté sur la route quelles que soient les conditions, en sélectionnant automatiquement le bon réseau, répondant ainsi à l’explosion de la demande en matière de véhicule connecté, et aux interrogations liées à la fiabilité de ces systèmes. Apple a, pour sa part, déposé un brevet de tableau de bord unique, sur lequel tous les boutons et manettes manuelles de la voiture sont remplacés par un écran tactile, qui contrôlera toutes les commandes du véhicule. Pour terminer, plus besoin de présenter Google et sa voiture autonome, qui a parcouru plus de 480 000 kilomètres, avec un seul accrochage, lorsque l’ordinateur de bord était désactivé.
Les fournisseurs de l’automobile, nous l’avons vu, sont parvenus à passer la crise sans trop de casse, en France et outre-Rhin. Toutefois, les chiffres des deux industries restent très déséquilibrés, même si la France progresse lentement vers son cousin germain.
Deux mondes
On constate qu’entre 2009 et 2012, les équipementiers français ont vu leur CA global augmenter de 63 %, un chiffre qui dépasse de loin celui des Allemands. Toutefois, avec un chiffre d’affaires annuel des équipementiers avoisinant les 70 milliards d’euros, la France fait figure de Petit Poucet face aux Allemands, qui réalisent 2,5 fois plus, à 180 milliards d’euros.
En termes de ressources, nous ne souffrons pas la comparaison non plus. L’industrie équipementière allemande emploie également près de deux fois plus de collaborateurs, soit pas moins de 694 000 personnes, contre (seulement) 342 000 personnes dans l’Hexagone.
C’est en termes de rentabilité que la France automobile tire son épingle du jeu, en distançant ses homologues depuis 2009. En effet, si le résultat d’exploitation a connu une forte baisse au cours de la crise économique mondiale pour les deux pays, avant ce ralentissement, les équipementiers allemands devançaient les hexagonaux en termes de croissance de la marge EBIT. Et c’est en anticipant mieux les effets de la crise que les équipementiers français ont pris le pas sur leurs confrères allemands, progressant aujourd’hui plus rapidement et ce, depuis cinq ans.
Les vecteurs de performance
Selon l’étude de Mazars, si les équipementiers allemands et français ont compris l’importance de l’innovation pour rester compétitifs sur la scène internationale, c’est bien outre-Rhin que les ingénieurs restent les plus prolifiques. A titre d’exemple, en 2012, les quatre plus gros fournisseurs allemands ont déposé pas moins de 800 brevets, contre 270 pour leurs homologues français. Un commentaire signé d’un observateur français affirme qu’en revanche, ces brevets allemands profitent principalement à leur marché domestique. Normal, puisque les marques Premium sont les plus demandeuses de nouvelles technologies. Mais dans le même temps, ce constat profite indirectement à l’industrie hexagonale, qui tire ainsi mieux parti des marchés internationaux, américains et chinois notamment.
Toutefois, il existe un consensus entre les deux pays au plan des coopérations avec les constructeurs. Les grandes marques recherchent de plus en plus à tisser des liens forts avec leurs fournisseurs, équipementiers ou nouveaux acteurs de la mobilité. Joint-venture ou collaboration ponctuelle sur un développement, les constructeurs expriment un besoin croissant de l’expertise de spécialistes, sur des sujets complexes qu’ils maîtrisent moins. Ce, afin de gagner du temps, mais également de ne pas se laisser distancer et parfois même garder des exclusivités dans des domaines stratégiques, comme les batteries pour véhicules électriques par exemple, ou encore la connectivité.
Incontournables équipementiers
Les nouveaux enjeux de la mobilité et la concurrence exacerbée que se livrent les constructeurs au plan mondial rendent ainsi leur dépendance aux équipementiers de plus en plus importante. Ils jouent un rôle de plus en plus déterminant et la part qu’ils représentent dans les véhicules ne cesse de s’accroître. En dix ans, leur part de création de valeur dans une automobile a augmenté de 13 %, pour s’établir à 78 %. Si la tendance se poursuit, le constructeur ne conservera bientôt plus sous sa coupe que le design, l’image de sa marque et la décision des orientations prises…
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FOCUS - Bénéfices semestriels des équipementiers
• Michelin + 23 %
624 millions d’euros
• Valeo + 38 %
262 millions d’euros
• Plastic Omnium + 12 %
108 millions d’euros
• Faurecia + 150 %
88 millions d’euros