...clairvoyance. Dans le cadre de l'Institut Diderot et des Carnets des Dialogues du Matin, il vient de publier une note sur l'avenir de l'automobile. Nous l'avons lue pour vous.Dans son bref essai, avant d'évoquer l'avenir de l'automobile à proprement parler,
Louis Schweitzer fixe en premier lieu quelques données de cadrage. Tout d'abord, il qualifie l'automobile "d'instrument utile" en précisant qu'elle "rend un service tout à fait irremplaçable". A ses yeux, la voiture reste aussi un marqueur privilégié d'identification dans la hiérarchie sociale et par extension, un objet culturel. Par ailleurs, il définit l'automobile comme un espace de protection : "Cette auto investie d'une fonction quasi domiciliaire devient un cocon mobile de plus en plus enveloppant et protégé", ce qui lui confère une précieuse idiosyncrasie par rapport aux transports en commun. Enfin, il place l'auto comme "un objet qui est un support de technologies". Pour conclure ce propos liminaire, il souligne deux idées d'importance. Primo, "l'automobile est très étroitement associée à ce qu'est une société libérale et démocratique aujourd'hui. C'est un objet de liberté, de propriété et d'individualisme". Secundo, l'auto relève toujours à la fois du rationnel et de l'irrationnel.
L'automobile corrélée aux niveaux de développement et de richesse des pays
Brossant ensuite rapidement l'histoire de l'automobile, de sa genèse à son évolution vers un produit de masse (1908), sans oublier l'action d'
Alfred P. Sloan, qui inventa à partir de 1921 le marketing automobile et l'obsolescence programmée des produits, ni l'important effet de concentration industrielle, Louis Schweitzer parvient alors à l'évocation de la géographie automobile : "L'automobile exprime l'écosystème du pays où on la vend. (...) Et la caractéristique essentielle, l'importance de l'automobile dans un pays est très étroitement corrélée à son niveau de richesse". Autre corrélation significative : celle qui intervient au niveau de développement des pays et des marchés, la Chine en étant une récente autant que parfaite illustration.
"A-t-on envie d'un monde où l'on vend 300 millions d'automobiles par an et où circulent quatre milliards et demi d'automobiles ? On hésite"
Faisant de l'exemple chinois une transition vers l'avenir et ses perspectives de croissance, il assène sa conviction que "la demande automobile va continuer à croître, dans le monde, de façon vigoureuse. L'appétit automobile n'a pas du tout disparu dans les pays riches". S'il reconnaît le développement d'une clientèle récusant la partie statutaire de l'auto pour privilégier sa dimension utilitaire, il refuse de le lier à la crise. Ne se prêtant malheureusement pas au jeu des prévisions chiffrées, il avance néanmoins : "il y a un espace de croissance massif dans les pays en voie de développement et, jusqu'à présent, nous avons observé que lorsque l'accès à l'achat est financièrement possible, la demande croît vigoureusement". Arrivent alors la question de fond et les problématiques d'avenir de cette industrie : "A-t-on envie d'un monde où l'on vend 300 millions d'automobiles par an et où circulent quatre milliards et demi d'automobiles ? On hésite parce que l'automobile pose des problèmes de sécurité, d'espace, de pollution, des problèmes de gaz à effet de serre et de consommation d'énergie".
"La pollution automobile est un problème techniquement résolu"
Pour la sécurité, qui pose tout de même l'enjeu d'un million de morts chaque année sur les routes mondiales, Louis Schweitzer estime que "le progrès technique et des règles sociales rigoureuses peuvent garantir de réels progrès pour régler ce problème". Concernant l'espace et notamment la limitation de l'usage de l'automobile en milieu urbain, il avance des réponses réglementaire, fiscale et urbanistique. Sur ce dernier point, il évoque ainsi un urbanisme qui ne rend pas l'automobile obligatoire. Au chapitre de la pollution atmosphérique, les thèses soutenues par Louis Schweitzer sont plus originales et ne feront vraisemblablement pas l'unanimité. Ainsi, s'il retient un effet retard, lié au vieillissement du parc et induisant une variabilité par rapport aux normes en vigueur, il affirme que "la pollution automobile est un problème techniquement résolu". Et d'ajouter que le problème de la pollution urbaine est à terme résolu dans les pays développés, ce qui est loin d'être le cas dans les pays en développement, mais là encore, ce ne serait qu'une affaire de temps et d'argent.
Inciter les pouvoirs publics à adopter une politique de R&D
"En revanche, il y a un problème non résolu, celui de l'énergie et des gaz à effet de serre", reconnaît Louis Schweitzer, estimant que nier le problème du réchauffement climatique, position qui fut longtemps l'apanage du lobby automobile américain, est "une attitude stupide et irresponsable". En outre, si l'automobile émet moins de gaz à effet de serre que l'immobilier ou la consommation de viande, cela ne saurait l'exonérer de traiter ce problème. Cependant, il est convaincu qu'il n'y a pas "de miracle technologique à attendre". Le véhicule électrique constitue un progrès, mais ne peut être assimilé à une réponse absolue. Idem pour la pile à combustible qui lui inspire aussi ce commentaire peu amène : "J'entends dire depuis quinze ans qu'elle sera là dans quinze ans". En outre, "les hydro-carburants dits de troisième génération offrent certes des perspectives, mais dans vingt ans ou plus et pour des quantités limitées". En somme, il y a une série de progrès continus et ils doivent être poursuivis. "Il faut inciter les pouvoirs publics à adopter une politique de recherche et développement", ajoute-t-il, sous-entendant que l'Etat français et la Commission européenne ne l'ont pas fait, tout en se gardant de préciser l'échelle de déploiement de cette politique et ses axes et modalités d'application.
"Sans une mauvaise gestion, la malchance ne tue pas"
En guise de conclusion, Louis Schweitzer met en exergue quatre points et glisse trois remarques. Au premier chef, il rappelle que l'automobile est "une industrie où l'effet d'échelle est essentiel". Et pour cette raison, "il existe des barrières d'entrée importantes" et n'importe qui ne peut pas devenir constructeur automobile. "Ainsi, dans l'automobile, il y a eu beaucoup de morts et très peu de naissances". Du coup, "les naissances de firmes automobiles ne se font qu'à l'abri de protections. Je n'ai jamais vu une firme automobile naître dans le cadre d'un marché vraiment ouvert à la concurrence". Et d'envisager des faire-part essentiellement en Inde et en Chine. Pour autant, il n'adhère pas à l'argument de saint Marchionne prédisant qu'il ne restera à l'avenir que quatre ou cinq grands groupes automobiles : "Je ne crois pas qu'il y ait une fatalité à la mort. (...) Je suis convaincu qu'un constructeur de millions de véhicules par an n'est pas condamné du fait de sa taille. (...) Ce n'est donc pas une fatalité liée à la taille, ce sont des accidents liés à une mauvaise gestion. La malchance peut contribuer à la mauvaise gestion mais sans une mauvaise gestion, la malchance ne tue pas". Au final, rappelant que l'automobile restera un objet de passion, Louis Schweitzer voit le passage du passé à l'avenir sans rupture. Pas plus de rupture technologique absolue que de rupture sociale absolue. Et selon lui, "la société et les pouvoirs publics sont étroitement associés à l'avenir de l'automobile et en définiront très largement la forme".
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Notes de lecture
Si l'essai de Louis Schweitzer a le grand mérite, dans un format pourtant très concis, de brosser un panorama complet de l'industrie automobile et des principaux défis qui se proposent à elle, on reste néanmoins parfois sur sa faim sur quelques points. On aurait, par exemple, aimé un développement plus fourni sur la problématique de la surproduction des constructeurs, sur la future géométrie de la concurrence avec l'émergence de nouveaux marchés et de nouveaux acteurs, ou encore sur l'estimation du potentiel des nouvelles énergies évoquées. En outre, la réflexion sur le développement durable et ses différentes éventuelles implications reste à l'état d'embryon. On sait que Louis Schweitzer considère le développement durable comme la condition de survie de l'économie de marché. Cela aurait mérité quelques approfondissements, surtout à l'heure où plusieurs voix s'élèvent pour dénoncer le fait que l'enjeu environnemental se place sous l'influence de Malthus et d'une orientation vers la décroissance. |
Photo : L'intégralité de la note de Louis Schweitzer est disponible sur le site www.institutdiderot.fr. Pour une approche plus détaillée des thèses de l'ancien président de Renault, nous renvoyons au livre "Mes années Renault, Entre Billancourt et le marché mondial", -Gallimard, Collection Le débat, 2007-, notamment le chapitre "L'avenir de l'automobile", p. 241-273.