Combien de temps faudra-t-il pour une électrification totale du parc roulant ?
En imposant la fin de la commercialisation de VN thermiques en 2035, le Parlement européen a tranché et accéléré l’électrification du parc automobile.
"Le véhicule électrique a très clairement gagné la guerre dans l'Union européenne. Mais nous assistons à une très forte inertie du parc. En 2033, il pourrait rester encore 69 % de véhicules thermiques", affirme Romain Gillet, directeur associé de l'agence S&P Global.
Celui-ci participait au dernier Club de la Distribution Automobile (CDA) de la Feda, le 4 décembre 2023. Ce rendez-vous était consacré au bilan de l’électrification du parc roulant. Et ses intervenants ont expliqué que les prévisions hautes publiées en 2020 par la Fédération ont été revues à la hausse.
25 à 41 % de VE en 2035 ?
Le point de départ de ce bilan était le livre blanc de la Feda Véhicule électrique et électrifié : quels impacts pour les professionnels de la vente de pièce de rechange, de la réparation et de l'entretien auto à l'horizon 2035 ? Celui-ci décrivait alors trois scénarios possibles.
L'hypothèse la plus haute imaginait 30 % de VE sur les routes françaises en 2035. Le postulat médian en voyait rouler 20 % des VP lorsque le plus bas descendait à 10 %. Aujourd'hui, les mêmes experts réévaluent leurs prévisions. D'après eux, les VE pourraient désormais représenter respectivement 25 % à 41 % des véhicules sur route. Alors que le scénario moyen en prévoit 30 % dans douze ans.
Cet écart impressionnant s'explique par les progrès techniques et l'évolution des mentalités. Car en trois ans, la problématique de l'électrification auto a été bouleversée. En effet, les technologies et infrastructures progressent.
"À l'époque, on parlait de réduire les émissions de CO2 de 37,5 %. Aujourd'hui, on parle de les réduire de 55 %. Il y a trois ans, on évoquait 29 000 bornes de recharge alors qu'aujourd'hui on parle d’en déployer 100 000. À l'époque l'autonomie moyenne des véhicules atteignait 300 km contre 600 km aujourd'hui", résume Emmanuel Taillardat, l’un des rédacteurs du livre blanc.
Le VE, condamné à progresser
Mais d’un autre côté, l'électrification se heurte aussi à des résistances. Car, l’opinion sur ces technologies a également évolué. "En 2019, 75 % des Français pensaient que le véhicule électrique est la solution aux problèmes environnementaux. En 2023, ils ne sont plus que 41 % à conserver cette opinion et 62 % d’entre eux pensent que les conditions économiques autour du véhicule électrique sont insuffisantes. Les gens n'y croient plus, expose Alain Landec, président de la Feda. Aux États-Unis par exemple, les véhicules électriques restent maintenant sur le parc, car leur autonomie est insuffisante pour parcourir les longues distances". Une tendance qui a évidemment été accentuée par le coup de frein politique effectué lors du mandat présidentiel de Donald Trump, sur le plan environnemental.
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Pour rendre cette motorisation acceptable, équipementiers et constructeurs sont donc condamnés à réaliser encore des progrès techniques. Les regards se tournent donc vers les fabricants de batteries. Car les progrès de l'électrification du parc dépendront donc de l'évolution des batteries et de leurs coûts.
Pour eux, "l'objectif est d'obtenir une batterie avec une marge plus élevée c'est-à-dire avec une énergie plus concentrée pour obtenir davantage d'autonomie. Ou alors d'obtenir une batterie meilleur marché plus abordable", expose Alessandro Chiovato, responsable du développement des affaires Solvay.
Usage quotidien et haut de gamme
"Aujourd'hui le prix constructeur d’un pack de batterie de 60 kWh s’élève à 10 000 euros. Cela, alors que les constructeurs aimeraient plutôt l’acheter de 4 000 à 5 000 euros. Cela serait possible si les cours des métaux baissaient, explique Yann Laot, responsable marketing et après-vente ACC. Les véhicules électriques seraient alors abordables". Mais ce marché reste handicapé par la production insuffisante de minerais, aggravée par la spéculation sur leur court.
Mais dans tous les cas, "on n'atteindra jamais la parité des coûts entre le véhicule thermique et électrique", prévient Michel Forissier, ancien directeur ingénierie et marketing Valeo.
Les constructeurs doivent trouver des compromis à partir des usages. Car, "en moyenne on parcourt 18 km en ville et 32 km à la campagne, alors que la vitesse moyenne est de 62 km heure, rappelle Michel Forissier. Une variété de l'offre est donc nécessaire pour répondre à la variété d'usages on ne peut pas y répondre uniquement avec des SUV de 150 kWh".
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Les constructeurs s’orientent donc vers deux grands types de véhicule. Les modèles haut de gamme embarqueront des batteries coûteuses fournissant le plus d’autonomie. Tandis que les voitures les moins coûteuses répondraient aux usages quotidiens.
Les spécialistes des batteries promettent encore des améliorations. La future technologie des batterie solide, basée sur des polymères et composés inorganiques, est déjà testée en laboratoire. Mais, "dans un premier temps elles seront réservées à des secteurs près à acheter 1 000 euros le kWh. Les domaines militaire et satellitaire pourraient y accéder en premier. Mais il est difficile de prédire quand il sera compétitif pour le parc auto". Une échéance qui sera vraisemblablement retardée par les progrès des technologies de batteries existantes.
Zéro émission en 2050 ou 2060
Mais quelles que soient les solutions technologiques et leurs prix, la généralisation des VE reste imposée par l’Union européenne. Après, la réduction des contraintes économiques et techniques (autonomie, temps de recharge, etc.) arbitre l’acceptabilité auprès des automobilistes… Et donc la rapidité d’électrification du parc automobile. Ces contraintes devraient donc voir le parc continuer à vieillir.
À la fin, "nous pourrions atteindre un parc zéro émission en 2050. Avec des véhicules de moins de 15 ans dans le parc c'est possible", affirme Romain Gillet. Une hypothèse optimiste pour les partisans de l'électrification. Mais, l’économiste Bernard Jullien reste plus nuancé. "Le parc français ne sera pas propre en 2050 mais plutôt en 2055 ou 2060", pense-t-il.
Cela placerait l'Hexagone parmi les meilleurs élèves de l'Union européenne, alors que "des pays comme la Pologne, la Bulgarie ou même l'Italie verront plutôt leurs parcs devenir propres à l'horizon 2070".
Cohabitation des deux motorisations en atelier
En France, "en 2035, le parc pourrait être de 21 à 24 millions de véhicules essence 18 à 20 millions de diesels, ainsi que 4 à 6,5 millions d'électriques. Dans le même temps je pense que le parc va légèrement croître et vieillir à douze ou treize ans", estime Franck Fontanesi. Le directeur des études économiques et statistiques de la Fiev précise que passé un certain temps, l'entretien et la réparation de véhicules thermiques deviendra trop contraignante.
Cela poussera progressivement les automobilistes vers les VE. Cette période de transition verra donc des spécialistes des deux motorisations cohabiter dans les ateliers. Concessionnaires et secteur indépendant de l'après-vente doivent s'y préparer. Les indépendants disposent d'un peu plus de temps, du fait du décalage de quatre à sept ans avant de voir les véhicules entrer dans leurs ateliers, à l'issue de leur garantie.
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Néanmoins, même si cette décision est désormais gravée dans le marbre, la longueur de son échéance ne le place pas entièrement à l’abris de certains aléas. Par exemple, "au regard de certains résultats électoraux aux États-Unis et en Europe, ainsi que des incertitudes internationales, on ne peut pas encore exclure entièrement un retour en arrière", prévient Alain Landec.
Même sans atteindre ces extrêmes, l'électrification du parc à marche forcée sera confrontée aux réalités des besoins et des moyens des Européens, à l'exemple de la mise en place des ZFE françaises… Mais dans tous les cas, les professionnels doivent continuer à préparer la prise en charge massive des VE en après-vente.
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