Un marché des enchères sous influence
Dans le recoin d’un salon de l’Automobile Club de France, à l’écart des débats et des discussions qui ont animé la deuxième édition des Etats-Majors du VO, Jean-Roch Piat, directeur général de BCAuto Enchères, se prête gentiment au “jeu” des questions/réponses face caméra. A la fin de l’entretien, il “lâche” alors ces deux phrases pleines de sous-entendus : “Il est très probable que les leaders de demain ne soient pas tous les leaders d’aujourd’hui. D’ailleurs, les acteurs qui vont faire la croissance ne sont même pas encore tous présents sur ce marché aujourd’hui”. Voilà qui interpelle un peu. Qui sont donc ces mystérieux acteurs ? Pourquoi décideraient-ils d’investir sur ce marché ? En France, les transactions de VO aux enchères représentent environ 180 000 unités, soit une part de marché de 3 %, un volume qui progresse mais qui reste à des années lumières des 10 millions de VO vendus aux enchères aux USA, et des performances réalisées au Japon (4,5 millions) et en Grande Bretagne (1,5 million). Le secteur des enchères hexagonal n’affiche pas, évidemment, un tel potentiel, mais il peut clairement jouer un rôle nettement plus prépondérant sur un marché de l’occasion qui devrait se stabiliser autour de 5,3 millions d’unités en 2013. “Il est possible que d’autres investisseurs, provenant de secteurs divers, soient tentés par ce secteur, pour sa rentabilité passée, son potentiel de croissance ou les synergies avec leur activité, par exemple. Notre expérience des dernières années nous a montré que la croissance exigée pour obtenir une place de leader, la seule qui fasse sens pour une place de marché généraliste, implique une prise de risque et des décisions difficiles. En particulier, réussir la transition vers Internet est un challenge complexe et coûteux qui me semble indispensable pour grandir sur ce marché”, éclaire un peu plus Jean-Roch Piat, qui estime que le marché des enchères VO français devrait se multiplier par quatre ou cinq dans les prochaines années. De 2003 à 2012, le montant d’adjudication des ventes aux enchères de véhicules d’occasion en France a progressé de 44 %, pour atteindre plus d’un milliard d’euros. Une croissance qui s’est fortement accélérée à partir de 2009 sous l’impulsion des ventes électroniques et la concentration des principaux acteurs.
Alcopa Auction ferme deux salles de vente
L’incursion du groupe belge Alcopa, en 2011, n’a pas non plus été étrangère à cette montée en puissance. Cette arrivée a marqué un tournant pour le secteur, à la fois par sa rapidité, le choix de la stratégie adoptée et plus encore le profil du groupe. Après une phase de croissance très soutenue en 2012, l’opérateur a d’ailleurs choisi de marquer une pause cette année. “2013 est une année de transition, dictée à la fois par le contexte du marché, qui est plus tendu, notamment au plan des approvisionnements, mais également par la nécessaire unification des structures”, explique Jean-François Maréchal, directeur général d’Alcopa Auction. On pourrait même parler de rationalisation puisque le groupe a décidé de fermer ses salles de Nuits-Saint-Georges (21) et plus récemment de Meaux (77). “La première salle était une petite structure, créée il y a cinq ans, qui n’avait jamais trouvé sa place sur le marché. Quant à Meaux, nous avons décidé de la fermer pour des questions d’organisation, puisque nous avions deux salles en région parisienne, et que celle de Ste Geneviève jouit d’une présence considérable”, justifie Jean-François Maréchal. Pour autant, le groupe ne ferme pas la porte à d’autres acquisitions. “Nous n’excluons rien. Il y a des territoires où nous ne sommes pas présents, et une capillarité un peu plus forte ne serait pas inintéressante”, affirme le dirigeant.
Dans un autre style, plus discret, le groupe Bernard a été le premier à mettre un pied dans le secteur des enchères, en investissant en 2005 dans la société Anaf Auto Auction. Une association qui fit grand bruit à l’époque mais qui rassura très vite la profession, en respectant scrupuleusement le règlement qui stipule “qu’une société de ventes aux enchères ne peut vendre des objets lui appartenant”. Le groupe de distribution y a toutefois trouvé son compte, autrement, puisqu’il est devenu actionnaire à 100 % de la SVV en février 2011. “Du fait de la loi, un tel rapprochement n’apporte pas de business supplémentaire pour le groupe. En revanche, nous trouvons des synergies techniques au niveau des campagnes de communication et du référencement. Nous avons aussi modernisé les méthodes commerciales, via le développement du média Internet”, indique Christophe Cheveu d’Or, directeur général d’Anaf Auto Auction.
Incursion avortée pour le groupe PGA
Ces deux exemples, isolés et espacés dans le temps, ne témoignent pas encore d’un envahissement massif de nouveaux investisseurs. Mais ces deux modèles pourraient cependant faire des émules. En juillet dernier, nous relations dans nos colonnes que la société VPAuto menait des discussions avec un groupe de distribution. “Nous avions un projet très abouti avec un groupe de distribution très important qui n’a pas pu se concrétiser, en partie à cause de notre statut spécifique de SVV qui a bloqué les discussions”, révèle Laurent Guignard, dirigeant du groupe. Cet acteur “très important” n’était autre que le groupe PGA. Une telle union entre deux acteurs leaders sur leur marché respectif aurait fait très mal, et permis au groupe breton de renforcer son leadership. Quelles pouvaient donc être les motivations de PGA à investir sur ce marché ? “L’intérêt majeur pour cet opérateur était de pouvoir revendre aux enchères ses véhicules”, répond tout simplement Laurent Guignard. Ce que le cadre réglementaire en vigueur, comme nous l’expliquions précédemment, ne permet pas. Contacté, le premier groupe de distribution a esquivé le sujet, répondant que chacun devait rester dans son cœur métier, mais qu’il serait de plus en plus amené à travailler avec les acteurs des ventes aux enchères. “S’il s’agissait uniquement d’ouvrir notre capital et de conclure une affaire financière, sans possibilité d’assurer le développement l’entreprise sur un plan opérationnel, cela n’avait aucun intérêt. “Le “drame” de ce secteur est que les règles ne sont pas ou plus adaptées aux problématiques des enchères automobiles. Nous ne pouvons pas faire autrement car la loi est unique. Je comprends trop bien la position du Conseil des Ventes, j’ai moi-même participé à l’élaboration de cette loi au début des années 2000, car je pensais qu’elle nous protégerait… Or le secteur a beaucoup muté et aujourd’hui, elle représente un frein. Pourquoi l’activité des enchères n’est-elle pas plus représentative en France ? Aujourd’hui, nous n’avons pas les moyens de nos ambitions”, soulève Laurent Guignard. Au-delà du cadre réglementaire, les opérateurs, qui revendiquent de plus en plus le rôle de “place de marché”, se doivent de respecter une “neutralité absolue, permettant de garder la confiance de chaque client. A ma connaissance, les grands acteurs des enchères dans le monde ont tous un actionnariat qui garantit cette image de neutralité”, précise Jean-Roch Piat.
Alcopa veut séduire de nouveaux réseaux de distribution
Etonnamment, cette réglementation spécifique n’a pas bloqué les intentions du groupe Alcopa. A croire que les deux opérateurs ne s’inscrivaient pas dans la même approche. “Nous connaissions la règle, l’opportunité de revendre ses propres voitures aux enchères n’a jamais été au cœur de notre stratégie. Nous pensons qu’il y a déjà beaucoup de choses à accomplir sur ce marché en termes de modernisation, de professionnalisation mais également sur le plan de la perception. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons conclu un accord avec Icare, qui permet de créer de la valeur et de rassurer les acheteurs. Notre ambition est de travailler de plus en plus avec d’autres réseaux de distribution”, révèle Jean-François Maréchal, qui, lui aussi, ne serait pas surpris de voir arriver de grands groupes de distribution ou des investisseurs prendre position sur ce marché dans les prochaines années. “Si des groupes aussi puissants, pan-européens, que PGA s’intéressent aux enchères, c’est qu’il existe une légitimité pour ce canal de distribution”, affirme-t-il. “Il est naturel que les groupes de distribution s’intéressent aux sociétés d’enchères, car notre secteur se distingue par sa capacité à attirer une demande complémentaire à un instant donné, alors qu’il est de plus en plus difficile de créer du trafic dans les showrooms. Par ailleurs, les groupes peuvent être tentés de faire jouer les synergies entre leurs concessions, qui disposent de matériel non stratégique (les VO à marchands) et des opérateurs d’enchères, historiquement rentables, mais qui manquent aujourd’hui de véhicules”, détaille Jean-Roch Piat. Le groupe Alcopa a montré qu’il était encore possible d’acquérir une position dominante en un temps extrêmement court. “Les cartes sont quand même bien distribuées, l’arrivée d’un groupe ou de tout autre acteur extérieur me semblerait assez tardive”, juge Christophe Cheveu d’Or. Et de prévenir : “De plus, un opérateur qui arrive sur ce marché ne peut pas faire table rase du passé. Une SVV n’est pas une concession, ce n’est pas simple d’appréhender ce secteur et cela prend du temps”.
Toulouse Enchères et Mercier Automobile toujours en pourparlers
Pleinement convaincu de la légitimité du canal des enchères automobiles, Guillaume Arnauné, dirigeant de Toulouse et Aquitaine Enchères, l’est nettement moins par rapport à l’arrivée de nouveaux acteurs. “Je ne perçois pas un mouvement industriel en marche, mais davantage une volonté de certains commissaires-priseurs, à l’approche de la retraite, d’assurer la pérennité de leur activité et de sortir par le haut en se rapprochant d’opérateurs importants. De plus, il ne s’agit pas d’un métier très capitalistique qui demande une forte immobilisation de fonds. J’ai plus tendance à penser que nous nous rapprochons du modèle anglo-saxon”, réagit le dirigeant toulousain, qui admet avoir été approché par des investisseurs, “mais pas de manière sérieuse”. L’opérateur, qui a ouvert en juillet son troisième site de vente à Marseille, qui fait suite à la reprise de la SVV Aix Enchères en 2012, poursuit les discussions avec Mercier Automobile (56 M€ de montant adjugé en 2012), qui pourrait conduire à un rapprochement d’importance et un resserrement des positions dans le haut du classement.
Le défi de l’Europe
Plusieurs philosophies cohabitent désormais sur ce marché, entre les commissaires-priseurs de la première heure, issus du sérail et spécialistes du secteur, comme Guillaume Arnauné ou Dominique Soinne de Mercier Automobile, et les entrepreneurs et dirigeants issus de la distribution automobile, comme Jean-Roch Piat et Jean-François Maréchal. Laurent Guignard, lui, semble naviguer entre les deux. “Ce marché se développe, mais trop lentement, car les acteurs en place restent en général attachés aux modèles qui ont fait leur rentabilité depuis plusieurs décennies. BCAuto Enchères a réalisé à elle seule 61 % de la croissance du marché depuis 2006, ce qui s’est fait au prix d’une véritable révolution”, revendique Jean-Roch Piat. La révolution du secteur prend forme depuis quelques années sur le Net, au point que la société anglo-saxonne a choisi d’abandonner les ventes physiques à professionnels sur ses sites de Bonneuil-sur-Marne et Bron pour se concentrer sur les ventes électroniques. Un positionnement que Toulouse enchères, qui bénéficie d’une forte notoriété auprès des particuliers, n’est pas prêt d’adopter. “Nous avons été l’un des premiers à nous positionner sur le Net dans une dynamique vertueuse, à la fois au service des salles de ventes physiques et du développement des enchères électroniques. Ces deux canaux sont très complémentaires, l’un ne venant pas se substituer à l’autre, et nous ne nous marchons pas du tout sur les pieds, souligne-t-il. Les ventes électroniques ont enregistré des croissances à deux chiffres car il s’agissait d’un business récent mais nous ne sommes plus très loin de la maturité sur ce canal. 2014 pourrait être une année charnière avec un début de stabilisation des activités des ventes électroniques”. A moins que ce canal soit exploité dans une perspective non plus nationale mais européenne, comme le suggère Laurent Guignard : “Nous commercialisons 40 % de nos ventes électroniques à l’export mais nous pouvons faire encore davantage. Le marché de demain sera européen, nous ne pouvons pas faire fi de ce défi, d’autant plus que le marché hexagonal stagne”. Les professionnels du secteur rencontrent, comme beaucoup d’autres acteurs du marché de l’occasion, une pénurie de matériels depuis plusieurs mois. C’est actuellement la principale problématique qui freine leur développement, et le grand défi à relever. Tout en restant dans le cadre de la loi, les SVV ont aujourd’hui les arguments pour aller chercher de nouveaux apporteurs d’affaires. La course au leadership, qui est déjà bien enclenchée, se joue à ce prix.
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