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Distribution

“Ne m’empêchez pas de développer mon entreprise”

Publié le 22 novembre 2013

Par Gredy Raffin
9 min de lecture
Un cri du cœur lancé par Alain Daher, le lauréat du titre “Initiative Groupe de l’Année 2013”, aux autorités compétentes. Outre le niveau de charge des sociétés, il revient sur sa vision de distributeur mono-constructeur à laquelle il est attaché.
Alain Daher, président du groupe Bodemer, Groupe de l’Année.

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Dans un schéma de distribution automobile de plus en plus empreint de multimarquisme, comment parvient-on à une telle réussite en demeurant mono-constructeur ?
ALAIN DAHER.
Je ne me considère pas comme multimarque, même si je travaille Dacia en plus de Renault et possède deux affaires Nissan. Dans ma conception des choses, pour parvenir à réaliser des synergies entre les différentes affaires, il ne faut parler qu’une seule langue, notamment informatique et produit, et n’avoir qu’une seule méthodologie, en dehors du VO, s’entend. A mes débuts, j’opérais pour plusieurs marques et c’était très compliqué. Je ne dis pas que les concessionnaires multimarques sont dans l’erreur, mais il s’agit d’une autre stratégie.

JA. S’il vous fallait déroger à cette règle et investir dans un autre panneau, lequel obtiendrait vos faveurs ?
AD.
En complément de mon offre, je miserais sur un Premium, mais je n’en suis même pas sûr compte tenu des investissements réclamés pour les représenter. Toutefois, j’espère bien que le constructeur en lequel j’ai placé ma confiance réglera mon problème de Premium naturellement.

JA. Qu’est-ce qui, selon vous, caractérise les régions bretonne et normande que vous couvrez ?
AD.
Ce sont tout d’abord des régions que j’adore, à fortes personnalités. Je n’en suis pas originaire, mais j’y ai élu domicile. Les Bretons et les Normands sont des personnes réfléchies, fiables et fidèles, des qualités que j’apprécie et qui sont intéressantes pour un commerçant.

JA. Où en êtes-vous du processus d’intégration de la plaque Schuller, acquise l’an dernier ?
AD.
Lorsque nous avons cédé la branche transport pour nous concentrer sur l’automobile, nous avions défini une taille critique que nous considérons aujourd’hui comme atteinte. Une taille qui nous donne suffisamment de moyens pour nous doter d’outils et de cadres de qualité. La croissance externe est terminée, le processus d’intégration des équipes se passe très bien, et nous abordons une phase de développement naturel. Peut-être en ajoutant d’autres métiers liés au service, comme la location…

JA. Que vous reste-t-il à faire ?
AD.
Nous avons procédé à la reconfiguration de notre groupe, notamment en opérant des fusions de nos 23 concessions et 9 sites secondaires pour les diviser en 6 filiales Renault et une Nissan, composées de 3 à 4 sites. Nos méthodologies sont en place, les hommes sont en passe de l’être, quant aux process découverts dans les affaires reprises, leur pertinence est à l’étude afin de savoir quel pan il peut être intéressant d’assimiler. Tout cela se déroule dans un contexte de crise et il nous a fallu mettre en place cette organisation sans avoir recours à un plan social. Nous ne voulions pas perdre le savoir-faire de l’entreprise. Une étape qui s’est globalement bien déroulée.

JA. En ces temps de crise, quelle mesure préventive appliquez-vous ?
AD.
Comme je viens de le dire, j’ai procédé à des changements destinés à réduire drastiquement les charges en touchant à tous les volets possibles, sauf la variable humaine. Nous avons revisité l’ensemble des comptes d’exploitation. Il n’y a rien d’original là-dedans.

JA. De quelle manière et dans quel état pensez-vous que la distribution automobile sortira de cette situation ?
AD.
Ceux qui sortiront de cette tourmente en ressortiront grandis. Ils seront devenus de super gestionnaires car la situation est très difficile à maîtriser. Il y a vingt ans, si nous avions géré nos affaires comme nous le faisons à ce jour, nous aurions fait fortune rapidement. Je vous garantis qu’une crise est toujours formatrice.

JA. Comment pourrait évoluer la distribution automobile ?
AD.
Je remarque que lorsque nous avons pris la décision, en 1999, de nous lancer dans une stratégie de croissance externe, si nous avions écouté les analystes du moment, nous n’aurions pas misé sur le schéma de distribution traditionnel dont ils prédisaient la fin. Alors, aujourd’hui, je ne sais vraiment pas quel visage aura la distribution automobile à l’avenir. En tant que chef d’entreprise, je reste en veille permanente car ce métier, qui est demeuré stable durant des années, connaît une phase de mutation très rapide, avec Internet notamment. A quoi cela ressemblera-t-il au final ? Bienheureux qui pourra le dire.

JA. Est-ce la raison de votre investissement sur Internet ?
AD.
C’est évident, Internet touche tous les secteurs, sans exception. Nous avons investi dans un projet qui a été lancé le 12 septembre dernier. Nous nous sommes cherchés et continuons d’apprendre. Il ne s’agit pas de dire que cela va se substituer à nos affaires, mais cela va être un apporteur d’affaires évident.

JA. Un pari risqué à certains égards, y croyez-vous toujours à la lecture des résultats ?
AD.
Même si je revendique une transparence dans mes actions, je vais garder confidentiels les premiers résultats. Internet est une vraie filiale et il n’est pas question d’en freiner l’élan, mais bien de continuer à investir. Nous votons actuellement le budget 2014 et il sera ambitieux.

JA. Comment est-il perçu ?
AD.
Les clients perçoivent cette innovation du groupe comme un service rapide et efficace, disponible tous les jours et sur de larges plages horaires. Vis-à-vis du constructeur, il n’y a aucun problème puisque Bodemerauto.com est pensé telle une concession Renault-Nissan, donc mono-constructeur. C’est en cela que je pense avoir une grosse facilité par rapport à d’autres.

JA. Comment pensez-vous que les distributeurs peuvent participer à l’effort “VE” ?
AD.
Le groupe Bodemer a toujours été un peu en avance sur le véhicule électrique et continue de l’être en quelque sorte. Nous avons été les premiers à livrer des voitures, des Renault Zoé, au groupe Leclerc dans le Finistère et au Crédit Agricole des Côtes d’Armor. Je suis moi-même assez passionné par le produit, même si je reconnais que le développement traîne du fait d’une implantation de bornes pas assez rapide. Tous les lancements nécessitent d’avoir une part de visibilité suffisante pour exister. Dans le cas de l’électrique, ce constat est encore plus fort. Il faudra plus de temps, et donc de patience.
JA. A l’instar des divisions ventes à professionnel, une cellule électrique tombe-t-elle sous le sens ?
AD. Non, pas pour le moment. Il faut certes avoir un coin dédié à l’électrique dans les halls d’exposition, mais on ne peut entamer une démarche de spécialisation du personnel. Je vois dans mes concessions que la conviction est variable entre les collaborateurs et je crois aussi que le moteur thermique a encore de belles années devant lui.

JA. Comment les rapports évoluent-ils avec les banques ?
AD.
Je vais vous faire deux réponses. La première concerne nos partenaires financiers. Nous n’avons pas de souci particulier si tant est que nous ne nous livrons pas à une stratégie irraisonnée. La seconde sera plus générale. Les banques sont plus attentives. Elles veulent accompagner le développement des entreprises, mais elles regardent davantage les dossiers. L’automobile n’est pas un secteur très glamour en ce moment, question de cycle. Nous les faisons moins rêver, mais je reste persuadé que la situation va changer.

JA. En votre qualité de président de la CCI Bretagne, quel message adresseriez-vous à Bercy ?
AD.
Le niveau d’imposition n’est pas au cœur du débat, tel est le message que j’adresserais à Bercy. Ce qui est au cœur du débat, c’est le niveau de taxes et de charges sur les entreprises. Je comprendrais qu’on augmente le niveau d’imposition sur les bénéfices, qu’on passe d’un tiers à 40 ou 50 %. Je tempêterais, mais je comprendrais. En revanche, je trouve aberrant de continuer à augmenter les charges des entreprises car cela empêche d’embaucher, d’investir et de se développer. Mon message serait donc : “Venez me prendre une partie de l’argent que j’ai gagné, mais ne m’empêchez pas de développer mon entreprise”. Certains prétendent qu’on n’arrête pas de faire des cadeaux aux patrons, mais nous ne demandons pas de ristourne sur l’impôt, nous voulons pouvoir investir et embaucher dans nos entreprises. Je pense que Bercy n’entend pas ce message-là.

JA. Cela vous conduit-il à réviser votre stratégie d’investissement pour 2014 ?
AD.
Depuis 1926, le groupe n’a cessé d’avancer. Mes deux prédécesseurs ont toujours investi et nous continuerons. Le problème d’une crise économique, c’est qu’il y a les facteurs objectifs, tels que le licenciement, et le facteur très subjectif qu’est la confiance. Plus nous manquons de confiance dans l’avenir, moins nous investissons.

JA. Comment maintenir des niveaux satisfaisants d’entrées à l’atelier ?
AD.
J’ai la chance d’avoir été moins touché dans ce domaine que la moyenne du marché. Nous avons stoppé notre croissance, mais la baisse est modérée. Cela est sûrement dû à la particularité de la configuration géographique de mon groupe, car nous nous trouvons dans des villes moyennes et non de grandes agglomérations, tout comme au professionnalisme de mes collaborateurs.

JA. Que pensez-vous de la logique de gestion de la pièce de rechange par des centres logistiques opérant à l’échelle du groupe ?
AD.
La réorganisation par filiale a engendré la création de 6 centres de pièces de rechange, presque un par département et donc pour 4 ou 5 concessions. Nous n’épousons pas la logique de centrale d’achat et de grossiste, il s’agit de relais vers nos distributeurs. Nous sommes dans une logique de partenariat avec un constructeur et jouons cette carte à fond.

JA. Avec l’évolution du métier de distributeur, la gestion du parc immobilier prend-elle une nouvelle dimension ?
AD.
Votre question est pertinente. La refonte du groupe après les acquisitions nous a poussés à repenser l’organigramme et à nommer un directeur des ressources matérielles, soit un pendant du directeur des ressources humaines. Dans son périmètre, il gère le matériel, notamment informatique, mais également le parc immobilier. Il s’agit d’un tout nouveau métier que je ne connaissais pas avant de l’inventer !

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Dates Clés

1926     
Pierre Bodemer fonde l’entreprise de transport.

1968
Création de la première concession Renault.

1988
Cession des activités transports pour se consacrer au commerce automobile.

2000
Alain Daher devient président du Groupe.

2000 - 2012
18 concessions intégreront le Groupe dans cette période. Recentrage sur Renault.

2008
Acquisition des concessions Renault dans le Morbihan.

2012
Forte croissance en Bretagne, sur le département du Finistère.

2013
Création de la filiale Web : Briocar (www.bodemerauto.com).

 

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