Les professionnels de l'occasion attendent un premier semestre 2023 compliqué
Après la contre-performance volumétrique du marché des voitures d'occasion, dans quelles conditions vont évoluer les acteurs du secteur en 2023 ? Une question épineuse pour la quasi-majorité d'entre eux, tant les zones d'ombre sont nombreuses. Néanmoins, ils s'alignent sur une position claire : celle de jouer de prudence durant la première moitié de l'année.
"Il faudra être sur nos gardes au premier semestre. Les usines tournent à nouveau et les loueurs vont prendre livraison de leurs commandes. Nous nous attendons donc à vivre un second semestre plus dynamique", pose le président d'une centrale d'achat VO majeure, dont les volumes ont accusé une nette dégringolade l'an passé. A Dechy (59), Eric Roulleau, directeur commercial en charge du VO au sein du groupe Lempereur, tient un discours similaire. "En raison du peu de retours de LLD, les deux premiers trimestres vont être compliqués à passer sur le plan de l'approvisionnement", se projette-t-il.
Casse-tête logistique
Il n'empêche que les stocks se sont densifiés en fin d'année. Comme certains le prédisaient, à l'instar d'Olivier Dubois, le président d'Autobuy, rencontré lors de sa visite des stands à UniversVO, en octobre dernier. Il fallait garder son sang-froid et attendre que des VO reviennent sur le marché en provenance des constructeurs.
"Il y a toujours eu des arrivages en décembre et le phénomène a encore été observé", confirme un directeur d'activité véhicule occasion, notamment chez Stellantis. Ce qui constitue une des raisons pour laquelle Autobiz a rapporté une recrudescence de l'offre au début du mois de janvier. Pour la première fois depuis presque un an, les stocks de véhicules d'occasion âgés de moins de 7 ans ont repassé la barre du demi-million d'unités en France.
Les flux entrants constituent un élément clé des mois à venir, tient toutefois à rappeler Alain Martinat, fondateur de la société de conseil Capcar Consulting. "Les distributeurs vont devoir aller plus loin pour trouver du matériel, affirme-t-il. Ils vont devoir prendre en compte le coût du transport et la part croissante de risque sur la qualité des voitures. Lors d'une de mes récentes missions, nous avons constaté encore beaucoup d'irrégularités sur le kilométrage réel ou sur la liste des équipements". Encore faut-il que la logistique se dégrippe.
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Il n'y a plus de camions disponibles. En tout cas beaucoup moins pour le marché français. Les distributeurs allemands négociant moins le montant la prestation, ils sont davantage servis, à en croire un professionnel tricolore. Il y a sûrement une part de vrai dans ce propos. Jean-Pierre Simon, le président de l'enseigne Auto-Ici, dressait tout récemment un constat édifiant dans un entretien au Journal de l'Automobile."Les coûts de transport ont augmenté de 30 à 50 %. Nous devons savoir synchroniser nos négociations avec nos capacités de transport pour garder de la profitabilité".
Et Eric Roulleau d'abonder en expliquant que des transporteurs le contactent pour demander une rallonge financière afin de déclencher la livraison. "Le fait est que j'ai saisi des opportunités commerciales en octobre. Mais que les véhicules ne sont toujours pas arrivés alors que le marché a déjà changé avec des prix en baisse. Nous serons bientôt hors tarif", s'agace-t-il.
Evolution tarifaire sous observation
Après plus d'un an et demi de hausse quasi linéaire, les prix commencent en effet à se tasser, peut-on entendre dans les points de vente. "Nous restons à un niveau élevé, tempère un distributeur en Auvergne-Rhône-Alpes. Car certaines références de voitures d'occasion s'avèrent encore plus chères qu'au catalogue des VN". Partout en France, le nom de la Dacia Sandero s'invite dans la conversation, tel l'exemple universel. Autobiz a fait état de cette tendance en analysant le positionnement tarifaire des stocks de la rentrée. Mais l'agrégateur d'annonces LeParking dresse un bilan quelque peu différent une quinzaine de jours plus tard.
A la mi-janvier, il semblerait en effet que le tarif des VO s'inscrit à nouveau sur la pente ascendante, en France. En un mois, ils ont pris 1,6 % chez les professionnels (à 27 793 euros de moyenne) et 1,5 % chez les particuliers (à 13 867 euros en moyenne). A l'échelle de cinq pays dont la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Belgique, les prix moyens de l'occasion ont grimpé de 0,3 % sous l'effet d'une inflation de 0,4 % chez les professionnels. Les prochaines semaines donneront plus d'information sur la stratégie de pricing adoptée par l'écosystème.
Pour Yoann Taitz, directeur de cotation chez Autovista en France et au Benelux, il n'y a pas de doute quant à la suite des événements. Pour les VO à 36 mois, il rapporte que seule la valeur résiduelle (VR) des véhicules électriques augmente encore. Celle des hybrides non rechargeables s'est stabilisée après une légère hausse. Tandis que les VR des véhicules essence connaissent des évolutions diverses en fonction des modèles. A l'inverse, la VR des VO diesel ne bouge plus depuis septembre et celle des hybrides rechargeables plonge depuis plusieurs semaines. "Une chute plus prononcée devrait intervenir à l'été quand la vague de retours de LLD va déferler", prédit-il.
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A 12 mois, toutes les VR déclinent depuis septembre. Les diesel ont perdu deux points, les véhicules d'occasion essence et hybrides ont glissé de 1,5 point et les VE de 1 point. "Les VR se maintenaient à un haut niveau tant que les constructeurs ne relançaient pas les chaînes de production de VN. Il y aura désormais moins de précipitation chez les acheteurs VN et cela va rééquilibrer la balance. En plus, on peut tabler sur des actions commerciales des marques pour récupérer les consommateurs qui ont basculé vers le VO en dépannage. Je pense donc que la bulle va éclater".
Les politiques des marques sont à considérer aussi. Tout le monde a en tête le mouvement de Tesla. Le constructeur américain vient d'opérer une modification majeure de sa grille tarifaire pour rentrer dans les grilles de bonus en France. Mais Yoann Taitz invite à regarder tout autant celle de Stellantis qui immatricule un grand nombre de VD en fin de mois. "Des modèles et des finitions qui ne conviennent pas souvent aux aux attentes des acheteurs de VO", analyse-t-il.
Ses tableaux montrent également une chute des VR en pourcentage chez certaines marques qui ont trop tiré sur la ficelle au point de se déconnecter de la réalité et des jeux de notoriété sur le marché de la revente. "Des généralistes pensent pouvoir se revendre au même prix de que premium", interpelle-t-il.
Vers un rebond du marché de l'occasion ?
Les consommateurs, pour beaucoup, restent la pièce maîtresse de ce marché VO devenu un peu fou mais fort rentable comme le soulignent nombre de revendeurs. "Nous sommes arrivés à un plafond de verre, juge Eric Roulleau, les acheteurs n'acceptent plus aussi facilement cette hausse que nous avons appliquée". Une initiative telle que celle prise par Renault avec Refresh pourrait, par ailleurs, convaincre certains automobilistes de remettre en état plutôt que de remplacer leur bien pour le moment.
"Le fait est que la population de passionnés s'amoindrit et que les Français abordent l'automobile comme une commodité", glisse Yoann Taitz. Des facteurs économiques et sociaux sont aussi à prendre en compte, selon Tristan Rubis, le fondateur de la plateforme Entre Marchands Auto : "Je m'inquiète davantage du marché de l'emploi et donc la consommation des ménages que de l'inflation pour les mois à venir". C'est sans compter sur l'augmentation du coût de la vie et du prix de l'argent qui pourraient forcer certains arbitrages en défaveur de l'achat automobile.
Il est clair pour chacun que le marché 2023 ne reviendra pas au niveau record de 2021, quand plus de 6 millions de véhicules avaient changé de main. "Même si le stock augmente, il faut rester prudent sur les projections et je table sur 5,5 millions de transactions", lance Alain Martinat. Une hypothèse jugée plausible par Yoann Taitz et Julien Billon, le directeur général de AAA Data. Et ce dernier d'étayer sa réponse : "Tout le monde s'accorde à dire que le marché VN terminera à 1,7 million d'unités en 2023, soit 200 000 unités de plus que l'an passé. Le marché VO va rebondir dans des proportions identiques".
Un score qui serait tout à fait honorable au regard de l'historique du secteur. Au cours de la dernière décennie, il se vendait en moyenne 2,4 millions de véhicules d'occasion par an, rappelle notamment Julien Billon. Un autre se montre plus méfiant. "Le remboursement des PGE à taux plein va provoquer de la casse dans les entreprises", ne manque de prévenir un fournisseur de véhicules d'occasion de premier plan, laissant comprendre que cela aurait des conséquences sur les ramifications, sinon sur les capacités à financer les stocks.
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