Les “historiques” préparent la riposte
“Nous n’allons pas en rester là.” Ces propos, formulés par Guillaume Arnauné, commissaire-priseur à Toulouse Enchères Automobiles, plantent le décor et dépeignent parfaitement l’état d’esprit qui anime les principaux opérateurs du marché. L’heure de la révolte a sonné pour les sociétés de ventes volontaires historiques. Secoué depuis plus d’un an par l’irruption et la croissance soudaine du groupe Alcopa, via une stratégie d’acquisitions, le secteur des enchères automobiles vit une période particulièrement agitée. Les derniers mois ont été rythmés par des ouvertures, des fermetures et des rachats, et d’autres mouvements d’envergure sont attendus. Les positions s’éclaircissent et des choix stratégiques s’imposent. Clairement, on se situe à un tournant. “Nous nous doutions que le paysage n’allait pas rester figé indéfiniment, cela fait partie de la vie d’un marché et d’une économie. Un fossé s’était notamment creusé entre les principaux groupes et certaines structures qui continuaient de travailler à l’ancienne, analyse Guillaume Arnauné. Mais il est encore tôt pour avoir un avis tranché sur la situation : s’agit-il d’une restructuration ou d’une redistribution des cartes ?” Peut-être un peu des deux tant le développement du groupe Alcopa, via l’entité Carmen Auction*, a profondément bouleversé la composition du paysage.
Le groupe Alcopa poursuit ses emplettes
Après le rachat de la société Est Enchères en 2011 et ses trois sites de Meaux (77), Nuits-Saint-Georges (21) et Nancy (54), suivi en janvier dernier de la reprise d’Australe, basée à Sainte-Geneviève (60), le groupe a surtout fait parler de lui, en mars, en rentrant dans le capital du groupe Bernard à hauteur de 34 % (lire JA n° 1155). Une prise de participation qui, de fait, rapproche les entités Carmen Auction et Anaf Auto Auction d’un point de vue capitalistique, même si sur le plan opérationnel tout reste à faire à l’heure actuelle (voir entretiens). Un mastodonte des ventes aux enchères automobiles est donc né. L’opérateur belge, qui se dit prêt “à étudier toutes les possibilités”, a encore accéléré son développement ces derniers mois avec le rachat des SVV Bretagne Enchères et Five Auction Tours, ce dernier n’étant effectif qu’au 31 décembre 2012. “Je perçois la percée du groupe Alcopa davantage comme une opportunité que comme une menace, car elle va participer de la professionnalisation, de la crédibilité et de la modernisation du marché. Le changement est plus sensible pour nos concurrents que pour nous”, juge Jean-Roch Piat, directeur général de BCAuto Enchères, qui devrait conforter sa position dans le peloton de tête en 2012.
Vers un changement de leader en 2012 ?
Pour sa première année pleine, Carmen Auction pourrait s’emparer du fauteuil de leader avec un total de 30 000 unités commercialisées. Un volume que la société VPAuto devrait tutoyer également en 2012. “Nous ne sommes pas insensibles à cette situation. Mais le statut de leader n’est pas une fin en soi. Nous portons davantage d’intérêt à la valeur et la performance que nous délivrons par véhicule. Aujourd’hui, nous accélérons notre développement via le Net, et souhaitons capitaliser sur nos acquis et nos bases pour conforter notre position d’acteur incontournable”, commente Yves Rousselle, secrétaire général de VPAuto. En 2011, selon l’Association des sociétés de ventes automobiles (Asva), un total de 152 000 véhicules a été vendu aux enchères en 2011, contre 140 000 l’an passé. D’après le Conseil des ventes, le poids des cinq premiers opérateurs pourrait atteindre 53 % de parts de marché fin 2012. La concentration du marché n’est donc plus un vain mot, mais une réalité.
Le groupe Arnauné et Mercier Automobiles se renforcent
Solidement implanté dans le Sud-Ouest à travers ses salles de Toulouse et Bordeaux, le groupe Arnauné est bien décidé à prendre le train en marche. L’entité vient récemment de conforter sa position en s’associant avec la SVV Aix Enchères, dont le chiffre d’affaires a pesé 14 millions d’euros en 2011, rapprochement qui débouchera sur l’ouverture en 2013 d’un nouveau site qui cohabitera avec la salle actuelle. Si les groupes VPAuto, BCAuto Enchères ou encore Toulouse Enchères n’ont pas attendu l’arrivée du groupe belge pour se renforcer et développer des outils modernes sur la Toile, d’autres opérateurs moins dominants se trouvent à la croisée des chemins. Faut-il résister ou rejoindre le camp du plus fort ? “Nous sommes contraints de ne pas rester les deux pieds dans le même sabot et de prendre en compte le nouveau marché qui se dessine pour nous positionner comme une véritable alternative au groupe Alcopa, qui a fait bouger les lignes”, souligne Dominique Soinne, commissaire-priseur au sein de Mercier Automobiles. Implantée à Marcq-en-Barœul et Vendeville (59), la SVV a vite réagi en rachetant, au printemps, l’entité Enchères-Net à Cavaillon (84) et Saint-Ouen (93). Spécialisée dans la vente d’utilitaires, de poids lourds et d’engins de travaux publics, cette entité, qui pèse un chiffre d’affaires de 8 à 10 millions d’euros, permet ainsi à Mercier Automobiles de proposer six sessions de ventes par mois. Le groupe nordiste a également procédé à l’ouverture d’un nouveau site dédié à la vente de matériels industriels à Calais. “C’est une première réponse à cette mutation, mais qui n’est pas suffisante. Nous continuons de travailler et de réfléchir afin d’atteindre la barre symbolique des 100 millions d’euros nécessaire pour devenir un acteur référent. Nous menons actuellement des discussions avec des confrères et n’excluons pas de nous rapprocher de sociétés qui partagent notre philosophie. Notre ambition est de faire partie des 3 à 5 plaques qui vont dominer le marché des enchères automobiles”, entrevoit Dominique Soinne, qui ne ferme pas la porte à de nouveaux développements externes, même s’il reconnaît que les opportunités sont peu nombreuses.
Quelques kilomètres plus haut, au sein de la SVV Five Auction de Béthune, Alexis Duhamel s’interroge également. “J’étais un acteur moyen-gros qui est devenu moyen au gré des derniers mouvements. Je reste ouvert à toutes les discussions, que ce soit avec Alcopa ou Mercier Automobiles, mais, aujourd’hui, je ne suis pas courtisé”, réagit le commissaire-priseur nordiste, qui a fermé fin juillet sa salle de vente de Valenciennes. Le groupement d’intérêt économique (GIE) Five Auction, qui a donc perdu deux salles, a en revanche intégré la société Espace enchères Sud Aquitaine, basée à Labouheyre (40). “La pérennité de la société repose sur la qualité de service, les résultats et la préparation des véhicules. Si nous avons les approvisionnements suffisants, nous pouvons être une alternative crédible”, poursuit Alexis Duhamel. Un discours que partage Jean-Luc Béreau, président de la SVV Parcs Enchères SAS : “Il n’y a pas 50 solutions, soit nous poursuivons notre route, soit nous nous faisons racheter. Et nous ne sommes pas spécialement à vendre à l’heure actuelle. Pour nous, cela ne change pas grand-chose. Je pense qu’il y a encore de la place pour des acteurs indépendants”. La société qui organise ses ventes à Marseille et à Clermont-Ferrand entend s’accrocher en misant sur la croissance des ventes en ligne.
Quelles seront les conséquences de cette mutation ?
Rarement ce marché n’aura connu autant de soubresauts en si peu de temps. “Et nous pourrions assister à de nouveaux mouvements d’ici le premier semestre 2013”, annonce Dominique Soinne. Et si elle devrait participer de la professionnalisation de la profession et de sa compétitivité, cette redistribution des cartes ne change pas fondamentalement la nature du métier et ne devrait pas non plus influencer les performances des SVV. Concrètement, l’enjeu ne repose pas tant sur les acheteurs, qu’ils soient particuliers ou marchands, qui ne se soucient guère des changements d’actionnaires, que sur les apporteurs d’affaires. Plus un acteur sera gros, plus il sera en position de force pour attirer les produits émanant des sociétés de leasing, des établissements bancaires ou encore des constructeurs. “Nous ne rencontrons pas de difficultés à remplir nos salles. A ce jour, la demande est supérieure à l’offre. Dès lors, je pense que nous devons exploiter d’autres pistes d’approvisionnements pour faire progresser la part des enchères de 5 à 6 % sur le marché de l’occasion français”, expose Jean-Marc Charvet, dirigeant de Car Enchères.
Le canal Internet, levier de croissance hautement stratégique, est une première réponse à cette problématique. “Le Net a changé la donne et nous avons atteint les limites du système des ventes physiques. Aujourd’hui, nous ne sommes plus seulement des vendeurs aux enchères, mais des spécialistes du remarketing VO et des entreprises de logistique”, juge Yves Rousselle. “Il n’existe pas ou plus de dichotomie entre d’un côté le Net et de l’autre côté les enchères physiques. Internet est partout et va continuer de modifier le métier dans les prochaines années. Nous n’avons pas de révolution dans les tuyaux à ce niveau-là, mais des projets qui visent notamment à dynamiser et insuffler de l’animation dans les ventes en ligne”, rapporte pour sa part Guillaume Arnauné. Sur la Toile et le terrain, la course est bel et bien lancée.
*L’entité Carmen Auction, qui est une émanation de l’entité AlcoDev du groupe Alcopa, a été fondée en 2011 suite à la reprise de la société Est Enchères.
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ZOOM - Manheim développe une plate-forme VO pour PSA
Le groupe américain a œuvré ces derniers mois au développement d’une place de marché VO pour le groupe PSA. Déployée au sein de 17 pays en Europe, cette plate-forme permet ainsi aux réseaux des deux marques d’accéder directement à une large offre de véhicules d’occasion. “Ce projet a nécessité beaucoup de ressources et représenté un gros investissement. D’autres développements identiques sont à l’étude à l’heure actuelle”, confie Raouf Sabet d’Acre, président de Manheim France. Sur l’activité enchères, Manheim poursuit son partenariat avec le groupement Five Auction, via les salles des ventes de Marseille et de Sainte-Geneviève-des-Bois. “Nous avons enregistré de bonnes performances à Marseille, supérieures à 2011, tandis que les résultats affichés sur le site de Paris sont plus mitigés. Au final, l’exercice 2012 est relativement calme car le marché n’est pas très porteur”, analyse Raouf Sabet d’Acre, qui reconnaît être ouvert aux discussions avec d’autres acteurs pour renforcer la position de la société sur le marché des enchères. Précurseur sur le canal Internet grâce à son expertise technologique, le groupe doit désormais composer avec la concurrence des acteurs traditionnels qui ont fortement axé leur développement sur Internet ces dernières années. “Cette compétition plus féroce a pour conséquence de tirer les prix vers le bas”, regrette Raouf Sabet d’Acre. Les enchères électroniques pèsent près de 85 % du chiffre d’affaires du groupe, qui devrait se situer aux alentours des 30 millions d’euros cette année, stable par rapport à 2011.
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