Les agents à la croisée des chemins ?
A l’image des concessionnaires qui ont vu leur métier évoluer ces dernières années, notamment du fait de la concentration, de la financiarisation du secteur et des changements impulsés par les constructeurs, les agents font également face à de nombreux défis. L’électrification des produits, la digitalisation et les politiques commerciales sont autant de sujets au coeur des relations, parfois tendues, entre les agents et les constructeurs, avec les concessionnaires comme intermédiaires dans certains domaines. Bien que les agents puissent apparaître comme les parents pauvres de la distribution en France, il ne faut pas oublier ce qu’ils représentent, principalement pour les trois marques françaises.
Ainsi, les 3 070 agents Renault ont été à l’origine de 110 000 ventes en 2020, dont 95 000 Renault et 15 000 Dacia. Des chiffres en légère baisse par rapport à 2019, où ils avaient atteint 125 000 unités. Un réseau d’agents qui a bien géré l’évolution de l’offre, en prenant toute sa part dans les gammes Z.E. et E‑Tech avec un mix de 16 à 17 %. À l’après‑vente, le rôle des agents du Losange est encore plus fort puisqu’ils représentent 70 % des entrées en atelier ! Elles ont baissé un peu en 2020, de l’ordre de 8 %, selon Patrice Ratton, directeur du réseau France adjoint de Renault, en charge du réseau d’agents. Plus largement, l’activité des agents du Losange a bien résisté durant le dernier exercice. "Nous avons fait une bonne sortie du premier confinement, aussi bien en après‑vente qu’au commerce", se souvient le directeur adjoint du réseau. Au global, le chiffre d’affaires de la main-d'œuvre a reculé de 6 % et celui des pièces de 8 %.
Le réseau d’agents Peugeot, qui compte 1 850 affaires, pèse, lui, 25 % des immatriculations de la marque en France et près de 50 % des entrées en atelier. Quant aux 1 571 agents Citroën, ils ont vendu, en 2020, 20 % des VN frappés de chevrons, 40 % des pièces de rechange et ont géré 50 % des entrées en atelier. À eux trois, ces réseaux représentent près de 250 000 ventes VN, avec une forte présence sur le canal des particuliers et des professionnels de proximité.
Plus de 3 000 agences Renault
Leur nombre est relativement stable ces dernières années. "Nous souhaitons maintenir cette capillarité, explique Patrice Ratton, car il s’agit d’un véritable avantage concurrentiel." Comme pour témoigner de cette volonté, 104 agences ont été reprises en 2020 et même 25 ont été créées par de nouveaux investisseurs. Chez Peugeot, le nombre de 1 850 affaires convient. "Nous n’avons pas la volonté d’augmenter le nombre d’agents, explique Guillaume Couzy, directeur du commerce France de Peugeot, mais nous souhaitons améliorer notre couverture géographique parfois perfectible dans certaines zones." Et le directeur de poursuivre : "Je suis fier de pouvoir compter sur un tel réseau, c’est une richesse pour la marque." L’autre réseau de l’ex‑groupe PSA, celui de Citroën, dénombre 1 571 agences, après en avoir perdu 44 en 2020. "Nous sommes satisfaits de cet ordre de grandeur, indique Jérôme Gautier, directeur du commerce France de Citroën, notre maillage permet une grande proximité avec les clients."
Le chantier de l’électrification
"Pour les deux années à venir, l’électrification sera au cœur du travail avec le réseau d’agents", prévient Jérôme Gautier. L’arrivée de modèles hybrides rechargeables et 100 % électriques dans la gamme Citroën demande des adaptations. "Nous allons travailler sur 4 points principaux", explique le directeur du commerce qui liste les bornes de recharge, la formation d’e‑experts pour les ateliers mais aussi au commerce et, enfin, l’investissement dans de l’outillage nécessaire pour l’entretien de ces véhicules. "Il faut voir cette évolution comme une opportunité pour les réseaux de marque qui pourront valoriser leurs savoir‑faire et ainsi pérenniser leur activité", pense Jérôme Gautier. Le groupement national des agents Citroën a d’ailleurs pris le sujet électrique à bras-le-corps, en signant un accord avec TLSA (Total Lubrifiants Service Automobile) pour mieux maîtriser les investissements pour les bornes de recharge.
Chez Renault, qui a un temps d’avance sur l’électrique, l’accélération des produits électrifiés, avec l’élargissement de la gamme E‑Tech, reste au centre de la stratégie, avec le déploiement du label Expert Z.E. dans les agences. À fin 2020, plus de 400 d’entre elles étaient labellisées et "150 à 200 vont encore l’être dans le courant 2021, indique Patrice Ratton. À terme, l’ensemble du réseau devra se mettre à niveau, mais nous allons orchestrer cette montée en puissance de manière raisonnable, notamment en fonction du parc roulant." Daniel Salin, président du groupement des agents Renault (GAR), précise qu’au‑delà de certains agents à fort potentiel en la matière, pour de nombreux autres, la mise en place de bornes de recharge se fait sur la base du volontariat. Mais il rappelle immédiatement qu’il préconise à ses confrères "d’y aller dès que possible." Peugeot, avec son offensive électrique lancée en 2020, est au diapason. "D’ici la fin du premier semestre 2021, chaque agence devra avoir deux bornes de recharge", rappelle Guillaume Couzy qui précise "qu’il faut davantage y voir une demande du marché qu’une exigence de la marque."
Le digital à l’épreuve de la proximité
Toujours dans la colonne des investissements, les trois réseaux français ont lancé le déploiement d’une nouvelle identité de marque. Renault est bien avancé sur le dossier puisque 2/3 des agences sont aujourd’hui aux normes et le 1/3 manquant le sera d’ici fin 2021. Le réseau Peugeot est aussi sur un bon rythme avec quasiment 100 % des agences répondant à l’identité extérieure, mais il reste quelques travaux pour l’intérieur des bâtiments qui devraient être terminés d’ici la fin de l’année 2021. Pour la marque aux chevrons, la tâche est plus récente. En effet, le nouvel aménagement intérieur Citroën, aujourd’hui déployé dans les concessions, va connaître une déclinaison pour les agents, plus simple. Jérôme Gautier estime qu’il faudra 2 à 3 ans pour mener à bien cette refonte.
La digitalisation fait aussi partie des chantiers en cours. Chez Renault, les agents sont encouragés à se saisir de ce dossier en étant présents sur Internet, tout en prenant soin de leur notoriété et de leur e‑réputation. "Nous sommes en support sur ce sujet, nous les encourageons à travailler à ce propos en relation avec les DR et les concessionnaires", explique Patrice Ratton. Quant aux leads, certains ont la capacité d’en générer et de les traiter, mais d’une manière globale, ce chapitre est un chantier pour les années à venir. Avec son Peugeot Web Store, la marque au lion a clairement joué la carte digitale durant cette année 2020 bouleversée par la pandémie. Les agents peuvent faire partie du parcours client et ainsi compléter leur objectif VN, si un acheteur demande à être livré chez lui. Mais Peugeot indique que pour cela, l’agent doit répondre à tous les standards de la marque. La logique est proche chez Citroën avec sa plateforme de vente en ligne Citroën Carstore.
"Le digital est primordial, mais ce n’est pas une fin en soi, estime pourtant Daniel Salin. Le contact et la proximité avec les clients restent notre priorité." Cela étant, le président n’est pas dupe et sait que le digital est au moins une vitrine dans le VN et un atout dans l’après‑vente, où le constructeur propose d’ailleurs de nombreuses briques technologiques (tablettes, dématérialisation, prise de RDV) pour aller de l’avant. Mais il y a un autre aspect du digital qui inquiète davantage : les fameuses data. "Les constructeurs veulent récupérer nos données, explique un autre agent, et gageons que des tensions vont naître. Les agents, comme les concessionnaires, ne voudront jamais “laisser partir” leur fonds de commerce."
Tension sur les politiques commerciales
Après ce tour d’horizon sur les futurs défis à relever, il est intéressant de se pencher sur les politiques commerciales et principalement les marges VN, qui représentent une part importante des revenus des agents et qui cristallisent aussi les tensions. C’est notamment le cas chez Citroën actuellement. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la situation entre la marque et son groupement d’agents n’est pas encore réglée. Denis Baeza, président du groupement national des agents Citroën (GNAC), est monté au créneau, il y a quelques semaines, concernant les marges. "Notre désaccord porte sur les conditions de rémunération, explique‑t‑il. On nous propose aujourd’hui une rétribution de 200 euros, soit entre 0,95 % et 1,6 % du prix de vente final. Si ça continue, on va nous demander de payer pour continuer à vendre des voitures ! " Jérôme Gautier a, de son côté, indiqué que les rémunérations avaient été revues à la hausse pour l’année 2021, "aussi bien sur la marge totale versée que sur la part fixe de la marge".
Denis Baeza reconnaît cette avancée, mais 200 euros par VN, ce n’est pas suffisant. "Lorsque PSA était en difficulté, nous avons notamment accepté de baisser notre marge fixe. Le groupe s’est redressé, et tant mieux, mais aujourd’hui, il faut renvoyer l’ascenseur", lance‑t‑il. Avant les ennuis de PSA, les primes pour les agents Citroën pouvaient "atteindre 400 euros, en moyenne, par vente et même 600 euros avec les primes d’objectif, précise le président du groupement. Aujourd’hui c’est 200 euros ". Pour tenter de sortir de cette situation de blocage, Denis Baeza explique : "Notre proposition reste dans l’enveloppe budgétaire prévue par le constructeur. Toutefois, elle intègre une répartition différente entre les commissions attribuées pour chaque voiture neuve vendue et les primes de volume."
Evolution des relations
Chez Peugeot, la situation est plus calme, tous mettant en avant l’activité soutenue de la marque ces dernières années. Point de conflit en vue, mais le sujet reste sensible. "Cela devient de plus en plus compliqué, explique Florence Gete, présidente du groupement des agents automobiles Peugeot (GAAP), on nous en demande toujours plus en termes de formation et d’image notamment, mais cela fait 10 ans que nous sommes à iso‑budget. Pour gagner notre vie, il faut être au moins à 110 % de nos objectifs." La présidente pointe également la mécanique de la réalisation des objectifs au trimestre et notamment ceux sur les produits électrifiés. "Si nous ne faisons pas nos 12 % de véhicules électrifiés sur le trimestre, les primes sont perdues. Je demande un rappel annuel."
Un autre agent de la marque note aussi un changement dans les relations avec le constructeur, mais aussi avec les concessionnaires. "Les agents ont longtemps travaillé avec le cœur, avec un vrai attachement à la marque, mais aujourd’hui, il s’agit plus d’une relation commerciale avec des droits et des devoirs." Chez Renault, cela semble plus calme. "Depuis 2016‑2017, la rémunération par véhicule vendu a progressé", affirme Patrice Ratton. "Nous discutons beaucoup avec le constructeur, nous avons affaire à des gens qui connaissent et comprennent notre métier, indique Daniel Salin. Ils nous écoutent et même s’ils ne disent pas oui à tout, nous trouvons un terrain d’entente."
Toutefois, bien que la relation soit apaisée, le réseau d’agents reste attentif aux évolutions à venir dans la maison de Boulogne. "Le plan présenté par Luca de Meo, le directeur général du groupe Renault, semble aller dans le bon sens, en privilégiant la qualité des ventes à la course aux volumes" estime‑t‑il. Alors que la rentabilité des concessionnaires est surveillée comme le lait sur le feu, avec la remontée régulière des comptes d’exploitation chez les constructeurs, impossible d’avoir une idée de la rentabilité moyenne d’une agence.
Vers un nouveau business model ?
À bien des égards, la situation des agents peut légitimement faire naître des interrogations sur leur rôle dans les années à venir. Notamment dans la tendance actuelle, où les constructeurs ont ouvert la chasse aux coûts de distribution. Les agents apparaissent comme un maillon essentiel de la relation entre une marque et ses clients (comme les concessionnaires), mais les constructeurs, notamment à l’heure du digital, semblent vouloir reprendre la maîtrise de cette relation. Les investissements nécessaires pour que le parcours client soit homogène et "aux normes" sont de plus en plus lourds pour des agences qui, par nature, sont de petites affaires.
Finalement, leur transformation semble presque aussi profonde et coûteuse que celle d’un concessionnaire, mais pas avec les mêmes moyens. N’est‑on donc pas à l’aube d’un nouveau business model ? Guillaume Couzy reconnaît que les bouleversements actuels interrogent sur l’avenir : "Nous allons travailler avec eux sur les impacts que sont notamment l’électrification et la digitalisation. S’il faut réinventer un business model, nous le trouverons. » Le vent du changement est donc à l’œuvre, mais pour l’heure, il est encore difficile de définir les contours de ce futur. Un agent interrogé sur ce sujet croit voir une piste : "Ils sont en train de faire de nous des Mc Do ! Ils veulent nous transformer en franchises. Mais nous ne sommes pas des franchisés."