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Distribution

La résiliation pour réorganisation

Publié le 14 juillet 2006

Par Alexandre Guillet
6 min de lecture
La Cour de Justice de Luxembourg est saisie, depuis le deuxième quadrimestre 2005, de deux questions préjudicielles portant sur la résiliation pour réorganisation du réseau. L'avocat général Geelhoed a déposé en avril 2006 des conclusions qui, sans préjuger de la position que prendra la Cour...
La Cour de Justice de Luxembourg est saisie, depuis le deuxième quadrimestre 2005, de deux questions préjudicielles portant sur la résiliation pour réorganisation du réseau. L'avocat général Geelhoed a déposé en avril 2006 des conclusions qui, sans préjuger de la position que prendra la Cour...

...de Justice, apportent des éclairages importants sur deux questions juridiques essentielles.


Première question : Le juge peut-il et doit-il contrôler la nécessité de la réorganisation d'un réseau ?


Le préavis "ordinaire" prévu par le règlement 1475/95, tout comme d'ailleurs par le règlement 1400/2002, pour la résiliation des accords de distribution est de deux ans au moins. La résiliation avec préavis réduit à un an n'est possible qu'en cas de nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle du réseau.
Selon les constructeurs cependant, le Juge n'aurait pas à apprécier l'opportunité d'une décision de réorganisation d'un réseau, qui procède de considérations de stratégie commerciale.

Le constructeur doit expliquer pourquoi il veut résilier avec un préavis d'un an

Cette position n'est pas acceptable. Tout d'abord, on ne peut revendiquer la sécurité juridique que confère un règlement d'exemption, sans en respecter les contraintes. Or, dans le cadre des règlements automobiles, la Commission a fixé la durée "ordinaire" des préavis de résiliation à deux ans, pour tenir compte de la lourdeur des investissements requis et limiter la dépendance économique des distributeurs. C'est à juste titre, par conséquent, que l'avocat général Geelhoed estime que "dès lors, le constructeur qui veut résilier un contrat de distribution avec préavis réduit est tenu d'expliquer pourquoi il veut résilier le contrat de cette façon".
Par ailleurs, l'argument selon lequel un constructeur ne s'amusant pas à réorganiser son réseau, le juge pourrait se contenter de contrôler le caractère substantiel de la réorganisation, sans avoir besoin de s'interroger sur sa nécessité, n'est pas plus recevable.
Les deux règlements (1475/95 et 1400/2002) précisent que le recours au préavis réduit à un an ne se justifie que si la réorganisation est nécessaire et substantielle. Les deux conditions ainsi posées sont donc cumulatives et ne peuvent se réduire à une seule.

Protéger les distributeurs contre un simple changement de conception du constructeur

Par ailleurs, la nécessité de procéder à une réorganisation de réseau au sens du droit communautaire implique que cette réorganisation découle de facteurs objectifs, au-delà de la seule appréciation, souvent fluctuante, qu'une marque peut avoir de l'organisation de son réseau. Comme l'indique pertinemment l'avocat général Geelhoed, chaque distributeur doit être "au moins protégé contre un simple changement de conception du constructeur quant à l'aménagement optimum de son réseau de distribution qui ne serait pas fondé sur des circonstances objectives d'ordre interne ou externe".
Il n'est certes pas question que le juge contrôle la gestion que le constructeur entend faire de son réseau. La protection juridique minimale du distributeur implique cependant que le constructeur soit tenu d'énoncer à l'appui de sa décision de résiliation les facteurs qui la justifient à ses yeux et que le juge puisse vérifier si ces facteurs rendent plausibles la nécessité d'une réorganisation moyennant un préavis réduit à un an.
Toute interprétation consistant à réduire les deux conditions posées par le texte des règlements (nécessité et caractère substantiel) à une seule (caractère substantiel) ouvrirait la porte à une banalisation du droit de résiliation "extraordinaire" avec préavis réduit à un an, et exposerait de manière inacceptable les réseaux à des décisions de pure opportunité de la part des constructeurs.


Deuxième question : la nécessité de réorganiser le réseau s'entend-elle d'une nécessité d'ordre économique ou simplement juridique ?


Jusqu'à ce jour, toutes les juridictions nationales qui ont été saisies de litiges liés à des résiliations avec préavis réduit à un an pour cause de réorganisation de réseau, ont contrôlé la nécessité de l'opération.
Reste qu'après avoir admis qu'une telle nécessité pouvait découler de facteurs économiques (telle par exemple la restructuration du réseau Rover en 1998/1999), certaines juridictions (la Cour d'appel de Paris ainsi que la Cour régionale de Munich dont l'arrêt est à l'origine de la question préjudicielle de la Cour Suprême allemande) ont estimé que cette nécessité pouvait découler de facteurs juridiques, et que la modification des contrats, rendue nécessaire pour assurer leur conformité avec le nouveau règlement 1400/2002, était donc suffisante pour autoriser le constructeur à appliquer un préavis réduit à un an.
La date du 31 mai 2010 à laquelle le règlement 1400/2002 vient à expiration n'étant pas si éloignée, la réponse à cette deuxième question revêt, au même titre que la précédente, une importance qui dépasse le cadre des contentieux en cours.

Une simple modification des contrats n'est pas une réorganisation du réseau

Deux séries de considérations au moins devraient conduire à considérer qu'une simple modification des contrats ne peut être assimilée à elle seule à une nécessité de réorganiser substantiellement un réseau.
Tout d'abord, un réseau est avant tout un ensemble d'entreprises distribuant, sous une même marque, des produits ou services. Si le périmètre et la structure du réseau, entendue comme l'addition des entreprises qui le compose, ne sont pas significativement modifiés, on ne peut pas parler de réorganisation substantielle du réseau lui-même, au sens des règlements d'exemption automobiles.
De plus, comme le souligne l'avocat général Geelhoed, dans les considérants du règlement 1475/95, la Commission avait justifié la possibilité de recourir à des préavis de résiliation réduits à un an par la nécessité de "ne pas entraver le développement de structures flexibles et efficaces de distribution", donc par des considérations d'efficacité économiques.
Dès lors, il semble que la nécessité d'adapter les contrats à de nouvelles conditions d'exemption ne peut justifier le recours à la résiliation avec préavis d'un an que si elle s'accompagne de la nécessité démontrée de modifier la structure même du réseau. Tel n'a généralement pas été le cas en 2002/2003 où la majorité des constructeurs ont indiqué avoir procédé à des résiliations purement techniques, afin de se donner les mains libres pour proposer de nouveaux contrats aux mêmes opérateurs, à quelques exceptions près.

La cour d'appel de Versailles sursoit à statuer en attendant la position de La CJCE

La réponse que la Cour de Justice de Luxembourg devrait apporter, prochainement maintenant, aux questions préjudicielles dont elle est saisie, éclairera ce débat dans lequel les juridictions nationales ont pris, en dernier lieu, des positions divergentes.
La Cour d'appel de Paris a en effet confirmé par un arrêt récent du 14 juin 2006 concernant le réseau Opel, la position qu'elle avait déjà prise en 2005 à propos du réseau Peugeot en reconnaissant la validité des résiliations avec préavis d'un an, justifiées à ses yeux par la seule réorganisation juridique des réseaux. En revanche, la Cour d'appel de Versailles, qui avait précédemment adopté la même position concernant le réseau Mercedes, a jugé préférable par un arrêt du 18 mai 2006 de surseoir à statuer dans l'attente de l'éclairage de la Cour de Justice de Luxembourg.


Christian Bourgeon
Avocat à la Cour d'appel de Paris

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