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Distribution

La grogne monte dans le réseau Jaguar-Land Rover

Publié le 15 février 2012

Par David Paques
9 min de lecture
Echaudés par les exigences de leurs marques et ce qu’ils estiment être une non-négociation sur les nouveaux contrats, les distributeurs de Jaguar et Land Rover semblent ne pas accepter le comportement du constructeur.

Lancée à la fin de l’été dernier, l’Evoque n’en finit plus d’engranger les succès. Ses carnets de commandes ne dégonflent pas. Depuis son lancement, 4 800 ordres ont d’ores et déjà été enregistrés. Au point que le modèle affiche aujourd’hui entre trois et neuf mois de délais. Les investisseurs se réjouissent. Bien entendu. Même si cela occasionne quelques agréables désagréments. “L’Evoque est une vraie réussite. Une bouffée d’air pur d’autant plus appréciable que les ventes concernées se font sans remises”, confirme un distributeur. “Aujourd’hui, nous faisons 80 % de conquête avec le modèle. Ce n’est donc que du trafic additionnel. Au final, toute la gamme tire parti de cet effet Evoque”, ajoute Marc Luini, directeur général de Jaguar et Land Rover en France. Les bilans des opérateurs en ont d’ailleurs bénéficié. Le réseau Land Rover devrait, en effet, clore 2011 avec une profitabilité comprise entre 2 et 2,5 % du chiffre d’affaires, contre 1,4 % un an auparavant.

En revanche, côté Jaguar, l’année a été bien plus délicate. “Nous avons du mal à nous en sortir. Il a fallu tirer partout où nous pouvions le faire avec des immatriculations stratégiques. Au final, la marque a vendu 1 000 VN l’an dernier, mais sans ces manœuvres, le réseau finissait à 850 VN”, explique un investisseur. “La majorité de nos concessions Jaguar distribuent également Land Rover. Sans doute que le succès de l’Evoque a pris pas mal d’énergie aux forces de vente et que le lancement de la nouvelle XF est passé au second plan”, tente d’analyser Marc Luini. “Pour autant, nous avons réalisé nos objectifs”, tempère-t-il. “Outre cet aspect commercial, le vrai souci, c’est que nous ne gagnons pas d’argent avec Jaguar. Nous sommes juste à l’équilibre”, précise à son tour un distributeur.

Les nouveaux contrats en question

Au-delà de ces résultats, en coulisse, la grogne monte. Pour certains, rien ne va plus au sein du réseau Jaguar-Land Rover. “Depuis que Ford n’est plus le propriétaire, c’est devenu très compliqué”, ose un partenaire de longue date. L’année 2011 ne semble pas avoir fait disparaître cette impression. Bien au contraire. “Nous sommes entrés dans une nouvelle ère”, confirme même un opérateur. Principale cause de ce courroux naissant : l’élaboration des nouveaux contrats. “Le constructeur estime avoir négocié, mais nous n’appelons pas ça une négociation. Il y a un vrai manque de considération envers le réseau”, déplore un investisseur. “Nous avons évoqué le sujet dès octobre, puis avons ensuite impliqué les conseils respectifs. Avec le groupement, nous avons alors discuté et même levé trois blocages importants. Notamment le principal”, répond Marc Luini. Le constructeur souhaitait, en effet, avoir des contrats tripartites (distributeur, filiale et organisation centrale) et que, en cas de litige, le recours soit examiné par une juridiction anglaise. Devant la désapprobation du réseau, la marque a reculé. Restent néanmoins quelques points de discorde que la marque “n’a pas pu ou pas voulu modifier”. Le principal ? Les opérateurs souhaitaient conserver leur contrat à durée indéterminée de manière à “légitimer leurs investissements” et “pérenniser leurs affaires”, mais ils ont dû s’engager sur un contrat de cinq ans. Le constructeur est resté inflexible sur le sujet. “Cela se fait chez tous nos concurrents”, se défend Marc Luini. Une décision qui rend certains opérateurs particulièrement amers.

“Les produits ne peuvent plus être vendus dans des “bouges””

“La marque a été bien contente de nous trouver quand les ventes chutaient de 70 % et qu’il fallait la faire survivre. Maintenant qu’il y a un certain renouveau, son comportement vis-à-vis du réseau a changé. Ils ont pris la grosse tête”, peste ainsi un distributeur. “Jusqu’en 2007, le réseau a gagné énormément d’argent. La crise de 2008 nous a fait passer en France de 8 500 VN à moins de 4 000 VN. Bien entendu que cela n’a pas été simple. Mais j’estime que la mémoire collective serait un peu courte si elle ne retenait que ce cycle malheureux”, estime quant à lui Marc Luini.

“Comme c’est le cas chez Volvo, un constructeur peut être content que son réseau soit rentable et se dire que la croissance profite à tout le monde. Chez Land Rover, c’est surtout l’occasion d’en demander plus aux distributeurs”, s’emporte un investisseur. “Désormais, l’esprit du constructeur, c’est que les distributeurs doivent se taire et exécuter ses décisions”, ajoute un autre. “Cette impression d’arrogance, si elle existe, peut sans doute venir des manifestations internationales. Pas des réunions françaises. Nous sommes très vigilants sur le sujet et savons que les investisseurs travaillent avec l’argent de leurs parents et leurs enfants. Nous sommes très respectueux de ça. Mais quand le propriétaire des deux marques investit comme il le fait, il affiche naturellement une certaine détermination”, explique Marc Luini. “Et notamment quand il dit que ses produits ne peuvent plus être vendus dans des “bouges”. A partir de là, le message est simple : soit on est dans l’esprit et tout le monde en profite, soit on trouve le moyen de se séparer en bons termes”, détaille encore Marc Luini. “Il faut reconnaître que, pendant un temps, nous avons été nombreux à nous poser des questions sur l’existence de la marque. Aujourd’hui, Tata fait ce qu’il faut pour la développer”, reconnaît d’ailleurs un opérateur. Reste que ce qui passe pour de “l’autoritarisme patent” ou un “manque de considération” balaye peu à peu l’esprit de partenariat dans la tête de quelques-uns.

Des investissements indigestes

Aussi, le plan de représentation “imposé” au réseau ne passe pas. Mobilier, PLV, coloration des murs… le constructeur en termine avec son changement de normes. Chez Land Rover, s’entend. Car “Jaguar a déjà une identité bien établie”. “Pour Land Rover, il est vrai que nous avons exigé que la mise en place des nouveaux standards soit effective pour le lancement de l’Evoque. Après deux ans de travail sur le sujet, il y a eu une accélération naturelle l’an dernier, et donc une pression supplémentaire”, reconnaît Marc Luini. En cause, une récente volte-face du constructeur. Dans son plan initial, le top management de Land Rover pensait faire de Range Rover une marque à part entière, et a donc souhaité un marquage spécifique sur le fronton des affaires, avant de faire finalement machine arrière. Pour autant, sa stratégie est restée inchangée. Chemin faisant, les produits Range Rover seront très axés premium-luxe, et ceux de Land Rover feront la part belle à la polyvalence et à l’esprit historique 4x4 de la marque. “Cela implique pas mal d’investissements, notamment pour ceux qui n’étaient pas encore passés aux normes”, admet Marc Luini. “Nous avons dû de nouveaux investir alors que certains avaient des structures rénovées à peine dix-huit mois plus tôt”, s’étonne un distributeur. Les partenaires auraient ainsi investi quelques dizaines de milliers d’euros, voire une grosse centaine pour les plus en retard dans le domaine. “Ce n’est pas le souci d’investir pour une marque. Le problème, c’est quand vous en avez déjà mis pas mal sur la table pendant trois ans pour la maintenir à flot. Il y a beaucoup d’amertume dans le réseau”, déplore un concessionnaire, pourtant attaché aux deux marques. Un ressentiment d’autant plus grand que, pour répondre à la hausse de trafic et de volumes, le constructeur préconise désormais d’avoir des équipes de ventes séparées entre Jaguar et Land Rover. Ce qui ne manque pas d’alourdir les charges. “Imaginez que, en deux ans, nous allons presque doubler nos ventes”, justifie Marc Luini.

“Une manœuvre écœurante”

Depuis trois ans, dans le cadre du changement de standards et de la nouvelle politique de marques, les maillages respectifs ont été considérablement réduits. “Etant donné la stratégie du constructeur, nous ne pouvions pas demander à des distributeurs d’investir alors même que leurs implantations ne garantissaient pas des volumes suffisants pour les amortir”, explique Marc Luini. Le réseau Jaguar a ainsi été “dégrossi” de 10 sites, pour afficher désormais 38 points de vente en France. Quant à Land Rover, son réseau est passé de 118 sites à fin 2007 à 78 fin 2011. Il a ainsi été réduit de 34 % sur quatre exercices. “La touche finale a été donnée l’an dernier à l’occasion du passage au nouveau contrat”, précise Marc Luini. Pour le réseau, la perception de cette “touche finale” est quelque peu différente.

“Le constructeur a profité du changement de contrat pour faire une épuration du réseau. Il a fait une résiliation technique en disant qu’il allait renouveler tout le monde. Il a juste oublié de prévenir certains opérateurs que la marque ne comptait plus sur eux. C’est une manœuvre écœurante”, s’indigne un distributeur. Cinq concessionnaires Land Rover et deux opérateurs Jaguar n’auraient ainsi pas reçu de nouveaux contrats. “Nous connaissions les intentions du constructeur au niveau européen. Il y avait des bruits de couloirs. Mais personne n’avait jusque-là été clairement informé sur son cas. J’ai d’ailleurs été un peu surpris de recevoir un contrat après la résiliation car je n’ai pas de structure dédiée et je ne fais pas beaucoup de volume”, témoigne un opérateur.

“Tout le monde y a trouvé son compte”

En juin dernier, quelques jours avant la résiliation de tout le réseau en vue de l’arrivée des nouveaux contrats, les distributeurs “indésirables” ont reçu un recommandé. “C’était une vraie surprise”, confie l’un d’entre eux. “Je le sentais venir, mais je n’y croyais pas”, explique un autre. “Ce n’est ni un problème de performances ni un problème de financement. Il n’y a pas eu de négociations. On ne nous a pas laissé le choix. On m’a dit que mes volumes seraient insuffisants pour justifier les investissements nécessaires. Investissements que je voulais faire”, raconte ce dernier, qui immatricule entre 100 et 200 VN par an. “Je ne comprends pas tout. Ils ont notamment gardé des points écoulant à peine 40 VN”, s’interroge le distributeur. “Si le partenaire ne veut pas investir ou s’il n’est pas performant, cela peut se comprendre et personne n’est choqué. Mais là, certaines résiliations échappent à toute logique”, abonde un autre partenaire. “Il y a eu des discussions, puis des accords au cas par cas. Tout le monde y a trouvé son compte. Notamment parce que, même avec une résiliation, les opérateurs concernés vont pouvoir effectuer leur préavis de deux ans tout en jouissant du succès de l’Evoque, mais sans investir”, explique pour sa part Marc Luini. “J’estime donc que cette réduction du maillage s’est globalement bien passée. Mais je mentirais si je ne reconnaissais pas que nous avons encore des discussions avec l’un des distributeurs en question. C’est la vie naturelle de tous les réseaux”, conclut-il. Une situation commune, en somme. Même pour un constructeur qui s’estime proche de son réseau. Admettons, au moins, que l’atmosphère n’est pas des plus constructives.

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