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Distribution

Jean-Paul Lempereur, groupe Lempereur : "La voiture ne doit pas être banalisée et réduite à un simple objet de déplacement"

Publié le 22 décembre 2022

Par Catherine Leroy
8 min de lecture
Rester un héros local de la distribution : le groupe Lempereur, implanté dans les Hauts-de-France, poursuit sa stratégie de service auprès de ses clients et propose désormais toute la palette qu'offrent les nouvelles formes de mobilité. En parallèle, Jean-Paul Lempereur, le président, travaille sur le bien-être au travail de ses salariés, inquiets de l'évolution de leur métier.
Jean-Paul Lempereur, dirigeant du groupe de distribution dans les Hauts-de-France.

Journal de l'Automobile. Comment s'est déroulée l'année 2022 pour votre groupe de distribution ?

Jean-Paul Lempereur. Nous avons la chance d'être un groupe multimarque, ce qui nous permet d'être un minimum préservés des aléas du marché. Nous avons réussi à livrer en partie notre portefeuille de commandes prises à la fin de l'année 2021. Mais, vous le savez, nous sommes à la croisée des chemins. Tesla fait un peu tourner la tête des constructeurs, et tout le monde s'interroge sur ce que sera le mode de distribution idéal de demain. Est-ce que cela sera une partie en ligne, en direct, par des contrats d'agents ? Nous sentons beaucoup d'interrogations y compris chez les constructeurs, dont certains repoussent les échéances des nouveaux contrats.

 

JA. Exprimez-vous des craintes quant à ce nouveau modèle de distribution ?

J-PL. Souvent, l'inquiétude évoquée dans la profession se concentre uniquement sur la partie marge et finance de ces nouveaux contrats. Mais globalement, je fais confiance au constructeur pour nous préserver un niveau de rentabilité acceptable. Dans le cas contraire, c'est simple : le système ne tiendra pas. Mais ma crainte porte plutôt sur la capacité à gérer l'ensemble des métiers que nous faisons. Nous avons déjà eu des expériences malheureuses dans le passé et nous nous rendons compte que les constructeurs découvrent la complexité administrative qui est sous-jacente au traitement d'un dossier. Déjà compliqué pour une seule marque à petits volumes, je me demande réellement ce qu'il en sera pour un pays entier ou un continent. Donc l'inquiétude vient plutôt d'avoir des clients insatisfaits. Un client va-t-il comprendre demain qu'en se rendant en concession il va devoir payer le constructeur ? Que sa reprise sera gérée par le constructeur ? Nous serons l'interlocuteur physique mais nous serons complètement déresponsabilisés du parcours de la vente. C'est très inquiétant d'autant que chaque vente est une spécificité avec soit un premier loyer majoré, une prime à la conversion, des bonus, des malus, des reprises de financement... Chaque vente est un cas particulier.

 

JA. Cette inquiétude pèse-t-elle sur le travail de vos salariés ?

J-PL. Dans cette période de turbulences, c'est une nouvelle couche de nébulosité dans le brouillard ambiant. D'un côté, nous avons un manque de visibilité sur la disponibilité des produits et aujourd'hui ce n'est pas tellement l'investisseur qui est pénalisé mais ce sont surtout nos équipes et nous nous rendons compte que beaucoup de vendeurs lisent dans la presse les changements de mode de distribution, de marge... Je n'ai jamais eu autant de commerciaux ayant le besoin d'être sécurisé sur leur avenir. C'est d'ailleurs l'un de nos axes de travail pour 2023. Je sens les salariés fortement inquiets. Ils le sont moins sur les retards de livraison. Mais le fait de changer radicalement le mode de livraison les inquiète, plus encore que les distributeurs.

 

Si nous voulons passer cette période de crise, les salariés ne doivent pas quitter l'entreprise.

 

JA. Quelles sont les actions mises en place face à cette inquiétude ?

J-PL. Nous travaillons beaucoup en interne sur le bien-être au travail. Si nous voulons passer cette période de crise, les salariés ne doivent pas quitter l'entreprise. Pour cela, nous souhaitons leur proposer des amplitudes horaires peut être moins grandes. Par exemple, pour la première fois depuis 35 ans, nous allons fermer nos concessions les 24 et du 31 décembre pour que nos salariés puissent être en famille. Je pense qu'aujourd'hui nos métiers doivent évoluer. Avant cette période, nous avons toujours connu des contraintes mais beaucoup de plaisir également. Ce qui n'est plus le cas, tout au moins au niveau de plaisir. Et nous devons essayer de limiter les contraintes. Quand un vendeur dans le hall ne voit personne pendant près de quatre heures, cette période d'oisiveté mine le moral de salariés. Nous allons faire la semaine des quatre jours pour les secrétaires commerciales, leur laisser la possibilité de choisir par exemple les amplitudes d'horaires…

 

JA. La flambée des prix de l'énergie va-t-elle pénaliser vos résultats de 2023 ?

J-PL. Les concessions sont totalement exclues des dispositifs d'aides aux entreprises face à cette inflation. Pour pouvoir en bénéficier, le coût de l'énergie ne doit représenter au maximum que 3 % du chiffre d'affaires. Dans une concession qui réalise 400 millions d'euros de chiffre d'affaires, il faudrait que j'ai une facture de 12 millions d'électricité pour obtenir cette aide.  Alors comment répercutons-nous cette hausse auprès des clients ? Comment pouvons-nous maintenir le pouvoir d'achat de nos salariés ? Notre coût de l'énergie va passer de 700 000 euros à 2,9 millions car nos contrats arrivaient à échéance en septembre et nous n'avons pas eu d'autres choix que de les renouveler aux tarifs en vigueur.

 

JA. Qu'allez-vous mettre en place pour limiter cette hausse ?

J-PL. Pour commencer, nous avons limité le chauffage à 19 degrés et avons supprimé tous les chauffages type "grille-pain" dans les vestiaires. Nous allons arrêter l'éclairage des enseignes à 19h30 et nous éteignons un éclairage sur deux. Nous avons mis des aérothermes dans les ateliers qui se coupent toutes les deux heures… Bref, nous avons élaboré un plan d'économie drastique pour limiter le surcoût au maximum. Et quand nous devons utiliser nos cabines de peinture, nous avons répercuté cette hausse dans le coût de la carrosserie. Les assureurs doivent comprendre également que l'on ne peut plus peindre une voiture avec un coût horaire de 65 euros.

 

Lire aussi : La flambée des prix de l'énergie pourrait coûter jusqu'à 30% du résultat des distributeurs automobiles

 

JA. Face à la hausse des prix des véhicules, vos clients changent-ils leur mobilité et diffèrent-ils leurs achats ?

J-PL. C'est une tendance que nous ressentons effectivement. C'est aussi pour cette raison que nous mettons en place pour nos clients la LOA VO. Mais cette offre de financement n'est pas non plus la panacée pour le pouvoir d'achat. Car la valeur résiduelle des constructeurs sur les véhicules neufs est parfois mieux-disante et les valeurs de reprise au bout de deux ou trois ans, proposées par les constructeurs, sont supérieures sans que nous puissions baisser le prix du VO. Et nous en arrivons parfois à proposer des occasions qui sont plus chères que les voitures neuves. Nous travaillons également pour les voitures neuves sur des offres d'abonnement.

 

JA. Comment pouvez-vous couvrir les besoins de mobilités de vos clients ?

J-PL. Depuis deux ans, nous sommes concessionnaires BMW Motorrad et nous allons développer le monde du deux-roues en représentant Honda et d'autres marques. En avril 2023, nous ouvrirons un nouveau centre de 21 000 m² destinés aux motards. Là aussi, nous créons un centre de vie avec un restaurant. Nous ne voulons plus être uniquement concessionnaire automobile et d'ailleurs notre nouveau slogan est "Avec nous, vivez la mobilité autrement". Nous réfléchissons également pour distribuer des véhicules de loisirs.  Ainsi, nous irions du camping-car à la moto en passant par la voiture.

 

Lire aussi : Le groupe Lempereur pose la première pierre de son centre MotoValley

 

JA. Pensez-vous également à des formes de mobilités plus urbaines ?

J-PL. Nous proposerons toutes ces nouvelles formes de mobilités : trottinettes électriques, vélos électriques, scooters… En revanche je ne suis pas dans la logique d'être un fournisseur d'énergie. Chacun doit faire son métier. Nous devons faire déjà avec des restrictions alors que le véhicules électriques ne pèsent que 13 % du marché. Je pense que nous devons proposer de l'énergie pour les clients mais nous ne devons pas prendre le rôle des stations-service. C'est un autre métier. Nous n'avions pas de pompe à essence et nous n'aurons pas de bornes. Tel est notre choix stratégique.

 

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JA. Sentez-vous un fléchissement de la mobilité chez les clients ?

J-PL. Oui c'est clair. Le covoiturage, qui est plein de bons sens, se développe et c'est important de ne plus se déplacer seul dans une voiture, ne serait-ce que pour limiter la pollution. Mais le phénomène est difficile à quantifier aujourd'hui. Pour autant, je ne souhaite pas être un acteur de covoiturage, mon rôle est plutôt d'être partenaire de ces sociétés. Même si nous sentons que la norme ira plutôt vers deux voitures par foyer et non trois comme souvent aujourd'hui. Mais nous militons aussi pour que l'automobile reste un plaisir. Nous ne devons pas la banaliser comme un objet qui permet de se déplacer. Et ce qui me plaît dans la moto, c'est que la clientèle est encore passionnée, a encore les yeux qui brillent lorsqu'elle vient prendre possession de sa nouvelle moto. Cette notion de plaisir existe encore et il faut que ce sentiment perdure également dans la voiture.

 

JA. Vous êtes un acteur de la distribution fortement ancré localement. Est-ce différent dans les grandes villes ?

J-PL. En province, les clients sont encore très attachés à leur concessionnaire. Ce qui n'est peut-être pas le cas dans les grandes villes. L'indépendance du client en grande ville et le manque d'intérêt porté parfois par les concessionnaires à ses clients se ressent fortement. Tesla n'a pas forcément de marché sur nos implantations, en revanche à Lille (59), la marque progresse. D'ailleurs, je dis souvent que nous ne sommes pas un groupe familial, mais nous essayons de rester un héros local. Nous allons à la rencontre des étudiants, partenaires de clubs sportifs ... Nous sommes un acteur local très actif.

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