Faut-il investir dans les marques de prestige ?
...modèles d'exception qui incite les distributeurs à les commercialiser ou l'assurance d'obtenir un gros chiffre d'affaires ?
C'est à la mode aujourd'hui. Les reprises de panneaux de grandes marques prestigieuses n'ont cessé de fleurir ces derniers mois. Nombreux sont les distributeurs français qui soudainement sont tombés amoureux des automobiles de luxe, que celles-ci se nomment Bentley, Lamborghini, Ferrari, Maserati ou encore Porsche. Récemment, les groupes Zanetti (Lamborghini), Grégoire Imbert (Ferrari/Maserati) ou Deresse (Bentley) se sont lancés dans l'aventure. Ils rejoignent ainsi d'autres opérateurs tels que les groupes Kroely, Durruty et consorts qui possédaient déjà sur leur carte de visite les marques Porsche, Cadillac ou Ferrari et Maserati. Le phénomène devrait d'ailleurs se poursuivre dans les mois à venir avec la marque Cadillac. Physiquement présente en Europe depuis le début de l'année (JA n° 843), la marque américaine a fermement l'intention de nommer 25 nouveaux opérateurs dans l'Hexagone pour la commercialisation de ses véhicules. Vincent Renard, le nouveau directeur commercial, a d'ores et déjà prévenu que les futurs représentants de la marque au sein du réseau seront triés sur le volet : "Il est primordial que nos acteurs aient une activité pérenne, des affaires rentables ainsi qu'une certaine expérience des marques de luxe."
Les coûts de structure peuvent uniquement être supportés par le multimarquisme ou par l'ensemble du holding d'un distributeur
Pourtant, l'avenir de la distribution de Cadillac laisse certains distributeurs sceptiques tant les volumes de la marque sont confidentiels (52 immatriculations en 2003) pour des investissements qui restent élevés. Un investisseur devra mettre au minimum 60 000 euros sur la table pour constituer un showroom haut de gamme. "Le constructeur, qui fait preuve d'ambition en France, exige trop de ses distributeurs qui devront faire face à une concurrence déjà en place. Il faut avoir les reins solides pour supporter une telle distribution. Les coûts de structure peuvent uniquement être supportés par le multimarquisme ou par l'ensemble du holding d'un distributeur. Un distributeur exclusif est quasiment voué à l'échec", lance un opérateur Cadillac, lui-même multimarques. "En outre, poursuit-il, les aides spécifiques à la marque qui existaient auparavant lorsque Opel prenait en charge Cadillac ont disparu. Enfin, les marges sont loin d'être exceptionnelles (13 %) pour des véhicules dont les prix s'élèvent au-dessus des 100 000 euros."
Un avis que partage également Jean Durruty, distributeur Ferrari et Maserati à Bordeaux et Bayonne, qui y ajoute un autre élément : "Il faut répondre présent pour permettre un partage des coûts engendrés par une telle distribution. Par ailleurs, si le marché est effectivement petit, il est aussi utile de constituer un réseau à la densité suffisante pour éviter au client de trop se déplacer soit pour l'achat soit pour l'entretien." A l'heure actuelle, seul Ferrari possède un mini réseau de 15 points de vente en France. La plupart des investisseurs attirés par la distribution des marques de prestige rappellent à l'envi que la passion les anime et les pousse à se lancer dans ce genre de commerce. L'expérience récente du groupe Jacques Savoye démontre également que l'activité nécessite une situation pérenne et des reins solides. Le groupe (Morgan, Bentley, Rolls Royce, TVR), qui se préparait à monter une structure afin de devenir le principal distributeur de voitures de luxe en France, s'est rapidement retrouvé en situation de cessation d'activité. La perte du panneau Bentley, dont le groupe était l'importateur exclusif dans l'Hexagone, a en partie grevé l'activité de l'affaire parisienne qui a dû résorber une perte nette de 600 000 euros.
Le goût du luxe et des beaux produits
Un panneau Bentley qui est revenu à Jean-Paul Deresse, ancien du réseau Nissan et aujourd'hui distributeur des marques Jaguar et Land Rover à Neuilly, Saint-Germain et Enghien. "Le goût du luxe et des beaux produits comme la Continental GT m'ont incité à faire ce choix", explique Jean-Paul Deresse pour expliquer sa décision de distribuer la marque Bentley à son compte. Il poursuit : "Par ailleurs, la démarche d'investissements entreprise par le groupe Volkswagen pour relancer la marque a été déterminante dans ma prise de décision." De 10 à 12 unités vendues par an sur le territoire national auparavant, la marque devrait désormais se situer à un niveau supérieur, entre 80 et 100 voitures. "J'ai dû investir plusieurs dizaines de milliers d'euros à l'échelle de l'ambition de la marque en France pour distribuer Bentley dans les meilleures conditions", confie Jean-Paul Deresse. D'un côté, le distributeur doit compter sur une solide trésorerie et doit être prêt à consentir de gros investissements. Ce dernier a notamment dû acheter l'outillage spécifique à la marque dès la prise de panneau, sans parler de la mise en place d'un atelier dédié à Bentley en plein cœur de Neuilly. De l'autre, "la commercialisation génère un gros chiffre d'affaires", confie Jean-Paul Deresse. Ce dernier, s'il refuse de donner les détails, laisse toutefois entendre que la marge globale sur une Continental GT tournerait autour de 15 %. Mais les marges ne sont pas uniformes et diffèrent selon les modèles. S'il faut compter près de 15 % pour une Vanquish (pour un prix de 244 000 euros), la marge globale dépasse tout juste les 10 % pour la nouvelle DB9 (142 000 euros) La même marge que pour une Ferrari Enzo dont le prix atteint 675 000 euros ! Les marges des autres modèles ornés du Cavallino Rampante restent toutefois supérieures.
Ensuite, tout dépendra de la marge variable. Celle-ci représente aujourd'hui 2/3 du global pour une Continental GT alors qu'elle ne compte que pour 1/3 sur une Ferrari Enzo. Son montant découlera alors du respect des standards. "Ceux-ci sont spécifiquement lourds et demandent une certaine exigence en matière de vente et d'après-vente", précise le distributeur parisien. Au final, la marge peut devenir intéressante si et seulement si "on est un bon soldat".
Le ticket d'entrée est tout aussi lourd, voire plus, pour la distribution d'Aston Martin en France. La société parisienne Auto Performance est une des trois concessions à commercialiser la légendaire marque britannique dans l'Hexagone. "Il faut vraiment être un passionné pour distribuer Aston Martin car cela demande vraiment un travail de fou", résume Astrid Aziza, qui dirige avec son mari la société parisienne. Les avantages se résument à une relation clientèle privilégiée où tout le monde se connaît, s'apprécie et entretient des rapports particuliers. "Comme une petite famille", reprend la dirigeante. "Nous sommes dans l'obligation d'obtenir 100 % de satisfaction clientèle. C'est un minimum. Il faut consacrer du temps aux clients, les rassurer, mais aussi faire remonter un maximum d'informations au constructeur", confirme Jean Durruty.
Il faut constamment donner de sa personne, mais aussi de sa poche. A commencer par les investissements à consentir dès la prise du panneau : "Il faut compter près d'un million d'euros pour l'infrastructure et 1,5 million d'euros pour l'achat ferme de voitures en direct d'Angleterre. Quant à l'atelier, nous avons dû investir 1,2 million d'euros pour la mise sur pied d'un nouveau bâtiment dans le 15e arrondissement", explique Astrid Aziza. En fait, plus que pour d'autres marques, tout est payant chez Aston Martin. Les cartes de visite, les échantillons couleurs, les brochures… "rien n'est cadeau", déplore la dirigeante parisienne.
Le prestige demande un haut niveau d'exigence et beaucoup de professionnalisme
Le constructeur est devenu, de surcroît, plus exigeant, en obligeant ses opérateurs à respecter une charte incluse dans le contrat qui, "si celle-ci n'était pas respectée, impliquerait directement le retrait de la marque". Toutes les concessions sont ainsi conçues sur le même modèle : parterre en marbre, couleurs et design à respecter, mobilier extravagant (des canapés Le Corbusier, des chaises Barcelona…). La conception est réalisée par un cabinet d'architecte au frais du constructeur. Quant à la constitution d'un stock de pièces, il est obligatoire dès la signature du contrat et oblige l'opérateur à verser une nouvelle fois 120 000 euros. Enfin, la publicité doit elle aussi être financée avec le budget personnel du distributeur, "à l'inverse de beaucoup d'autres constructeurs, venant du fait que la marque ne détient pas de filiale en France", regrette la dirigeante parisienne.
Une exigence que l'on retrouve également pour les marques Ferrari et Maserati. "Les critères qualitatifs comme la formation et l'outillage sont prépondérants dans la distribution de véhicules de prestige", rappelle Jean Durruty. "Chaque modèle doit posséder son outillage spécifique. Nous devons répondre à toutes les demandes des clients en la matière, que ceux-ci roulent en 365 GTB, Testarossa ou Maranello", continue le dirigeant basque.
Se lancer dans l'aventure de la distribution de véhicules de prestige n'est donc pas une décision à prendre à la légère. "Pour les distributeurs qui sont déjà en place, un tel marché reste intéressant au regard d'une concurrence peu exacerbée. En revanche, ce genre de commerce nécessite un très grand professionnalisme. Enfin, le potentiel du marché français est-il suffisant au même titre que les marchés allemand ou suisse ? Je ne le crois pas, c'est pourquoi je déconseillerais à un opérateur de tenter l'aventure", avance un opérateur multimarques, sceptique sur ce genre de distribution. Du temps, de la passion, du professionnalisme, mais aussi de l'argent : la distribution de marques de prestige n'est pas une mince affaire. "Il faut trouver un bon équilibre, faire correspondre l'exigence du constructeur avec la rentabilité", conclut Jean Durruty.
Tanguy Merrien
FocusAston Martin DB9 |
ZOOMBentley signe un retour fracassant avec sa Continental GT L'image d'aristocrate qui colle depuis toujours à l'image de Bentley vient d'être écorchée, mais pour la bonne cause. La légendaire marque britannique, aujourd'hui placée dans le giron du groupe Volkswagen, fait un retour tonitruant au premier plan avec sa Continental GT. Si pour les puristes et les passionnés de la marque, le transfert au sein du groupe allemand aurait pu ressembler à un crime de lèse-majesté, le résultat n'en est pas moins convaincant. Pour arriver à une telle réussite et concevoir le premier produit sous son patronage, le constructeur de Wolfsburg a consenti un investissement de 500 millions de livres dans la marque (environ 740 millions d'euros) pour que Bentley renoue avec son glorieux passé. Un investissement qui a également permis la transformation de l'usine de Crewe pour y concevoir, réaliser et assembler la Continental GT. "La Continental GT est le coupé 4 places le plus rapide au monde", se contente d'énoncer le constructeur. Cette présentation suffit amplement à l'heureux conducteur de cette voiture d'exception, qui, une fois installé au volant, comprendra rapidement à quoi il a à faire. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : la sportive aristocrate arbore un moteur 6,0 l W 12 bi-turbo développant 560 ch et un couple de 650 Nm ! Le couple maxi est obtenu dès 1 600 tr/mn et s'élève jusqu'à 6 000 tr/mn. L'impression de puissance est démesurée dès que l'on ose appuyer sur la pédale d'accélérateur. Cet élégant monstre atteint la vitesse maximum de 318 km/heure et passe du 0 à 100 km/heure en moins de 5 secondes (4,8 s). Malgré son poids (plus de 2 tonnes), la voiture donne une impression d'aisance à nulle autre pareille et reste d'une maniabilité extrême. La Continental GT est en mesure de donner des frissons à ses passagers tout en leur garantissant, avec un intérieur tout simplement somptueux, un confort hors pair. Véritable 4 places. Une partie arrière bénéficiant de la même attention que la partie avant. Bien entendu, le luxe y tient une large place : le bois et le cuir constituent des éléments primordiaux et la finition artisanale a gardé son importance. Résolument sportive par ses performances, la Continental GT reste cependant fidèle à son héritage, cette plus-value qui fait de Bentley une marque à part entière. D'autant plus que, pour les qualités affichées, la Continental GT reste abordable par rapport à la concurrence : 170 000 euros. |