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Entretien avec Jalil Skiredj, responsable du réseau Top Carrosserie

Publié le 5 novembre 2004

Par Alexandre Guillet
15 min de lecture
"Qui peut réparer votre voiture mieux que le constructeur de votre voiture ? Top Carrosserie !". Comme nous l'écrivions récemment, le réseau Top Carrosserie connaît une croissance soutenue et vient titiller les membres du Big Four (Acoat, AD, Axial et Five Star). Même si...

...le réseau considère que les constructeurs sont ses véritables concurrents. Riche rencontre avec Jalil Skiredj, un jeune stratège au verbe énergique qui allie avec un naturel vivace intégrité et ambition, humilité et dynamisme.


Journal de l'Automobile. Commençons par une question personnelle, vous avez à peine 32 ans et vous êtes à la tête du réseau Top Carrosserie. Comment définiriez-vous ce poste et la gestion des hautes responsabilités qui l'accompagnent ?
Jalil Skiredj. En premier lieu, il m'importe de dire que tout le monde a de "hautes responsabilités" dans une entreprise ! Quel que soit le poste concerné. Pour ma part, je dirais que je dois remplir une mission, consistant principalement à faire avancer les choses, point. Cela ne va pas sans difficulté car, même surchargé, je dois toujours veiller à prendre du recul. A ce poste, on ne peut pas foncer la tête dans le guidon ! Mais attention, il ne faut pas prendre trop de distance non plus car le carrossier cherche avant tout à remplir son atelier. Bref, il faut concilier vision globale et vision terrain tout en faisant preuve d'une grande force de conviction.


JA. Concilier ces deux mondes très éloignés n'est-il pas trop ardu ?
JS. Ce n'est effectivement pas aisé car l'héritage artisanal du volet terrain est parfois en décalage, du moins en surface, avec les apporteurs d'affaires… Nous devons faire office de trait d'union entre deux mondes et remplir une fonction de diplomate. Un diplomate qui au final fait du business, bien entendu ! Par ailleurs, nous avons une importante fonction d'animation. Les vedettes, ce sont les carrossiers et, nous, responsables de réseau, sommes des GO !


JA. Pouvez-vous revenir un instant sur la genèse de Top Carrosserie et sur le précieux ancrage représenté par 3G ?
JS. Nous ne sommes pas partis d'une page blanche, c'est clair. Nous avons pu nous appuyer sur 3G et sur la culture de ce groupe dont j'isole volontiers deux éléments clefs : la volonté d'efficacité et le fait de ne jamais oublier grâce à qui nous vivons, à savoir les garagistes, les carrossiers, etc. Par ailleurs, 3G rassemble de nombreux distributeurs sous l'enseigne Groupauto et certains d'entre eux ont donné de leur temps pour la constitution et le déploiement de Top Carrosserie. Par exemple, la Commission de travail, présidée par Eric Auneau, distributeur Groupauto, veille à ce que la direction du réseau, c'est-à-dire mon équipe et moi, ne nous coupions pas de la réalité.


JA.Vous avez aussi mis en place un réseau de coordinateurs, quelle est son importance ?
JS. Les coordinateurs sont nos relais sur le terrain et ils sont donc les premiers à devoir affronter les problèmes. En fait, ils jouent un peu le rôle de pare-chocs du véhicule Top Carrosserie ! C'est encore un exemple de l'apport de 3G et nous comptons aujourd'hui 60 coordinateurs et coordinatrices en France. On ne le dit sans doute pas assez, mais ils sont indispensables et fournissent un travail important.


JA. A un moment ou à un autre, le projet Top Carrosserie a-t-il été remis en cause au sein de 3G ?
JS. Non, cela n'a jamais été le cas. Nous avons su conduire ce projet sur des bases de confiance. Une confiance qui se vérifie à chaque maillon de la chaîne. Nous l'avons aussi conduit tous ensemble, ce qui explique mieux que bien des grands discours pourquoi cela a marché. Bien sûr, nous avons parfois rencontré des problèmes de communication, voire de compréhension… Mais, de toute façon, je pense que l'enjeu du "dire", du "faire comprendre", est l'un des plus difficiles à réaliser dans une entreprise, tous secteurs d'activité confondus.


JA. Nous avons évoqué l'appui de 3G ; pouvez-vous nous dire quelle était l'enveloppe budgétaire dont vous disposiez pour le lancement du réseau ?
JS. De ce côté-là, l'équipe Top Carrosserie n'a pas à se plaindre. D'une manière générale, nous fonctionnons sans problème avec ce qu'on nous attribue. Nous sommes aussi conscients que 3G raisonne ensuite à une autre échelle, Top Carrosserie étant un poste budgétaire parmi d'autres pour le groupe. Mais nous savons aussi que si nous avons besoin de plus de moyens, nous pouvons en avoir plus…


JA. Même si vous ne voulez pas donner de chiffre, le budget Top Carrosserie, c'est plutôt le Real ou Auxerre ?
JS. Il est difficile de raisonner en ces termes car un budget est toujours relatif. Et puis, l'essentiel réside dans le rapport entre budget et recettes. Disons que nous avons un budget cohérent qui assure la réalisation de nos objectifs. J'attire votre attention sur le fait qu'il s'agit d'un investissement de 3G puisque le groupe ne mesure pas tout de suite de retour. Même si ce n'est nullement un investissement philanthropique, bien sûr. Cet élément est parfois délicat à faire comprendre à certains professionnels : ils nous voient creuser un trou alors que nous travaillons sur des fondations solides…


JA. Vous avez lancé Top Carrosserie il y a trois ans, peu avant que la récession devienne vraiment sévère et que le marché soit tout à fait saturé : pensez-vous être arrivés au bon moment ?
JS. Oui, nous sommes indéniablement arrivés au bon moment. On peut même dire que le plancher s'est effondré derrière nous ! Ceux qui arrivent aujourd'hui sur le marché sont en retard… Par ailleurs, nous avons été constructifs. Nous n'avons pas utilisé le capital sympathie des distributeurs Groupauto pour séduire des carrossiers. Nous avons fait signer les carrossiers sur un programme, un état d'esprit. C'est important à plus d'un titre. D'une part, nous n'avons pas cédé à la facilité du simple relationnel, une stratégie qui s'avère très incertaine à long terme. D'autre part, nous ne mettons pas les entreprises et les femmes et les hommes qui y travaillent en danger puisque nous sommes partis sur des bases rationnelles.


JA. A l'instar de vos concurrents, vous faites référence à l'esprit de votre réseau. Concrètement, à quoi correspond cet esprit chez Top Carrosserie ?
JS. La notion de réseau ne consiste pas uniquement à apporter du business aux adhérents. C'est capital, bien sûr, mais cela ne fait pas tout. Il faut aussi avoir un état d'esprit commun, une philosophie à partager. Chez Top Carrosserie, nous tenons à véhiculer une image de professionnel spécialiste. Cela peut sembler abstrait, alors que cette ambition a un impact sur tous les paramètres du métier de carrossier. Reste à faire comprendre aux clients cette philosophie et les exigences qu'elle induit. Cela passe notamment par une communication nationale avec une grande lisibilité sur les tarifs. En fait, pour reprendre une publicité bien connue : "Qui peut réparer votre voiture mieux que le constructeur de votre voiture ?", il s'agit de répondre : "Nous, Top Carrosserie", car nous sommes vraiment des professionnels spécialistes de la carrosserie.


JA. Les réseaux constructeurs représentent-ils vos principaux concurrents ?
JS. Oui, c'est indéniable. Regardez les parts de marché : ce sont bien eux qui mènent la danse ! Ce sont bien eux qui nous matraquent, même à la télé ! Pourtant, Top Carrosserie et les réseaux indépendants en général sont plus à même d'effectuer des réparations de carrosserie que les réseaux constructeurs. C'est notre métier, notre spécialité. D'ailleurs, on assiste à une évolution sur le marché : certains assureurs montent des programmes en s'appuyant sur les indépendants. Ils reconnaissent donc notre expertise de spécialistes.


JA. Et les autres réseaux indépendants ?
JS. La concurrence existe entre les réseaux indépendants, mais elle est naturelle puisque nous évoluons sur le même marché. Mais, sur le fond, ce n'est pas la "bonne guerre". D'ailleurs, mon souhait serait que les cinq réseaux indépendants soient forts et représentatifs sur le marché pour que nous puissions discuter d'égal à égal avec ceux qui sont en face de nous. Dans l'idéal, on peut même rêver de parvenir un jour à parler d'une même voix. C'est un peu naïf, j'en conviens, mais dans ce schéma, nous serions tous gagnants.


JA. Mais vous ne pouvez pas nier qu'il existe des différences entre les réseaux indépendants…
JS. Loin de moi l'idée de nier cette évidence ! Je pense simplement que les cinq réseaux indépendants ne doivent pas se battre entre eux. Je pense aussi qu'ils poursuivent l'objectif de vendre de la qualité et qu'ils ne se distingueront pas vraiment sur ce point. En revanche, ils peuvent se distinguer sur tout le reste ! La stratégie, le marketing-mix, etc. De nombreux axes de différenciation existent. Par exemple, le défi capital de la maîtrise des coûts peut être relevé de plusieurs manières.


JA. A ce propos, quel est le coût moyen de réparation au sein de Top Carrosserie ?
JS. Actuellement, nous affichons un coût moyen de réparation de 930 e et je pense qu'il va encore baisser. Ainsi, nous avons des adhérents qui se situent aux alentours de 700 e. D'une manière générale, il est possible de baisser le coût moyen de réparation, notamment en privilégiant la main-d'œuvre par rapport au remplacement de pièces. Par ce biais, on réduit aussi le montant facturé tout en maintenant les marges. Mais attention, le coût moyen de réparation peut aussi augmenter sans que cela soit imputable au carrossier. C'est un des axes de recherche de mon collaborateur Jérôme Joulia. La nature même du véhicule, avec les capteurs, les équipements et tutti quanti, peut influer sur le coût moyen de réparation. En outre, ce coût moyen peut être abaissé, mais il y a des limites… Limites qu'il faut savoir identifier pour les expliquer à nos interlocuteurs donneurs d'ordre. Des interlocuteurs qui, de leur côté, parlent très bien de chiffres…


JA. Cependant, cette démarche de réduction du coût moyen de réparation est aussi faite pour satisfaire les assureurs, n'est-ce pas ?
JS. Oui, c'est évident, mais il faut aussi satisfaire le carrossier. Dans sa totalité, le réseau vient chercher du volume de véhicules chez les assureurs, mais il doit aussi veiller à assurer les intérêts de ses adhérents. En outre, il convient de se méfier des chiffres et de ne jamais perdre de vue les marges et le résultat. D'ailleurs, dans cette optique, Top Carrosserie cherche à établir des statistiques centralisées pour les transformer en argument ou en élément de discussion auprès des assureurs.


JA. Vos adhérents acceptent-ils volontiers ce travail sur le coût moyen de réparation ?
JS. Au sein de Top Carrosserie, cette démarche a été unanimement suivie par les adhérents. De toute façon, le carrossier qui ne tient pas un discours en lien avec son environnement économique et commercial se met hors jeu, et je vois mal son avenir dans le contexte qui nous attend. Un carrossier ne peut imposer sa vision au marché, il doit en identifier les facteurs clés de succès et s'adapter, pas le contraire.


JA. D'une manière plus générale, pensez-vous qu'il y a actuellement trop de carrosseries en France ?
JS. Oui. Il n'y a pas de place pour tout le monde, c'est une réalité du marché. Attention, cela ne signifie pas que l'activité carrosserie n'est pas rentable et lucrative.


JA. La baisse du nombre de sinistres explique-t-elle ce pronostic d'une réduction du nombre de carrosseries ?
JS. Il y a d'autres explications, mais cet élément va naturellement jouer, et joue déjà, un rôle. Cependant, je crois qu'il faut que nous arrêtions de nous plaindre ! La baisse du nombre des sinistres est un fait, point. Dans le business, se plaindre n'est pas une action. Soit on avance, soit on recule, mais se plaindre ne sert à rien. Et on ne va surtout pas se plaindre de l'Etat qui sauve des vies.


JA.Au sein de Top Carrosserie, combien de carrosseries sont actuellement fragilisées par le climat récessif du marché ?
JS. Quelques adhérents rencontrent des difficultés en ce moment. Cela peut notamment s'expliquer par le fait que nous ayons parfois recruté des carrossiers qui n'affichaient pas des résultats sensationnels, mais qui disposent d'un gros potentiel. Nous croyons en cette politique. Naturellement, nous soutenons ceux qui sont en difficulté pour les aider à passer cette période. Mais, de toute façon, vu le marché, il ne faut pas se leurrer : il y aura des pertes chez tout le monde.


JA. Nous évoquions tout à l'heure les donneurs d'ordre, comment la politique de signatures d'accords-cadres du réseau évolue-t-elle ?
JS. Elle évolue dans le bon sens. Nous avons conclu des accords avec le groupe Euro AIS et Visiolis notamment. Avec d'autres groupes, des négociations sont en cours, parfois bien avancées. De plus, nous travaillons déjà beaucoup avec certains groupes sans pour autant afficher un accord-cadre. Nous sommes aussi présents sur le marché des flottes. D'ailleurs, sur le marché des flottes locales, nous lancerons très prochainement une opération test sur un ou deux départements.


JA. Toujours au chapitre des assureurs, vous êtes un partisan de l'EAD ; pensez-vous que le rôle de l'expert reste aujourd'hui indispensable ?
JS. Tout d'abord, soyons basiques : quelqu'un paye la réparation et un autre la réalise. Entre les deux, se trouve l'expert qui peut faire valoir un rôle d'arbitre. Les carrossiers fustigent souvent les experts alors que ces derniers sont, pour certains, mis sous pression par leurs clients, les assureurs, qui leur fixent des impératifs. Dans certains cas, on peut se demander ce que peut vraiment faire l'expert… De toute façon, personne n'est tout blanc dans ce débat… Bref, je suis convaincu que l'expert a sa place, même avec l'EAD. Son apport technique et sécuritaire est indéniable. D'ailleurs, au-delà du fait qu'il deviendrait juge et partie, le carrossier ne peut pas devenir expert pour des raisons de sécurité. En revanche, on pourrait occulter la mission de chiffrage de l'expert car il s'agit d'un paramètre économique qui appartient davantage au carrossier. Mais le métier d'expert existera encore demain, c'est certain.


JA. Vous comptez aussi sur le marché dit du "hors assurance" pour l'expansion du réseau, quelles actions concrètes encouragez-vous ?
JS. Même si cela correspond à un changement de culture, l'exploitation du marché hors assurance peut se révéler très fructueuse pour le business des carrossiers. Par exemple, le débosselage sans peinture est une opération complexe que les carrossiers doivent contrôler en termes de marché. Car c'est un réel argument concurrentiel. Au sein de Top Carrosserie, les adhérents suivent une démarche globale d'amélioration de l'entreprise. Elle comprend notamment des actions de marketing direct basé sur des offres de prestations précises et détaillées avec des tarifs TTC clairs. Elle implique aussi la maîtrise d'un process d'accueil du client et de lui proposer systématiquement ces offres. En fait, tout en restant commercial, le carrossier devient aussi conseiller du client.


JA. Quelle est, selon vous, la bonne proportion que doit représenter ce volet "hors assurance" dans le chiffre d'affaires d'un carrossier ?
JS. Sur le hors assurance, 20 % du chiffre d'affaires constitue un très bon résultat et un précieux élément de gestion du portefeuille clients. Toutefois, c'est toujours relatif. Par exemple, cette part de 20 % n'a pas la même valeur selon le nombre d'agréments dont dispose le carrossier.


JA. Pour accompagner la complexification des véhicules, avez-vous mis en place des pôles d'excellence plastiques et aluminium au sein du réseau et disposez-vous d'offres "climatisation" et "airbag" ?
JS. Pour la climatisation, une offre est à l'étude au sein du réseau. En revanche, pour l'airbag, le flou juridique est tel que nous préférons attendre pour le moment. D'autant que la question "qui paye à la fin ?" n'a toujours pas de réponse satisfaisante. Enfin, nous travaillons sur un module pour l'aluminium et les plastiques. On ne peut donc pas en dire plus pour le moment.


JA. Et par rapport au diagnostic et à ses équipements coûteux, quel est le positionnement du réseau ?
JS. Nous avons de précieux relais par le biais des distributeurs Groupauto dans le cadre du programme Diagtronic. Nous irons sans doute plus loin pour avoir un véritable "plus" Top Carrosserie.


JA. Deux questions d'actualité pour conclure. Tout d'abord, que pensez-vous de la décision de la Commission européenne sur la libéralisation des pièces de rechange ?
JS. C'est une bonne chose, mais il ne faut pas s'emballer… Avant que l'on puisse "faire son marché" pièces librement, acheter un capot en toute liberté par exemple, de l'eau va encore couler sous les ponts. Parce que les constructeurs vivent du système actuel !


JA. Enfin, à l'heure où des Etats généraux de la réparation-collision se profilent à l'horizon, qu'attendez-vous, en général, des syndicats de la profession ?
JS. Pour être franc, je pense que les syndicats devraient intervenir au niveau de l'Etat pour défendre les intérêts de la profession. Pour établir un cahier des charges définissant les exigences à remplir pour avoir le droit de s'afficher comme carrossier. En France, il y a encore des carrossiers qui peignent sans cabine ou qui redressent sans banc… C'est anormal. Un tel cahier des charges existe déjà pour d'autres professions, comme la boulangerie par exemple. Les syndicats doivent passer à cette dimension-là. C'est leur mission. En revanche, le rapport avec les assurances et ses diverses problématiques tiennent du domaine commercial.


Propos recueillis par Alexandre Guillet





FOCUS


Nom : Skiredj
Prénom : Jalil
Age : 31 ans

Titulaire d'un BTS commerce international et diplômé de l'Ecole Supérieure de Gestion avec une spécialisation "marketing&communication", Jalil Skiredj fait ses premiers pas professionnels en alternance au sein de la direction de Jaguar France, une expérience qui le marquera fortement. Par la suite, il intègre le groupe Akzo Nobel au sein duquel il travaille en tant que consultant pour le réseau de carrosserie Acoat selected. Dans la perspective de la création d'un réseau de carrosserie, 3G prend contact avec lui. Début septembre 2001, il présente son projet Top Carrosserie à l'état-major de 3G. Les dirigeants disent alors "banco !". Il ne semble pas le regretter aujourd'hui.

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